François Bozizé : "Les Centrafricains ne rendront jamais le pouvoir à
ceux qui les ont mis à genoux"
Jeune Afrique 21/01/2011 à 13h:34 Par François Soudan, envoyé spécial à Bangui
Plusieurs fois reportées, les élections générales devraient enfin avoir lieu, le 23 janvier. Candidat à sa propre
succession, le chef de l’État sortant fait face à une opposition qui ne le ménage guère et en qui il voit la source de tous les maux.
À pays pauvre campagne cheap. À quelques jours du premier tour de la
présidentielle (mais aussi des législatives), l’observateur habitué au déluge de banderoles, affiches géantes,
casquettes et tee-shirts bariolés qui précède un peu partout les scrutins sur le continent n’y retrouve pas son folklore. 159e sur 169 selon le dernier indice de développement humain du Programme
des Nations unies pour le développement (Pnud), la Centrafrique n’a pas les moyens de s’offrir ce type de dépenses, et les candidats ont tous (ou presque) les poches trouées. Mais une autre
raison explique le degré d’hypothermie enregistré au thermomètre de la fièvre électorale banguissoise : sur les cinq personnalités dont l’acte de
candidature a été validé par la Cour constitutionnelle, trois menacent ouvertement de se retirer in
extremis du processus si leurs revendications, qui concernent notamment l’indépendance de la Commission électorale et la sécurisation des opérations de vote dans les zones encore troublées du
Nord et de l’Est, ne sont pas satisfaites. À défaut, déclarait il y a quelques jours Martin Ziguélé – candidat malheureux en 2005 avec
35 % des voix au second tour – au Confident, un quotidien de Bangui, « nous laisserons Bozizé
aller seul aux élections et les gagner. C’est ce qu’il veut. Nous le lui offrirons sur un plateau d’or ».
Une rhétorique qui laisse de marbre le général-président de 64 ans, au pouvoir depuis mars 2003 et qui
– situation inédite en Afrique – retrouve parmi ses adversaires à la présidentielle celui-là même qu’il avait renversé : Ange-Félix Patassé.
Alors qu’ailleurs des chefs d’État en exercice font tout pour retarder l’échéance, François Bozizé Yangouvonda se dit pressé d’aller aux
urnes et las de devoir prolonger son mandat au-delà de son terme à cause des reports exigés par l’opposition. D’autant que, cette fois, la communauté des bailleurs de fonds ainsi que l’ONU
semblent lui donner raison…
À Bangui la poussiéreuse au cœur de la saison sèche, là où se concentre la vie politique de ce pays de cinq millions
d’habitants, la population se lève à l’aube pour gagner un pain quotidien trop souvent aléatoire. C’est dire si, de cette élection, les Centrafricains n’attendent qu’une chose : qu’elle se
déroule sans heurts et que l’on tourne la page des querelles politiciennes afin de pouvoir enfin croire en des lendemains moins accablants. C’est donc sur fond d’attentisme – la
participation sera l’un des enjeux de ce scrutin – que s’est déroulé l’entretien qui suit avec le président-candidat, le 6 janvier au Palais de la renaissance. Son programme, comme on
le lira, se résume en une phrase dont le mérite est d’être claire : « C’est moi ou le
chaos. »
Jeune Afrique : Le
premier tour de la présidentielle est prévu le 23 janvier. Peut-on vraiment y croire ?
François
Bozizé : Oui. Toutes les conditions sont réunies. Presque deux millions de Centrafricains se sont inscrits sur les listes électorales, soit un demi-million de plus qu’en 2005. La
distribution des cartes d’électeur se poursuit normalement. Je n’ai jusqu’ici entendu aucune plainte sérieuse.
Ce n’est pas l’avis de
vos concurrents. Tous ou presque disent redouter des fraudes, et certains menacent de se retirer de la course…
Si ces récriminations émanaient du comité de pilotage, que préside la représentante du secrétaire général de l’ONU, je les examinerais
avec attention. Mais ce n’est pas le cas. L’opposition ici tourne en rond depuis quinze mois, en agitant sans cesse les mêmes plaintes. Comment la prendre au sérieux ?
Pourquoi avez-vous
décidé de procéder au décompte manuel des voix, technique qui peut apparaître obsolète et génératrice de fraudes, plutôt qu’au décompte informatisé ?
Soyons clairs. Ce n’est pas moi qui ai pris cette décision. J’ai posé la question, au cours d’un séminaire élargi, aux
représentants de l’Union européenne, du Pnud et des autres bailleurs de fonds de cette élection : voulez-vous un comptage manuel ou un comptage informatisé, sachant que dans ce dernier cas il
faudrait acquérir les ordinateurs et former les techniciens, bref reporter le scrutin une nouvelle fois d’au moins six mois ? Un consensus s’est dégagé en faveur du comptage manuel, car nous ne
pouvions plus attendre. C’est une décision commune. Bozizé n’a rien imposé.
Le nord et l’est de la
Centrafrique sont encore peu sûrs. Le scrutin pourra-t-il s’y dérouler normalement ?
Ceux qui mettent en avant ce genre d’arguments ne veulent pas que l’élection ait lieu. En 2005, la situation était la
même. Lorsque les forces de défense et de sécurité se sont déployées, le vote a pu avoir lieu sans problème.
À l’heure où nous
parlons, il n’est pas exclu que plusieurs de vos adversaires décident finalement de boycotter la présidentielle, vous laissant seul face à votre prédécesseur, Ange-Félix Patassé. Qu’en
pensez-vous ?
Je ne comprendrais pas que, alors que la Commission électorale indépendante [la CEI, NDLR], la Cour constitutionnelle et
le Haut Conseil de la communication sont fin prêts pour gérer cette élection dans la transparence, certains se désistent au dernier moment. Vous savez, cette opposition nous a roulés dans la
farine depuis trop longtemps. Il n’est pas question de jouer son jeu, encore moins de céder à son chantage.
Le président de la CEI,
Joseph Binguimale, est accusé de tous les maux par l’opposition, qui le juge partial. J’imagine que vous le défendez…
Je n’ai ni à le défendre ni à l’attaquer. La CEI est un organisme indépendant et Binguimale a été élu par ses pairs, pas par moi. S’ils estiment qu’il a failli, eh bien qu’ils le démettent. Mais qu’on ne me rende pas responsable de ce
que fait ou ne fait pas M. Binguimale.
Un audit a été réalisé
sur la gestion de la CEI. Pourquoi ne pas le rendre public ?
Cet audit est là, effectivement. Mais je ne souhaite pas susciter des vagues inutiles pour l’instant, dans le contexte
que nous connaissons.
On peut donc supposer
que ses résultats sont critiques…
Non, pas vraiment. Mais, encore une fois, je préfère qu’il soit traité ultérieurement, dans un cadre serein, loin du jeu
politicien de l’opposition.
L’argent joue un rôle
important dans la campagne, et sur ce plan vos moyens sont nettement supérieurs à ceux de vos concurrents. Les dés sont-ils pipés ?
C’est vous qui le dites. Si mes adversaires ont choisi d’être candidats, c’est qu’ils doivent, j’imagine, avoir les
moyens de leurs ambitions. Toute campagne a besoin d’argent. Se lancer démuni dans une telle aventure serait irresponsable.
On va vous reprocher
d’utiliser les moyens de l’État – si ce n’est déjà fait…
Croyez-vous vraiment que ce sont les moyens de l’État qui font la différence ? On a vu dans d’autres pays des présidents
en exercice perdre des élections. Ce qui fait la différence, c’est le bilan, l’image, la confiance.
Ange-Félix Patassé s’est plaint dans J.A.
que vous refusiez de le recevoir alors
qu’il demande à vous rencontrer depuis plus de deux mois afin d’éviter tout risque de dérapage. Pourquoi faites-vous la sourde oreille ?
J’ai vu Patassé à deux ou trois reprises depuis son retour à Bangui. Mais je ne peux pas me permettre de le recevoir à
chaque fois qu’il le souhaite. Lui a tout son temps, moi j’ai mes occupations absorbantes de chef de l’État. Et puis j’ai d’autres choses à faire que de m’entretenir sans cesse avec des
politiciens chevronnés qui ont consacré toute leur carrière à nuire au pays. Je préfère les tenir à distance.
Apparemment, vous allez
mener une campagne pugnace…
Non, pourquoi ? Tout le monde me connaît. S’il ne s’agissait que de moi, la Centrafrique serait depuis toujours un pays
cool.
Disons qu’il existe deux
François Bozizé. Celui qui s’exprime en français et dont le message se veut consensuel, et celui qui s’adresse en sango aux populations. Là, le langage est beaucoup plus
dur.
C’est votre opinion. En français, je m’adresse avant tout à la communauté internationale. En sango, je parle aux
citoyens, avec leurs mots de tous les jours. On se comprend.
Tout de même, vous n’y
allez pas toujours de main morte. Il y a trois mois, vous avez fait expulser manu militari un député d’opposition, Joseph Bendounga, qui vous avait interpellé lors d’une conférence publique.
C’est un peu rude, non ?
Je n’accepte pas que l’on manque de respect au chef de l’État, a fortiori lors d’une réunion publique, télévisée en
direct, devant les diplomates et tous les corps de l’État. J’ai simplement demandé qu’on l’évacue de la salle.
Ce que votre garde
rapprochée a fait sans prendre de gants. Bendounga s’est plaint d’avoir été passé à tabac.
Les membres des services de sécurité, ici comme ailleurs, ne caressent pas les gens qu’ils interpellent. Ce ne sont pas
des enfants de chœur.
Vous avez décidé, à
l’occasion des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance, le 1er décembre, de réhabiliter l’ancien dictateur Bokassa dans tous ses droits, à titre posthume. Certains y ont vu une
manœuvre préélectorale. Pourquoi ce geste ?
Treize ans après la mort de Bokassa, il fallait tourner la page et effacer le passé. J’ai fait revenir à Bangui les
ex-présidents Kolingba – aujourd’hui décédé – et Patassé. Pourquoi Bokassa continuerait-il d’être exclu de la réconciliation nationale ?
D’autant que cet homme, quoi qu’on en dise, a travaillé pour le pays. Voir dans cette décision une quelconque manœuvre relève de la mauvaise foi.
Si l’on en croit vos
partisans, votre objectif est d’être élu dès le premier tour, le 23 janvier. Est-ce exact ?
S’il le faut, oui, c’est exact. Je suis confiant. Mon parti est prêt, en ordre de bataille pour la campagne. C’est
d’ailleurs ce qui fait peur à mes adversaires, lesquels envisagent, semble-t-il, des faux-fuyants pour ne pas avoir à m’affronter. Mais laissons le peuple se prononcer.
L'heure du dépouillement dans un bureau de vote de la capitale, lors des précédentes élections générales, en mai
2005.
En 2005, il y a eu deux
tours. Et un résultat relativement serré…
Nous sommes en 2011. Je crois que les électeurs sauront faire la différence entre mon bilan et celui d’une opposition
qui a passé son temps à criailler, à faire du juridisme et de la démagogie. La caractéristique de la situation centrafricaine, c’est que tous les candidats de l’opposition ont à un moment ou à un
autre exercé le pouvoir dans ce pays. Pour quel résultat ? Le peuple n’est ni amnésique ni manipulable. Pensez-vous qu’il veuille le retour de ceux qui lui ont amené les Banyamulenge et les vingt
à trente mois d’arriérés de salaire ? Croyez-vous qu’il a oublié que pendant cinq ans, à l’époque, les cotonculteurs et les planteurs de café ne perçurent aucun revenu ?
Reste que le vote
ethnique est une réalité en Centrafrique. Et qu’il n’a que faire des bilans.
Sur ce plan, je suis serein. Je travaille avec toutes les ethnies alors que mes opposants, lorsqu’ils étaient aux
affaires, n’ont travaillé qu’avec leurs frères et leurs cousins du village. Il faut le dire : c’est cela qui les a condamnés. Sous Patassé, le président, le Premier ministre, le chef d’état-major
étaient du même village. Moi, je suis à l’aise partout, dans le Nord, dans l’Est, dans l’Ouest, à Bangui. Partout.
Imaginez-vous être
battu ?
Non. Le peuple sait à quel point je me démène pour lui. Je doute fort qu’il choisisse à nouveau la voie de la misère et
rende le pouvoir à ceux qui l’ont mis à genoux.
Tout de même :
accepterez-vous le verdict des urnes, s’il vous est défavorable ?
Bien sûr. Nous verrons ensuite les conséquences.
S’il fallait décerner
une note sur 20 au bilan de votre dernier mandat, laquelle vous attribueriez-vous ?
18 sur 20.
Mention très bien ?
C’est beaucoup…
C’est juste. Compte tenu de toutes les difficultés, organisées par l’opposition, qui se sont dressées sur mon chemin, ce
que j’ai accompli est une œuvre de gladiateur. Et cela sans aide extérieure ou presque. Nous avons dû racler le fond de la marmite pour pouvoir s’en sortir. À certains moments, nous avons été à
deux doigts de craquer.
Quelle est, selon vous,
votre principale réussite ?
Avoir ramené la paix et fait renaître la confiance dans le cœur des Centrafricains.
Et là où vous auriez pu
mieux faire ?
La sécurisation complète du pays. La situation des sociétés d’État aussi.
Et la corruption,
l’impunité ?
Oui, c’est bien vrai. On peut, on doit mieux faire. Mais n’oubliez pas d’où nous venons… Lorsque je suis arrivé au
pouvoir, en 2003, la plupart des Centrafricains ne croyaient plus en l’avenir de leur pays. Beaucoup de cadres avaient émigré. Aujourd’hui, la diaspora revient. L’espoir est là.
Impossible de ne pas
vous interroger sur la grande crise du moment : la Côte d’Ivoire. Vous sentez-vous interpellé par ce qui se passe à Abidjan ?
Évidemment. C’est une affaire pénible. Tout a été géré convenablement jusqu’à l’atterrissage, qui s’est hélas mal
passé.
Avez-vous une
position ?
Nous nous alignerons toujours sur la position de l’Union africaine.
Faut-il ou non négocier
avec Laurent Gbagbo ?
Par principe, je préfère la négociation à la guerre. On ne sait jamais comment, ni après quels dégâts, se termine une
guerre.
Vous allez bientôt avoir
un nouvel État à votre frontière : le Sud-Soudan. Quel est votre sentiment ?
J’attends. Cela dépendra de la façon dont les choses vont se dérouler et de l’attitude du pouvoir de Khartoum. À
l’époque de la guerre, de nombreux réfugiés venus du Sud-Soudan ont franchi notre frontière. Nous sommes en première ligne.
Connaissez-vous le futur
président, Salva Kiir ?
Un peu. Nous nous sommes salués à plusieurs reprises, notamment à Khartoum. Mais nous n’avons pas encore vraiment
parlé.
Pourquoi les électeurs
centrafricains devraient-ils vous renouveler leur confiance ?
Lorsque j’ai provoqué le changement de mars 2003, le pays était éteint. Depuis lors, Bangui et le reste de la
Centrafrique ont connu de vraies avancées économiques et sociales. Il faut continuer en ce sens plutôt que de redonner les clés à ceux qui ont mis la République à feu et à sang. Nous avons acquis
désormais l’expérience nécessaire pour mener le combat de la reconstruction. Au cours des cinq prochaines années, si Dieu le veut, l’uranium, l’or et peut-être le pétrole centrafricains seront
entrés en phase d’exploitation. On ne s’arrête pas en si bon chemin.
Si vous êtes réélu, ce
sera votre dernier mandat…
Oui, en principe, puisque la Constitution stipule deux mandats consécutifs et que j’en ai déjà accompli un. Mais vous
savez, tout dépend du peuple. Si le peuple m’oblige à rester au-delà, moi, je suis un militaire. Je suis au service du peuple.
Propos recueillis à Bangui
par François Soudan