Ce Mémorandum des quatre
candidats centrafricains à la présidentielle de leur pays sonne comme une sérieuse mise en garde adressée aux différents responsables de l’ONU au moment même où l’institution internationale
éprouve toutes les difficultés à se dépatouiller du bourbier ivoirien. Comme la Côte d’Ivoire, la communauté internationale impose aux Centrafricains d’aller aux urnes alors même que huit
préfectures sur seize sont occupées par des rébellions qu’elle n’arrive pas à désarmer. Comme en Côte d’Ivoire, personne ne peut garantir un scrutin
libre et transparent dans les zones contrôlées par les rebelles. La crédibilité donc des élections - qu’aussi bien Bozizé visiblement pressé de réussir son hold-up électoral que la communauté
internationale qui a également de vite se débarrasser de la situation en Centrafrique - du 23 janvier 2011 dont la préparation est manifestement
bâclée mais qu’on veut coûte que coûte tenir sera sujette à caution. Les lendemains de ces élections, si on n’y prend garde, risquent de défrayer aussi la chronique peut-être pas autant qu’à
Abidjan mais suffisamment pour constituer un sujet de préoccupation supplémentaire pour la même communauté internationale. Elle aura au moins été prévenue et ne pourra pas dire qu’elle ne savait
pas.
C.A.P
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MEMORANDUM DES QUATRE CANDIDATS A LA PRESIDENTIELLE DE
2011
Haut Destinataire : Monsieur le Secrétaire Général des Nations
Unies
Objet : irrégularités dans l’organisation des élections
présidentielles et législatives de 2011 en République centrafricaine
Monsieur le Secrétaire général,
La situation des élections présidentielles et législatives de 2011 en République centrafricaine soulève de réelles
inquiétudes que nous, candidats à ces élections, précisément à la présidentielle de 2011, avons l’honneur de vous soumettre par le présent Mémorandum.
En effet, nous estimons que le processus électoral en Cours en Centrafrique tel qu’actuellement géré, porte en lui-même
tous les germes de troubles futurs dont il faut d’ores et déjà en situer les responsabilités. Tirant les leçons qui s’imposent de l’exemple ivoirien, nous estimons en effet qu’il est plus
conséquent de prendre les mesures courageuses nécessaires pour crédibiliser un processus électoral chaotique avant les scrutins, plutôt que d’en gérer les conséquences par la suite.
Monsieur le Secrétaire général,
Depuis la mise en place de la Commission Electorale Indépendante (CEI) en octobre 2009, tout ce qui se fait dans cette institution est
conçu et orienté, de manière délibérée, en violation du Code Electoral et de l’Accord du 10 août 2010. Cette démarche délibérée a pour seul but de donner au Président François BOZIZE la direction
effective du processus électoral, afin de garantir avant le scrutin sa réélection frauduleuse et celle de ses députés.
Le Président de la Commission Electorale Indépendante, Monsieur Joseph BINGUIMALET, publiquement qualifié par le Président BOZIZE
lui-même « d'incompétent et de glouton » refuse de convoquer les sessions plénières de la CEI et préfère prendre tout seul toutes les décisions relatives au fonctionnement de cette
institution censée fonctionner sur le principe du consensus.
De même, la gestion unipersonnelle et opaque des fonds de la CEI par le Président BINGUIMALET, le non-paiement aux agents locaux de la
CEI de leurs indemnités qui a entraîné de ce fait la confiscation par ces derniers dans certaines localités des listes d’électeurs, ainsi que la non diffusion du rapport d’audit administratif et
financier de la CEI, sont autant de situations qui concourent dès à présent à la réalisation d’un hold-up électoral en faveur du Président François BOZIZE dont il reçoit directement ses
ordres.
Le processus électoral centrafricain tel qu’il se déroule aujourd’hui n’est ni transparent, ni légal ni équitable et nous en voulons pour preuves
les éléments irréfutables suivants :
L’absence d’indépendance de la Commission
Electorale Indépendante
Le minimum que l’on est en droit d’attendre d’une Commission réellement indépendante est qu’elle soit en mesure de planifier ses activités et de
réunir en toute liberté les moyens pouvant lui permettre de les mettre en œuvre.
Or, est établi et de manière officielle et régulière, que seul le Président François BOZIZE décide des orientations et des activités de la
CEI.
Pour preuve, en ce qui concerne le dépôt des candidatures aux élections législatives et présidentielle, le Président de
la CEI, M. Joseph BINGUIMALE, sur injonction publique de BOZIZE, fut obligé d’en écourter la période prévue consensuellement par l’Accord du 10 août 2010 entre toutes les parties prenantes au
processus électoral en présence des représentants de la communauté internationale et qui devrait courir du 08 novembre au 08 décembre 2010. Ce fait du prince a eu pour conséquence l’exclusion de
fait des candidats de l’opposition démocratique qui ne pouvaient se permettre de s’associer à une violation grossière de cet accord et de la loi. Suite à des fortes pressions nationales et
internationales, c’est encore le Président BOZIZE qui donnera publiquement l’ordre à la CEI de recvoir pour 24 heures les candidatures rejetées quelques jours plus tôt par la
CEI.
Pour démontrer que la CEI ne reçoit ses ordres que de BOZIZE seul, le Président
BINGUIMALE refuse délibérément de convoquer les réuinions plénières de cette institutions, au nom de laquelle il prend systématiquement tout seul toutes les initiatives. Les représentants des
partis politiques et de la société civile sont généralement surpris d’apprendre à la radio, comme tout le monde, les décisions de la CEI, dont ils sont pourtant membres. Mais en réalité, c’est
une stratégie mise en place pour permettre au Président BOZIZE d’être la seule voix qui se fasse entendre à la CEI.
La violation systématique du Code
électoral
A ce jour, il est difficile de savoir sur quelle base juridique les élections sont
préparées dans notre pays. Toutes les exigences du Code électoral en matière de délais et de fonctionnement sont systématiquement et impunément violées. Lorsque des clarifications ou des remises
en conformité du processus par rapport à la loi sont exigées par les parties intéressées, c’est le Président de la République lui-même qui monte au créneau, convoque dans son palais l’ensemble
des partenaires, pour fustiger tous cuex qui osent « critiquer » les orientations qu’il a dictées.
Ces mises en scène ont pour principal objectif de briser l’ardeur et la vigilance des
partenaires au développement qui appuient financièrement le processus électoral en dehors du Code électoral. Si la communauté internationale accepte l’inacceptable pour se
« débarrasser » au plus vite des élections en RCA, BOZIZE aura magistralement réussi son hold-up électoral bien avant les élections.
Aujourd’hui, la liste électorale a été « accouchée » ce 24 décembre 2010 aux
forceps après le siège militaire de la CEI ordonné par BOZIZE lui-même. En décrétant unilatéralement et illégalement le refus de l’informatisation des listes électorales, le Président BOZIZE qui
exerce directement une pression insupportable sur la CEI, a exigé que les listes soient traitées manuellement. Tout le monde a compris que cela devrait lui permettre ainsi qu’à son parti le KNK
dont les responsables de l’administration sont les principauux animateurs, de reverser dans cette liste les noms d’électeurs supposés favorables au KNK recensés dans les cahiers d’écoliers depuis
juin 2009 et dénoncés sans suite en leur temps, afin de faire voter plusieurs fois leurs militants, toutes les possibilités de contrôles informatiques pouvant systématiquement éliminer les
doublons étant écartées.
Ensuite, deux types de cartes d’électeurs circulent dans le pays. Dans un premier
temps, devant notre surprise de voir des cartes d’électeurs délivrées aux personnées recensées, il nous a été assuré qu’elles sont considérées, compte tenu de l’urgence comme de simples
recépissés. Mais aujourd’hui, il nous est demandé de considérer ces cartes « recépissés » comme des cartes définitives. Comment contrôler et annihiler les fraudes patentes sur les
cartes en deux modèles distincts ? Nous apprenons maintenant de manière officieuse que les électeurs ne disposant pas de cartes mais inscrits peuvent voter avec tous types de preuves
d’identité. Comment empêcher les votes multiples sans s’être donné les moyens techniques d’empêcher les multiples inscriptions ?
Quel est le nombre des bureaux de vote, et quelle est leur localisation spatiale dans
tout le pays ? L’article 62 du Code électoral précise que leur liste doit être publiée dans un délai de 60 jours avant le début de la campagne électorale, qu’en
est-il ?
Comment sont désignés le Présidents et les deux assesseurs des bureaux de vote ?
Il est aujourd’hui de notoriété publique que le Président de la CEI a envoyé le 16 décembre 2010 à l’intérieur du pays une mission uniquement composée de commissaires de la majorité
présidentielle et cette mission partisane a sélectionné avec les structures locales du parti KNK au pouvoir les Présidents et membres de bureaux de vote locaux, en violation de l’article 63 du
Code électoral et à l’insu de nos représentants dans les comités locaux et à la coordination nationale de la CEI. En tout état de cause, un arrêté du ministre en charge de l’Administration du
Territoire et de la Décentralisation devrait nommer les Présidents et assesseurs des bureaux de vote 45 jours avant le début de la campagne électorale.
L’impossibilité de circuler sur le territoire
Il existe une autre réalité que les expatriés ne voient peut-être pas nécessairement. C’est celle des barrières
routières qui sont une véritable calamité pour les populations et pour les partis politiques opposés au régime du Président François BOZIZE.
En effet, lorsque les véhicules des Nations Unies ou des ONGs internationales se rendent à l’intérieur du territoire
centrafricain, ils ne rencontrent aucune difficulté relative aux contrôles multiples et aux rackets systématiques. Ce sont là des consignes données pour soigner l’image du pouvoir et dissimuler
la vérité sur les tracasseries routières qui sont d’ailleurs à inscrire sur la liste des causes de l’extrême pauvreté des populations rurales centrafricaines.
En plus de servir comme check-point de racket sur les routes, les barrières tenues par les soldats servent à filtrer les
hommes politiques dont les déplacements à l’intérieur du pays deviennent de fait des risques pour leur propre vie. C’est ce qui est arrivé à Martin ZIGUELE qui, rien que pour se rendre dans
l’Ouest du pays en tournée auprès de ses militants, a dû affronter toute l’administration du territoire.
Dans ces conditions, comment peut-on oser parler de campagnes électorales, lorsque seuls les hommes du pouvoir ont le
droit de circuler, tandis que les leaders de l’opposition sont systématiquement empêchés de se déplacer ? Comment dès lors parler de démocratie ?
Les mouvements de rébellion
Le programme Désarmement-Démobilisation-Réinsertion a été mis en place dans le but de pacifier l’ensemble du territoire
national, afin de favoriser la tenue d’élections libres et transparentes. Or à ce jour, les rebelles centrafricains règnent comme par le passé sur huit préfectures du pays, pendant que ceux de la
LRA venus d’Ouganda continuent en toute liberté de semer la terreur au Centre-Est et à l’Est du pays.
Dans ces conditions, comment les partis politiques peuvent librement se rendre dans les zones occupées et battre
correctement campagne ? A moins de vouloir exclure une partie de la population du processus électoral, les élections, pour être valables doivent être organisées sur l’ensemble du territoire
national.
Les forces de défense et de sécurité
Les forces de défense et de sécurité se composent de l’Armée, de la gendarmerie et de la police. Ces trois corps, lors
des élections de 2005, ont servi à terroriser les électeurs aussi bien dans la capitale que dans les provinces. En plusieurs endroits, les éléments de la Garde présidentielle ont obligé des
présidents de bureaux de vote à remplir les urnes avec des stocks de bulletins dont la provenance était connue d’eux seuls.
Aujourd’hui, ces mêmes porteurs de tenue qui s’enrichissent grâce au régime de BOZIZE qui les laisse dépouiller les
populations sur les barrières routières, seront toujours prêts à reproduire les mêmes actes pour protéger le système qui couvre leurs exactions contre les populations dont la pauvreté a atteint
des dimensions rares.
Recommandations
Nous, Ange Félix PATASSE, Emile Gros Raymond NAKOMBO, Jean Jacques
DEMAFOUTH et Martin ZIGUELE, candidats à l’élection présidentielle de 2011, considérons que pour qu’il y ait des élections libres
et transparentes, il est absolument urgent que les mesures ci-après soient prises.
Premièrement, pour l’indépendance de la CEI
- Que la
Commission Electorale Indépendante soit présidée par une personnalité neutre, désignée par la CEMAC, la CEEAC, l’OIF et l’Union Africaine. Cette solution a permis à la Guinée d’avoir des
élections réellement libres et transparentes.
- Que le
chronogramme des opérations électorales soit repris sous la direction de la personnalité neutre, nouveau président de la CEI avec la participation de tous les acteurs du processus
électoral.
Deuxièmement, pour la sécurité des élections
- Que la
sécurité de l’ensemble du territoire centrafricain soit assurée par des forces neutres (les Nations Unies par exemple) durant tout le processus électoral ou bien que les forces de défense et de
sécurité de la RCA travaillent de concert avec des éléments des Nations Unies, ce qui pourrait au moins réduire les actes d’intimidation des électeurs, dont des militaires centrafricains se sont
rendus coupables en 2005.
- Que
toutes les barrières routières illégales soient supprimées afin de permettre à tous les partis politiques de circuler en toute liberté sur l’ensemble du territoire national.
- Que les
élections soient reportées de manière consensuelle, prenant en compte toutes les considérations précitées.
Troisièmement, pour la transparence des opérations de
vote
- Qu’il
soit prévu le déploiement des observateurs des Nations Unies dans le maximum possible de bureaux de vote afin d’éviter la fraude.
- Que le
transport des urnes soit assuré par les Nations Unies afin d’éviter leur substitution en cours de route.
Nous, Ange Félix PATASSE, Emile Gros Raymond NAKOMBO, Jean Jacques
DEMAFOUTH et Martin ZIGUELE, candidats à l’élection présidentielle de 2011, réaffirmons que seule la prise en compte des mesures
correctives proposées ci-dessus, peuvent concourir véritablement à l’organisation d’élections libres et transparentes. Dans le cas contraire, nous déciderons de notre retrait du processus
électoral, car ce processus serait soustrait de toutes conditions légales devant en assurer la transparence.
Par conséquent, nous rendrons immédiatement responsables de la souffrance
des Centrafricains, tous ceux qui cautionneraient des élections truquées, qui n’exprimeraient que la seule volonté de François BOZIZE et qui ouvriraient la porte à plus de souffrances, de
pauvreté, de morts et de troubles.
Tel est, Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies, l’objet du présent mémorandum que nous avons l’honneur de
vous soumettre, dans l’espoir que les problèmes qui y ont été soulevés retiendront votre attention, et que des solutions appropriées seront trouvées afin de sauver le processus électoral en cours.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur Secrétaire Général, l’expression de nos sincères et respectueuses
considérations.
Fait à Bangui
Les candidats :
Ange Félix PATASSE
Emile Gros Raymond
NAKOMBO
Jean Jacques DEMAFOUTH
Martin ZIGUELE
Ampliations
- Union Africaine
- Union Européenne
- OIF
- CEEAC
- CEMAC
- Ambassades