Nations Unies S/2011/241
Conseil de sécurité 13 avril 2011
Français
Original : anglais
11-29770 (F) 180411 180411
*1129770* Lundi 25 Avril 2011
22h47
Résumé
Le présent rapport, établi en application des dispositions de la résolution 1612 (2005) du Conseil de sécurité, est le
deuxième rapport de pays sur le sort des enfants en temps de conflit armé en République centrafricaine présenté au Conseil et à son Groupe de travail sur les enfants et les conflits armés. Il
couvre la période allant de décembre 2008 à décembre 2010 et fait suite à mon premier rapport sur la question (S/2009/66) et aux conclusions et aux recommandations formulées par le Groupe de
travail (S/AC.51/2009/2).
Le rapport met en lumière la crise que traverse le pays en matière de protection du fait des combats sporadiques entre les forces gouvernementales et les groupes armés, des nombreux actes de
banditisme et de l’extrême pauvreté de la population.
Cette crise est aggravée par la pénurie de moyens des forces de défense et de sécurité et du pouvoir judiciaire ainsi
que par le manque de débouchés socioéconomiques.
Malgré l’engagement pris par le Gouvernement de mettre un terme à l’emploi et au recrutement d’enfants, leur mobilisation dans les rangs des groupes rebelles et des milices d’autodéfense s’est
poursuivie dans tout le pays au cours de la période considérée. Des enfants ont été mobilisés par l’Armée populaire pour la restauration de la République et de la démocratie, l’Union des forces
démocratiques pour le rassemblement, le Front démocratique du peuple centrafricain, et le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice, qui sont signataires de l’Accord de paix global
conclu à Libreville en 2008. Des enfants étaient également présents dans les rangs de la Convention des patriotes pour la justice et la paix. Peu de progrès ont été enregistrés dans l’élaboration
et l’application de plans d’action par les groupes armés qui avaient signé ledit accord.
Le rapport révèle en outre l’existence d’autres violations graves telles que l’assassinat d’enfants, les violences
sexuelles, les attaques contre des centres de santé et le refus d’autoriser l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans le sud-est, l’Armée de résistance du Seigneur continue d’enlever des enfants
et de les enrôler de force comme combattants, espions, esclaves sexuels et porteurs.
Le rapport indique que les Forces armées nationales, les groupes armés, les milices d’autodéfense et les bandits de
grand chemin sont responsables des violations graves commises à l’encontre des enfants. Il décrit également les programmes mis en place pour faire face aux violations commises.
Enfin, il met l’accent sur les difficultés considérables rencontrées dans les efforts faits pour suivre et signaler les
violations graves commises contre des enfants, et y remédier, et il contient une série de recommandations visant à intensifier l’action menée pour protéger les enfants en République
centrafricaine.
I. Introduction
1. Le présent rapport, établi en application des dispositions des résolutions 1612 (2005) et 1882 (2009) du Conseil de
sécurité, qui couvre la période allant de décembre 2008 à décembre 2010 est mon deuxième rapport sur la situation des enfants en République centrafricaine. Il porte principalement sur les
violations graves dont sont victimes des enfants et sur les progrès accomplis pour mettre un terme à ces violations, comme suite aux recommandations énoncées dans mon précédent rapport
(S/2009/66) et aux conclusions formulées par le Groupe de travail sur les enfants et les conflits armés du Conseil de sécurité (S/AC.51/2009/2).
2. Au cours de la période considérée, il est demeuré difficile de suivre et de signaler les violations graves commises à
l’encontre d’enfants, essentiellement en raison de problèmes de sécurité, de logistique et de capacité. De ce fait, le groupe technique de surveillance et de communication de l’information de
l’ONU n’a pas toujours été en mesure de vérifier les informations contenues dans le présent rapport, ce qui a été dûment indiqué dans chaque cas. Par ailleurs, vu le petit nombre de violations
signalées par les victimes, les données recueillies au cours de la période considérée ne rendaient que partiellement compte des graves violations dont ont été victimes des enfants dans les zones
touchées par le conflit.
II. Aperçu de la situation politique et des conditions de sécurité
3. L’Accord de paix global, signé à Libreville entre le Gouvernement de la République centrafricaine, l’Armée populaire
pour la restauration de la République et la démocratie (APRD) et l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) le 21 juin 2008, prévoyait, entre autres, la promulgation par le
Gouvernement d’une loi d’amnistie générale et le désarmement, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants de l’APRD et de l’UFDR. Cet accord a été ultérieurement signé par le
Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) le 7 décembre 2008 et l’Union des forces républicaines (UFR) le 15 décembre 2008. Il a abouti à l’organisation, en décembre 2008,
d’une concertation politique sans exclusive entre le Gouvernement de la République centrafricaine, les partis représentant l’opposition politique et armée, y compris les signataires de l’Accord
de paix global et les représentants de la société civile. Les partis sont convenus d’organiser des élections présidentielles et législatives, de réformer le secteur de la sécurité et de mettre en
oeuvre un programme de désarmement, démobilisation et réintégration. Le 3 juillet 2009, le Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) a adhéré au processus de paix en République
centrafricaine.
4. Depuis la signature de l’Accord de paix global, aucune attaque grave n’a été signalée dans les préfectures de
l’Ouham, de l’Ouham-Pendé et de la Nana-Gribizi dans le nord-ouest au cours de la période considérée. L’UFDR, qui contrôle certaines zones dans les préfectures de la Vakaga et de la Haute-Kotto
dans le nord-est, lançait souvent des opérations, en coordination avec les Forces armées centrafricaines (FACA) contre l’Armée de résistance du Seigneur. Tout au long de la période considérée,
des accrochages ont eu lieu ici et là entre la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) et les FACA, notamment à Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran) en novembre 2009 et
avril 2010, et à Birao (préfecture de la Vakaga) en juillet et novembre 2010. La CPJP n’est pas signataire de l’Accord de paix global de Libreville, et les efforts visant à engager des
négociations de paix avec ce groupe n’ont pas porté leurs fruits.
En outre, des combats ont éclaté périodiquement entre le FDPC et les FACA qui cherchaient à s’assurer le contrôle de
l’axe Kabo-Sido dans la région du centre-nord en 2010.
5. Le premier tour des élections présidentielles et législatives, initialement prévu pour le 25 avril 2010 et reporté à
deux reprises en raison de difficultés techniques, a eu lieu le 23 janvier 2011. Le 12 février 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré que le Président François Bozizé avait remporté les
élections au premier tour. Le deuxième tour des élections législatives, boycotté par l’opposition, a eu lieu le 27 mars pour allouer 69 des 105 sièges de l’Assemblée nationale.
6. S’agissant des éléments armés étrangers présents en République centrafricaine, l’Armée de résistance du Seigneur a continué, tout au long de la période considérée, à lancer des attaques dans
l’est et le sud-est (préfectures du Haut-Mbomou, du Mbomou et de la Haute-Kotto) ainsi que dans le nord-est (préfecture de la Vakaga).
En 2009 et 2010, les Forces de défense populaires de l’Ouganda (FDPO) ont lancé, avec l’assentiment du Gouvernement
centrafricain, des opérations militaires dans les préfectures de l’est et du sud-est (Haute-Kotto, Mbomou et Haut-Mbomou) en vue de démanteler l’Armée de résistance du Seigneur.
7. Outre les groupes armés nationaux et étrangers, des bandits de grand chemin, les Zaraguinas ou coupeurs de route, ont
continué d’opérer dans le nord, se livrant à des attaques, à des enlèvements et à des extorsions de biens et de fonds. Diverses informations faisaient état de tortures et d’exécutions de civils
par les Zaraguinas et de déplacements de populations lesquelles avaient abandonné leurs villages, leurs foyers et leurs champs à la suite des attaques menées par ces bandits de grand
chemin.
8. La Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT), qui a été déployée dans la ville de
Birao, située dans le nord-est (préfecture de la Vakaga), de mars 2008 à novembre 2010, avait eu un impact positif mais limité dans sa zone de déploiement. Comme suite à la décision prise par le
Conseil de sécurité de mettre fin au mandat de la MINURCAT, le contingent de la Mission s’était retiré de Birao le 15 novembre. La CPJP a attaqué la ville le 24 novembre, prenant pour cible la
base des FACA, et incitant les Forces armées tchadiennes à pénétrer sur le territoire de la République centrafricaine et à attaquer les positions de la CPJP à Birao, avec l’accord du Gouvernement
centrafricain.
L’armée tchadienne est restée à Birao pendant plusieurs semaines après cette attaque.
9. Le 1er janvier 2010, le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République
centrafricaine (BINUCA) a été créé et avait reçu pour mission notamment de s’assurer que la protection de l’enfance était traitée comme il se doit dans la mise en oeuvre de l’Accord de paix
global et le processus de désarmement, démobilisation et réintégration, y compris en soutenant le mécanisme de surveillance et de communication de l’information établi conformément aux
résolutions 1539 (2004) et 1612 (2005) (voir S/PRST/2009/5).
10. La Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), qui a été déployée par la Communauté économique
des États de l’Afrique centrale, a succédé à la Force multinationale de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale en juillet 2008. Cette mission a été déployée à Bangui et dans
le nord du pays, notamment dans les préfectures de l’Ouham-Pendé (Paoua et Bozoum) et la Nana-Gribizi (Kaga-Bandoro) et avait pour mission de consolider la paix et la sécurité, d’appuyer la
réforme du secteur de la sécurité et l’organisation d’élections, de coordonner l’aide humanitaire et d’aider à veiller au respect des droits de l’homme, en particulier des droits des femmes et
des enfants. La MICOPAX a été déployée à Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran) au début de 2011.
11. Dans le nord-ouest et dans les zones où sévissait l’Armée de résistance du Seigneur dans l’est et le sud-est, les
milices d’autodéfense locales assurent la protection des populations locales contre les bandes de criminels armés et autres éléments armés. Ces milices jouissent du soutien des autorités, en
l’absence de forces de défense et de sécurité nationales en nombre suffisant.
III. Violations graves commises contre des enfants : tendances et incidents
12. L’insécurité continue d’entraver la réalisation de progrès dans le respect des droits des enfants. De graves
violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont été commises par toutes les parties au conflit, y compris les forces armées nationales, les
groupes rebelles et les groupes d’autodéfense. Les combats sporadiques entre les forces gouvernementales et les groupes armés, les actes de banditisme généralisés, de même que l’extrême pauvreté
de la population ont contribué à créer un vide sécuritaire dont ont particulièrement souffert les femmes et les enfants. Les civils ont été victimes de violences physiques et sexuelles, et perdu
leurs biens et leurs moyens de subsistance. Au cours de la période considérée, de nombreux civils dans les zones touchées par le conflit ont fui leurs villages et leurs foyers à la suite
d’attaques de groupes armés ou en prévision de ces attaques.
13. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime qu’à la fin de 2010, la République
centrafricaine comptait environ 192 000 personnes déplacées et près de 24 000 réfugiés de la République démocratique du Congo, du Soudan et du Tchad, et qu’en outre, 162 000 réfugiés
centrafricains se trouvaient dans les pays voisins. Sur les 192 000 personnes déplacées, plus de 25 000 étaient des civils déplacés depuis février 2010 par les attaques ou les craintes d’attaques
de l’Armée de résistance du Seigneur dans les préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou. Dans l’est, sur ces 25 000 personnes, 6 000 civils déplacés ont été signalés dans la ville de Rafai et 7 000
dans la ville de Zémio (préfecture du Haut-Mbomou dans le sud-est) à la suite des attaques lancées par l’Armée de résistance du Seigneur en avril 2010. Dans tout le pays, ces déplacements ont eu
d’importantes répercussions sur la vie des résidents des villes où les populations déplacées se sont regroupées.
14. S’il convient de reconnaître les efforts faits par le Gouvernement centrafricain pour assurer le respect des normes
internationales relatives aux droits de l’homme, peu de progrès ont été réalisés dans le domaine de la protection de l’enfance en raison de la persistance du conflit armé mais aussi de l’attitude
de la société à l’égard de la violence sexiste, de la discrimination sexuelle, des mauvais traitements et de l’exploitation des enfants. Comme les naissances ne sont pas systématiquement
enregistrées, il était encore plus difficile de remédier aux violations graves, parce qu’il est souvent impossible de prouver l’âge de la victime.
D’après les statistiques officielles, seulement 49 % des naissances ont été enregistrées à l’échelon national en 2010.
A. Recrutement et emploi d’enfants
15. Pendant la période considérée, le recrutement d’enfants par des groupes armés est demeuré gravement préoccupant, en
particulier dans le nord-est et l’est du pays.
16. Si le désarmement, la démobilisation et la réintégration de 525 enfants associés à l’APRD entre juin 2008 et
décembre 2010 constituait un progrès considérable, l’Organisation des Nations Unies a reçu des informations indiquant que des enfants – garçons et filles –, se trouvaient toujours au sein de ce
groupe armé. Les commandants de l’APRD ont nié avoir recruté délibérément des enfants et expliqué que ceux-ci s’étaient engagés de leur plein gré pour recevoir nourriture et
protection.
17. Dans le nord, l’UFDR, la CPJP et les milices d’autodéfense locales continueraient d’employer des enfants qu’on a vu
se battre dans leurs rangs au cours de l’attaque lancée contre Birao (préfecture de la Vakaga) par la CPJP le 24 novembre 2010. L’ONU demeurait préoccupée par la présence d’enfants parmi les
milices d’autodéfense, en particulier dans le nord-ouest et les zones où sévissait l’Armée de résistance du Seigneur. L’Organisation a continué de s’employer à convaincre les autorités
centrafricaines de la nécessité de mettre un terme à l’emploi et au recrutement d’enfants par tous les éléments armés, y compris les groupes d’autodéfense.
18. Il a également été signalé que le FDPC, qui avait refusé de participer au processus de désarmement, démobilisation
et réintégration, avait continué d’employer des enfants près de Kabo (préfecture de l’Ouham). D’après des témoignages, des enfants se trouveraient dans les rangs du MLJC dans la préfecture de la
Vakaga.
19. D’après des informations reçues par l’ONU, l’Armée de résistance du Seigneur s’est livrée, au cours de la période
considérée, à des enlèvements et au recrutement par la force d’enfants dont elle se servirait comme combattants, espions, domestiques, esclaves sexuels et porteurs. En 2010, le recrutement
transfrontière d’enfants enlevés en République démocratique du Congo et au Soudan et emmenés en République centrafricaine par l’Armée de résistance du Seigneur a été signalé, notamment par des
enfants qui s’étaient échappés de l’Armée de résistance du Seigneur. Plusieurs de ces informations sont examinées plus loin (voir par. 29 et 30).
Assassinat et mutilation
d’enfants
20. Des assassinats d’enfants ont continué d’être signalés à l’ONU au cours de la période considérée. Dans le
nord-ouest, 18 Peuls, dont 4 enfants, auraient été tués par l’APRD à Taley, près de Markounda (préfecture de l’Ouham-Pendé) en février 2010. Dans le nord, une jeune fille de 16 ans a été tuée au
cours d’une attaque lancée par des éléments de la CPJP contre Kpata, près de Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran) le 26 octobre 2010.
21. Dans le sud-est, en particulier dans les préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou ainsi que dans certaines localités de la préfecture de la Haute-Kotto, l’Armée de résistance du Seigneur a
lancé de multiples attaques aveugles, à la fois contre des adultes et des enfants. Des éléments de l’Armée de résistance du Seigneur ont tué, le 3 novembre 2009, au moins trois enfants de 12 à 15
ans, dont une fillette qui a été battue à mort. À Nguiriguiri (préfecture du Haut-Mbomou), un garçon de 14 ans a été grièvement blessé par l’Armée de résistance du Seigneur le 5 novembre 2009.
Lors d’une autre attaque encore, le 21 février 2010, à Agoumar (préfecture du Haut-Mbomou) 14 villageois, dont des enfants, ont été tués par cette armée qui aurait pris cette mesure de
représailles pour se venger des blessures infligées à l’un de ses éléments quelques jours auparavant.
22. Des mutilations avaient été signalées dans mon précédent rapport; en revanche, aucune information dans ce sens n’a
été reçue au cours de la période considérée. Cela ne signifie pas pour autant que les mutilations ont été inexistantes durant cette période; mais il se pourrait simplement que les problèmes de
collecte et de vérification des données expliquent cette absence d’information.
C. Viols et autres agressions sexuelles graves
23. Les viols et autres agressions sexuelles commis contre des enfants sont demeurés un motif de vive préoccupation au
cours de la période considérée.
Pourtant, ces incidents étaient toujours très loin d’être tous signalés, les victimes hésitant à demander de l’aide ou à
faire état de ces violations pour diverses raisons, telles que les facteurs culturels, la stigmatisation du public, la crainte de représailles et le manque de confiance dans le système
judiciaire. De ce fait, lorsque des agressions sexuelles sont commises, y compris contre des enfants, les victimes ne portent pas souvent plainte auprès des organes judiciaires. Les autorités
traditionnelles cherchent plutôt à négocier un règlement entre la famille de la victime et l’agresseur dans le cadre des systèmes de justice locaux. Lorsque les victimes portent plainte, c’est
souvent plusieurs jours ou semaines après l’incident et en présence de leurs parents. L’application inefficace des lois a contribué à
l’impunité et est aggravée par l’absence de mesures de protection pour séparer les victimes de violences sexuelles de leurs agresseurs qui sont connus au sein de leur communauté.
24. Selon une étude financée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), 25 % des cas signalés de viols et
autres agressions sexuelles graves commis contre des enfants en 2010 étaient le fait d’éléments armés, notamment des Zaraguinas. Dans l’est et le sud-est, des enlèvements de fillettes aux fins
d’esclavage sexuel ont été signalés par plusieurs victimes qui avaient réussi à s’échapper de l’Armée de résistance du Seigneur. Au nord de Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran), des actes
de violence sexuelle, notamment contre des enfants, auraient été commis par des éléments de la CPJP entre mars et juin 2010 dans plusieurs villages, dont Gozbeida et Zoukoutouniala.
D. Attaques contre des écoles et des hôpitaux
25. Le secteur de l’éducation a gravement souffert du climat d’insécurité, surtout dans l’est. Le taux d’abandon
scolaire, qui est demeuré élevé dans tout le pays au cours de la période considérée, a été estimé à 53 % en 2010. Si les établissements scolaires n’étaient pas expressément visés par les groupes
armés opérant dans l’est, la crainte d’incursions par ces groupes, notamment l’Armée de résistance du Seigneur, décourageait les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. On a également signalé
que des écoles dans plusieurs villages des préfectures du Mbomou (Rafai et Dembia en particulier) et du Haut-Mbomou (Zemio et des villages près d’Obo) ont été fermées de la mi-mai à septembre
2010 en raison des opérations menées par l’Armée de résistance du Seigneur.
26. Le BINUCA a appris que des éléments de la CPJP avaient occupé plusieurs écoles dans des villages situés à proximité
de Bria (préfecture de la Haute-Kotto) entre mai et juillet 2010. En outre, à la suite de l’occupation de la ville d’Ippy (préfecture de l’Ouaka) par la CPJP en octobre 2010, les écoles avaient
fermé et une grande partie de la population avait fui la ville.
27. En raison de l’insécurité, la plupart des écoles dans les zones touchées par le conflit manquaient d’enseignants qualifiés. On a signalé que des enseignants avaient fui leurs villages ou
avaient été enlevés et assassinés, encore que l’on ne sache pas exactement si les enseignants étaient pris pour cible en raison de leur profession.
Plusieurs villages ont tenté de remédier à la pénurie d’enseignants en employant des parents, les « maître-parents »,
qui n’étaient généralement pas titulaires d’un diplôme d’études secondaires.
28. Plusieurs centres de santé ont été pillés au cours de l’attaque lancée contre des villages dans l’est et le nord du
pays, en particulier dans les préfectures du Mbomou, du Haut-Mbomou, de la Haute-Kotto, de la Vakaga et de la Bamingui-Bangoran. Au nord de Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran), le pillage
de centres de santé par la CPJP a été signalé en avril 2010 dans les villages d’Akrousoulbak et de Zoukoutouniala. Les forces de défense et de sécurité nationales ont par la suite incendié ces
villages à titre de représailles. Dans les préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou, des villages ont été détruits et plusieurs centres de santé pillés au cours des multiples attaques lancées par
l’Armée de résistance du Seigneur.
Lors d’une attaque contre la ville de Birao dans la préfecture de la Vakaga, l’Armée de résistance du Seigneur a pillé
des centres de santé le 10 octobre 2010. Dans la même préfecture, elle a attaqué la ville de Ouanda-Djalé le 5 septembre 2010. Des maisons ont été incendiées et le centre médical, qui bénéficiait
de l’assistance de l’International Medical Corps, a été pillé.
E. Enlèvements
29. Les enlèvements d’enfants par l’Armée de résistance du Seigneur en République centrafricaine, surtout dans le
sud-est, demeurent un motif de préoccupation. En mai 2009, à la suite d’une attaque lancée contre Yangou-Pendéré (préfecture de la Haute-Kotto), 36 civils, dont 11 enfants et 3 nourrissons, ont
été enlevés. En août 2009, 45 civils, dont 11 enfants, ont été enlevés au cours de l’attaque contre Nzako et Bani (préfecture de la Haute-Kotto), mais ont été relâchés un mois plus tard par
l’UFDR à proximité de Bria. En octobre 2009, l’Armée de résistance du Seigneur a attaqué à deux reprises Baroua, dans la préfecture du Mbomou et a enlevé 29 personnes, dont 7 enfants. En décembre
2009, 2 femmes, 2 hommes et 1 fillette de 10 ans ont été enlevés par l’Armée de résistance du Seigneur qui avait attaqué le village de Kadjemah à 45 kilomètres d’Obo, dans la préfecture du
Haut-Mbomou. Le 10 octobre 2010, 9 enfants (8 filles et 1 garçon) ont été enlevés par des éléments de l’Armée de résistance du Seigneur au cours de l’attaque lancée contre la ville de Birao. Ils
ont été relâchés deux semaines plus tard par le MLJC et l’UFDR.
30. Des filles, qui s’étaient enfuies, après avoir été enlevées par l’Armée de résistance du Seigneur, ont fourni des
informations sur les enlèvements transfrontières. L’une d’entre elles, originaire du Soudan, qui s’était échappée en septembre 2010, a témoigné qu’elle avait été enlevée dans le Sud-Soudan en
2007 par l’Armée de résistance du Seigneur, qui l’avait ensuite emmenée en République centrafricaine. Elle était enceinte lorsqu’elle s’est échappée et a accouché dans un centre de transit
bénéficiant de l’assistance de l’ONU à Bangui. Elle a retrouvé sa famille dans le Sud-Soudan en octobre 2010. Une autre adolescente, qui s’était échappée de l’Armée de résistance du Seigneur en
décembre 2010, a déclaré à l’ONU qu’elle avait été enlevée en octobre 2010 dans le village de Nguelema près de Dungu en République démocratique du Congo, puis emmenée en République
centrafricaine. Au moment de l’établissement du présent rapport, elle se trouvait toujours dans un centre de transit bénéficiant de l’assistance de l’UNICEF à Bangui pendant que le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) s’efforçait de retrouver sa famille en République démocratique du Congo. En 2009 et 2010, l’ONU a enregistré 26 enfants (7 garçons et 19 filles) de
nationalité congolaise, ougandaise, soudanaise et centrafricaine, qui, après s’être échappés de l’Armée de résistance du Seigneur, avaient été rapatriés et réunis avec leur famille.
F. Refus d’autoriser l’acheminement de l’aide
humanitaire
31. Au cours de la période considérée, l’acheminement de l’aide humanitaire a été difficile et limité dans certaines
régions du nord, du nord-est et du sud-est en raison des activités des groupes armés et de l’Armée de résistance du Seigneur. À diverses reprises, les négociations sur l’accès des secours
humanitaires ont été compliquées par un manque de clarté dans la chaîne de commandement des parties, notamment au sein du FDPC à Kabo (préfecture de l’Ouham). Dans quelques cas, cet accès a été
refusé par les groupes armés, ce qui a empêché les organismes internationaux de réunir des données établissant l’existence de graves violations à l’encontre d’enfants et de rendre compte de ces
violations. À la fin de 2010, les activités humanitaires avaient été réduites dans trois préfectures (Bamingui-Bangoran, Nana-Gribizi et Ouham), en raison de l’insécurité, du manque d’accès aux
populations vulnérables et des difficultés rencontrées dans les négociations avec les groupes armés.
32. Dans le nord, des organisations internationales ont été victimes, en 2010, de plusieurs attaques de la part de
l’UFDR, du FDPC et de l’APRD. En septembre, un groupe armé non identifié a pillé une antenne médicale mobile d’une organisation non gouvernementale internationale près de Ndélé (préfecture de la
Bamingui-Bangoran) dans la zone tenue par l’UFDR. Le même mois, des rebelles du FDPC ont attaqué un convoi du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur la route menant de
Ouandago à Kabo (préfectures de la Nana-Gribizi et de l’Ouham). Le 20 octobre, des convois de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont été arrêtés
par des éléments de l’APRD à Gouzé (préfecture de l’Ouham-Pendé) qui leur ont demandé de l’argent lors du passage à un point de contrôle. Lorsque les convois ont tenté de rebrousser chemin, des
rebelles leur ont barré la route jusqu’à ce qu’ils versent la somme en question. Le 21 octobre, des rebelles de l’APRD ont immobilisé un convoi de la MICOPAX à Paoua (préfecture de
l’Ouham).
33. À la suite d’une attaque lancée contre la ville de Ndélé (préfecture de la Bamingui-Bangoran) le 25 novembre 2009
par des éléments de la CPJP à bord de deux véhicules volés appartenant à une organisation non gouvernementale internationale, le Gouvernement a interdit à ces organisations d’emprunter les
principaux axes routiers aux alentours de Ndélé, sous le prétexte que les organismes d’aide humanitaire attisaient le conflit en apportant leur soutien aux groupes armés.
À la suite de négociations intensives menées par l’ONU, les autorités ont fini par autoriser les organismes humanitaires
à se rendre à Ndélé en juillet 2010.
34. Dans le nord-est, une série d’attaques armées et d’actes de banditisme se sont produits au cours de la période
considérée. De ce fait, les agents humanitaires ont été évacués et les activités humanitaires ont été pratiquement interrompues dans la région. À la fin du mois de novembre 2009, deux agents
humanitaires de l’organisation non gouvernementale internationale Triangle Génération Humanitaire ont été enlevés à leur domicile au centre de Birao. Les deux otages ont été relâchés cinq mois
plus tard au Soudan. Au cours de l’attaque lancée par la CPJP contre Birao le 24 novembre 2010, un fonctionnaire national du Comité d’aide médicale a été mortellement blessé par une balle perdue.
On a signalé que le bureau de Triangle Génération Humanitaire à Birao avait été pillé à plusieurs reprises, mais les auteurs de ces pillages n’ont pu être identifiés. Ces incidents ont contraint
les organismes humanitaires à restreindre leurs déplacements. À la fin de 2009, seuls le CICR, l’International Medical Corps, le Comité d’aide médicale et Triangle Génération Humanitaire étaient
présents dans la préfecture de la Vakaga. Les populations rurales, surtout les enfants, ont gravement souffert du départ des organisations non gouvernementales internationales de la Vakaga, qui
les prive de l’aide humanitaire dont elles ont besoin.
35. Au cours de la période considérée, l’acheminement de l’aide humanitaire a été limité en raison de problèmes de
sécurité et de logistique dans les préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou dans l’est du pays. Lors d’une attaque contre un convoi de l’organisation non gouvernementale internationale
Cooperazione Internazionale près d’Obo (préfecture du Haut-Mbomou) le 21 septembre 2009, deux agents humanitaires ont été tués et un autre grièvement blessé. Le climat d’insécurité régnant dans
ces préfectures où sévissait l’Armée de résistance du Seigneur a contraint l’ONU à faire appel à des escortes armées pour accompagner les convois de secours humanitaires transportés par la route,
ce qui a gravement entravé l’acheminement de l’aide aux populations rurales déplacées. (à suivre...)