Pourquoi les Nations unies sont incapables d’agir seules en Côte d’Ivoire
05 Avril 2011 Par Ludovic Lamant Mediapart
L'offensive des forces des Nations unies et de la France contre les derniers bastions du camp de Laurent Gbagbo, lancée lundi 4 avril en fin d'après-midi à Abidjan, se poursuivait mardi. Selon l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France, Ally Coulibaly, le président sortant serait en train de négocier son départ, scénario démenti par le camp Gbagbo.
1 - Une intervention française dans quel
cadre?
Quatre hélicoptères français ont tiré lundi sur le camp d'Agban, l'un des principaux camps militaires d'Abidjan, dans le
Nord, alors que le camp d'Akouédo, lui, était la cible de tirs d'hélicoptères des Nations unies. D'autres hélicoptères, non identifiés, ont tiré sur le palais présidentiel, au Plateau, et sur la
résidence privée de Laurent Gbagbo, à Cocody.
Cette intervention découle de la résolution 1975 des Nations unies, adoptée le 30 mars, qui prévoit d'utiliser
«tous les moyens nécessaires pour s'acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils menacés
d'actes de violence physique imminente (...) y compris pour empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre la population civile». Ce texte avait été adopté à l'unanimité par
les 15 membres du Conseil de sécurité. Les frappes ont donc officiellement pour but, non pas de renverser Laurent Gbagbo, mais de protéger
les civils.
Ban Ki-moon,
secrétaire général de l'Onu, a exhorté Nicolas Sarkozy, le 3 avril, à «bien vouloir autoriser, de façon “urgente”, la force Licorne, qui est mandatée par le Conseil de sécurité pour appuyer l'Onuci, à exécuter ces opérations
conjointement avec l'Onuci». Le président français a donné son feu vert dans la foulée. Pour la France, c'est un troisième front qui s'ouvre, après l'Afghanistan et la Libye. Paris
intervient en Libye dans le cadre de la résolution 1973 des
Nations unies, adoptée le 17 mars, qui prévoit de «prendre toutes les mesures nécessaires (...) pour
protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaque».
L'intervention des Nations unies se produit alors que l'Onuci fait l'objet de violentes critiques pour sa «passivité»
face à la crise ivoirienne déclenchée en novembre 2010. Le bilan de la mission des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), déployée en 2004, aujourd'hui forte de 10.000 hommes (dont 7.568
soldats), est désastreux. Depuis 2005, elle a assisté, impuissante, aux reports successifs de la date de l'élection présidentielle, semestre après semestre, et a permis à Laurent
Gbagbo de bénéficier d'un mandat supplémentaire tout entier au pouvoir («un mandat cadeau», comme l'on dit à Abidjan). Le scrutin s'est finalement tenu fin 2010, avec les résultats que
l'on connaît.
Alors que la crise post-électorale a plongé la Côte d'Ivoire, une nouvelle fois, dans le chaos, les Nations unies n'ont pas su se faire entendre davantage. La découverte d'un massacre dans
l'ouest du pays a encore aiguisé les critiques. Au moins 700 casques bleus sont censés être déployés dans le secteur de Duékoué, où 330 personnes au moins ont été tuées, entre lundi 28 et
mercredi 30 mars, selon l'Onu. Le camp d'Alassane Ouattara, accusé d'être responsable d'une grande partie des assassinats, n'a pas manqué, pour sa défense, de reprocher aux
Nations unies d'avoir «abandonné» la zone.
En fait, si Ban Ki-moon demande aux Français de l'opération Licorne d'intervenir, c'est aussi parce qu'il sait que l'Onuci sur place n'a pas les moyens, seule, de rivaliser face
aux blindés de Laurent Gbagbo... En janvier, les Nations unies avaient exigé le déploiement de 2000 casques bleus supplémentaires dans le pays. Les premiers, originaires du Togo
et du Malawi, étaient attendus à la mi-avril. Les hélicoptères de combat des Ukrainiens sont restés pendant des mois à l'arrêt.
3 - Un revirement de la position française, lourd de conséquences
L'offensive marque un tournant dans la position française. L'ancienne puissance coloniale a d'abord essayé de garder ses distances face au conflit ivoirien. En octobre 2010, quelques semaines
avant le scrutin, Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, s'était rendu à Abidjan, où il
avait rencontré les trois principaux candidats à la présidentielle. A l'époque, il avait assuré que «la France n'(avait) pas de candidat». Fin 2010, c'est la
diplomatie africaine, et notamment l'Union africaine, qui semblait à la manœuvre, pour tenter d'arracher une sortie de crise. Nicolas Sarkozy s'était depuis contenté, comme
beaucoup d'autres chefs d'Etat, d'exhorter Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir.
Mais l'attaque libyenne contre le régime de Kadhafi, la découverte d'un massacre dans l'ouest du pays, et la crainte d'un bain de sang imminent à Abidjan, ont, depuis quelques jours, fait voler
en éclats les précautions de Paris. Le 3 avril, sur RTL, le ministre de la défense Gérard Longuet prévenait: «Nous n'avons pas
vocation à être le gendarme de tous les pays en difficulté, sauf si une résolution des Nations unies, que nous acceptons, nous le demande.» Les soldats de la Licorne ont pris le
contrôle de l'aéroport d'Abidjan dimanche. Depuis la fin de semaine dernière, les effectifs de la Licorne ont été relevés de 450 personnes à 1500 hommes.
Cette stratégie est risquée. Alassane Ouattara a certes été élu, mais il aura eu besoin des armes, et des armes des militaires français en particulier, pour s'emparer du pouvoir.
C'est un sérieux motif d'inquiétude pour l'après-Gbagbo. Car le camp du président sortant n'est jamais aussi fort que lorsqu'il s'en prend à l'ancienne puissance coloniale,
accusée d'être la responsable de tous les maux du pays.
Sa rhétorique est d'une redoutable efficacité: Paris agirait en fait depuis le départ, assure le président Gbagbo, pour imposer Ouattara, et ces frappes
françaises en apportent l'éclatante confirmation. De quoi affaiblir encore un peu plus Ouattara, avant qu'il n'entre en fonctions. Sur le terrain, la situation des 13.000
expatriés français reste extrêmement délicate. Deux d'entre eux ont été
enlevés lundi à Abidjan.
L’Afrique du Sud réservée sur les attaques françaises et de l’ONU à Abidjan
PRETORIA - AFP / 05 avril 2011 13h33 - L'Afrique du Sud a exprimé mardi ses réserves face aux attaques par l'ONU et la France des derniers bastions du président ivoirien sortant Laurent Gbagbo à Abidjan, et insisté sur la nécessité de trouver "une solution pacifique" au conflit.
"Je ne me rappelle pas avoir donné un mandat à quiconque pour un bombardement aérien sur la Côte
d'Ivoire", a déclaré la ministre des Affaires étrangères Maite Nkoana-Mashabane, dont le pays siège actuellement au Conseil de
sécurité de l'ONU, lors d'un point de presse à Pretoria.
"Nous ne soutenons pas nécessairement ce que nous n'avons pas voté", a-t-elle ajouté.
Les forces d'Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale, ont lancé la semaine dernière une offensive éclair qui
leur a permis de prendre le contrôle d'une grande partie du pays, mais se sont heurtées à la résistance des pro-Gbagbo à Abidjan.
La mission de l'ONU en Côte d'Ivoire (Onuci) et la force française Licorne ont annoncé avoir tiré lundi depuis des hélicoptères sur des armes lourdes entreposées dans les camps militaires d'Agban
et d'Akouédo, au palais et à la résidence présidentielle.
L'ONU et la France ont expliqué avoir agi en vertu de la résolution 1975 du Conseil de sécurité pour "neutraliser les armes lourdes utilisées contre les populations civiles".
Dans cette résolution votée à l'unanimité le 30 mars, le Conseil de sécurité apporte son "entier
soutien" aux forces de l'ONU en Côte d'Ivoire (Onuci) pour utiliser "toutes les mesures
nécessaires" pour assurer leur mandat qui est de protéger les civils et d'empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre les population civiles.
"L'Afrique du Sud est très inquiète de la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire en Côte
d'Ivoire", a souligné la ministre, en appelant la Communauté économique des Etats d'Afrique du l'Ouest (Cédéao), l'Union africaine (UA) et l'ONU à "persévérer dans leur quête d'une solution pacifique".
L'Afrique du Sud avait accueilli la semaine dernière le chef d'Etat-major de l'armée ivoirienne, Philippe Mangou, qui s'était réfugié à la
résidence officielle de l'ambassadeur sud-africain à Abidjan. La ministre a précisé que l'adjoint au chef de la police avait également trouvé refuge dans cette résidence.
Les deux hommes ont quitté les lieux dimanche. "Un matin, ils se sont levés, et ils ont dit qu'ils voulaient
partir. Nous n'avions pas le droit de les en empêcher", a dit Mme Nkoana-Mashabane.
Elle a par ailleurs démenti des rumeurs selon lesquelles Laurent Gbagbo pourrait s'exiler en Afrique du Sud. "Nous n'avons jamais invité un citoyen d'un quelconque pays à s'exiler chez nous. Laurent Gbagbo n'a pas dit qu'il
voulait l'asile politique en Afrique du Sud", a-t-elle déclaré.
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Abidjan: "nous avons demandé un cessez-le-feu à l'Onuci"
ABIDJAN - AFP / 05 avril 2011 13h59 - Le chef d'état-major de l'armée loyale au président ivoirien sortant Laurent Gbagbo, le général
Philippe Mangou, a déclaré à l'AFP que ses troupes avaient "arrêté les combats" mardi contre les forces d'Alassane Ouattara et "demandé un cessez-le-feu" à l'Onuci.
"Suite au bombardement par les forces françaises de certaines de nos positions et de certains points
stratégiques de la ville d'Abidjan, nous avons nous-mêmes arrêté les combats et nous avons demandé au général commandant (la force onusienne) Onuci un cessez-le-feu", a indiqué le
général Mangou, au lendemain de frappes de l'ONU et de la France.
Ce cessez-le-feu doit permettre de "protéger les populations, les militaires, partant la Garde républicaine
commise à la sécurité du président de la République, le président de la République lui-même et sa famille, et les membres du gouvernement (de son Premier ministre Gilbert Aké
N'gbo)", a-t-il poursuivi.
"Nous demandons à l'Onuci de faire en sorte qu'il n'y ait pas de pillages et de chasse aux
sorcières", a-t-il conclu.
Les forces d'Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale, ont engagé "l'assaut final" lundi soir contre le régime
Gbagbo, aidées par des frappes de l'ONU et de la France contre ses derniers bastions.
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Le président de l'UA dénonce les interventions en Côte d'Ivoire et Libye
GENEVE - AFP / 05 avril 2011 13h32 - Le président en exercice de l'Union africaine (UA), le chef d'Etat équato-guinéen Teodoro Obiang
Nguema, a condamné mardi à Genève les interventions étrangères en Côte d'Ivoire et en Libye.
"Actuellement, on enregistre d'importantes pertes humaines en Côte d'Ivoire", a déclaré M.
Obiang Nguema, lors d'une conférence internationale sur le continent africain.
Il a expliqué que l'Union africaine (UA) exerçait des "pressions" pour que Alassane Ouattara, reconnu par la communauté internationale, soit reconnu comme président de la Côte d'Ivoire, mais cela ne doit pas "impliquer une guerre, une intervention d'une armée étrangère", a-t-il ajouté.
Les combattants d'Alassane Ouattara affrontaient mardi matin à Abidjan les fidèles du chef d'Etat sortant Laurent Gbagbo dont les dernières places fortes ont été bombardées par l'ONU et la France.
Teodoro Obiang Nguema a également rejeté l'intervention militaire étrangère en Libye, où le régime autoritaire du colonel Kadhafi est la cible depuis le 15 février d'une révolte populaire qui s'est transformée en guerre civile entre insurgés et forces loyales au dirigeant.
"Je crois que les problèmes en Libye doivent être résolus de façon interne et non pas au travers d'une
intervention qui peut être apparentée à une intervention humanitaire. Nous l'avons vécu en Irak", a-t-il estimé.
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