Dans une précédente note intitulée « De la compétence de l’assemblée nationale en matière de révision constitutionnelle : Opinion dissidente », nous avions démontré par une analyse objective, que la Constitution du 30 mars 2016 ne confère aucun titre attributif de compétence à la Cour constitutionnelle centrafricaine pour juger de la constitutionnalité, ni d’un projet ou proposition de révision constitutionnelle, ni d’une loi de révision votée par le parlement ou par référendum.
Par conséquent, si la Cour venait à être saisie aux fins d’un contrôle de constitutionnalité d’une loi de révision constitutionnelle (et non pour donner un avis sur un projet ou une proposition de loi de révision), celle-ci devrait en toute logique se déclarer incompétente.
Par le truchement d’une déformation malveillante de nos propos, certains ont perçu à nous lire que nous avions dénié à la Cour toute compétence en matière de révision constitutionnelle. Alors que nous nous sommes prononcés très nettement sur l’incompétence de la Cour constitutionnelle en matière de contrôle de constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle. Il ne s’agissait donc pas de lui dénier une compétence en matière d’avis à donner sur les projets ou propositions de révision constitutionnelle.
Il n'est en rien scandaleux que de constater que la Cour constitutionnelle de notre pays n’a pas compétence pour juger de la constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle. Cette vérité paraît trop étrangère à la logique contestataire de certains auteurs pour s'imposer avec facilité dans leurs esprits. C’est pourquoi, ce travail d’analyse nous a valu toutes sortes de qualificatifs et a fait naitre dans des esprits chagrins les théories les plus fantasques sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, tant elles sont triviales et grossières.
Nous nous bornerons simplement à dire que nous ne faisons pas de la politique mais du Droit. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que notre position, inchangée, à propos de la proposition de loi de révision, était la suivante : « (…) la solution envisagée, portant sur la modification des articles 35 et 68 est contestable. Nous pensons que la révision envisagée ne doit avoir ni pour objet ni pour effet la prolongation de la durée du mandat présidentiel. Indépendamment de son inefficacité au regard de l’enjeu ci-dessus exposé, le choix fait par la majorité parlementaire a contribué à fausser les termes du débat et a fait naître une polémique inutile sur une éventuelle violation des dispositions des articles 35, 68 et 153 de la Constitution (…) on pourrait donc envisager de modifier l’article 36 pour y introduire de nouveaux alinéas comportant notamment de fortes conditionnalités ». Dès lors, nous faire le reproche de la partisannerie est selon nous la preuve du caractère ombrageux de certains positionnements politiques qui mettent en évidence des raisons cachées et inavouées. Ce n’est pas notre lot et nous nous y refusons.
Par conscience citoyenne, nous avons décidé de participer à un débat juridique qui concerne la vie de notre pays. Ce n’était donc pas pour transformer ce débat juridique en une enceinte d’expression de la haine, de l’indignation sélective des courtisans qui espèrent ainsi écarter toute réflexion et toute discussion juridique sur le fond.
Il est profondément regrettable, pour ne pas dire inquiétant, de voir que tout débat d’idée dérive toujours dans ce pays en procès d’intention diligenté par les auto-proclamés défenseurs du peuple. C’est le lieu d’attirer l’attention de nos compatriotes sur l’extrême dangerosité de ce type de comportement indigne dans une démocratie. Nul n’est besoin d’être grossier, diffamant et insultant pour être conséquent. Nous devons tous nous inscrire dans la logique de l’écoute, du respect de l’autre et de l’humilité pour résoudre nos difficultés. Cette exigence est fondamentale et indispensable pour la construction d’une société apaisée. Gardons-nous donc toujours de traiter un concitoyen ou tout autre personne avec mépris et condescendance au seul motif qu’il ne serait pas du même avis que nous.
Une fois de plus, nous allons faire l’effort de clarifier les termes du débat sans tomber dans la trivialité. La question à laquelle nous allons répondre est celle de savoir si la compétence de la Cour constitutionnelle en matière de révision constitutionnelle est une compétence juridictionnelle ou consultative ? A l’évidence, la réponse à cette interrogation ne souffre d’aucune ambiguïté mais il importe de la rappeler.
D’aucuns ont considéré, à tort, que la Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler la constitutionalité des lois de révision constitutionnelle, et cela en vertu des articles 95 et 105 de la Constitution du 30 mars 2016. L'analyse pourtant ne séduit guère et nous ne pouvons qu’y être hostile, tant il nous paraît difficile de soutenir que la Cour constitutionnelle est compétente en matière de contrôle de constitutionnalité des lois de révision constitutionnelle. C’est une interprétation manifestement erronée des dispositions constitutionnelles en ce qu’elle étend illégalement la compétence consultative de la Cour constitutionnelle. En effet, aux termes de l’article 95 tiret 1, la Cour constitutionnelle « (…) est chargée de juger de la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires, déjà votées ou simplement promulguées ». La compétence consultative de la Cour est fondée sur les dispositions de l’article 95 tiret 9 qui dispose que la Cour est compétente pour « (…) donner son avis sur les projets ou propositions de révision constitutionnelle et la procédure référendaire ».
Par suite, l’article 105 dispose : « Les projets ou propositions de loi constitutionnelle sont déférés pour avis à la Cour constitutionnelle par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat (…) ». Ces dispositions claires et précises ne peuvent servir de base à un contrôle de constitutionnalité d’une loi de révision constitutionnelle. L’article 105 signifie que la Cour constitutionnelle ne peut exercer sa fonction consultative, en matière de révision, qu’à la condition d’être saisie par une des autorités suivantes : le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat
Malgré la clarté de ces dispositions, la fonction consultative de la Cour constitutionnelle fait aujourd’hui l’objet d’une extrapolation au mépris d’une distinction élémentaire qu’il y a lieu de faire entre un avis et une décision. L’incongruité d’une telle confusion appelle de notre part une précision :
L’argument tiré des articles 95 et 105 pour fonder une compétence de la Cour en matière de contrôle de constitutionnalité d’une loi de révision constitutionnelle est spécieux et, à bien des égards, téméraire. Il existe un principe constitutionnel connu de tout juriste et selon lequel la Cour constitutionnelle n’exerce sa compétence que dans les cas expressément prévus par la Constitution. La rigueur juridique interdit à d’autres textes de restreindre ou d’élargir la compétence de la Cour. Autrement dit, la compétence de la Cour constitutionnelle est une compétence matérielle d’attribution. Malgré les dénégations hasardeuses des uns et des autres, nous réitérons donc que la Cour constitutionnelle centrafricaine n’a pas compétence pour contrôler les lois de révision constitutionnelle. En matière de révision constitutionnelle, sa compétence ne se limite qu’à donner un avis (non contraignant) sur les projets ou propositions de loi de révision constitutionnelle (article 95 tiret 9).
Nul ne se laissera donc abuser par cette manipulation purement politique qui consiste à confondre avis et décision de la Cour. En effet, aucun constitutionnaliste de stricte obédience, un minimum sérieux, ne peut ignorer cette distinction élémentaire. En effet, la Cour constitutionnelle centrafricaine a une fonction consultative qu’il faut distinguer de sa fonction juridictionnelle. Nous souscrivons totalement à l’analyse de Maître SANDO sur « l’incompétence juridictionnelle de la Cour constitutionnelle en matière de révision de la loi constitutionnelle ». Il a très justement rappelé, à propos de l’article 95, qu’il « ressort de ce texte que le pouvoir juridictionnel de la Cour constitutionnelle concerne les lois organiques et les lois ordinaires ». Autrement dit, la Cour n’a aucune compétence en matière de loi de révision constitutionnelle. Tout au plus, peut-elle émettre qu’un avis. Les avis sont rendus sur demande, auquel cas il s’agit bien d’une consultation au sens strict du terme. Étant observé, au demeurant, que les avis ne sont pas, en général, une réponse précise à une demande ciblée.
Pour rappel, selon le dictionnaire Larousse, l’avis est un « point de vue exprimé officiellement par un organisme, une assemblée, après délibération, et n’ayant pas force de décision ». Selon le dictionnaire Cornu de vocabulaire juridique, l’avis est « une opinion donnée à titre consultatif (…) les avis supposent une demande préalable de l’autorité investie du pouvoir de décision ; si celle-ci peut être contrainte de les solliciter (consultation obligatoire) elle n’est pas, en général, tenue de s’y conformer à moins qu’un texte ne le prescrive expressément (on reconnait cette dernière exigence à l’emploi de la formule « sur avis conforme »). Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 19 alinéa 3 de la loi organique n°17.004 du 15 février 2017, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « Les avis de la Cour constitutionnelle ont une valeur consultative ».
En l’espèce, il suffit de savoir lire pour constater que les articles 95 tiret 9 et 105 de la Constitution font référence à un avis (non conforme) qui par définition n’est pas une décision revêtue de la force obligatoire. Autrement dit, l’avis n’est qu’une opinion consultative de la Cour constitutionnelle qui, juridiquement, ne s’impose pas aux pouvoirs publics. C’est pourquoi, aux termes de l’article 106 de la Constitution, seules « les décisions de la Cour constitutionnelle (…) s’imposent aux pouvoirs publics, juridictionnelles, et à toute personne physique ». La fonction consultative n’est donc pas concernée par cette disposition.
Par conséquent, nous sommes forcés de constater que le pouvoir constituant, dans toute sa sagesse, a fait le choix de laisser aux autorités politiques, la responsabilité de décider de la suite à donner au projet ou proposition de révision constitutionnelle. Rien d’étonnant, selon nous, car réviser la Constitution est une décision souveraine qui présente le caractère d’un acte de gouvernement dont il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle d’apprécier, ni l’opportunité, ni la matière. L’avis de la Cour en matière de révision ne peut donc jamais contraindre, juridiquement, les pouvoirs publics.
De la même manière, en matière de mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels, la Cour constitutionnelle ne fait qu’émettre un avis sur la réunion des conditions exigées par l’article 43 de la constitution. La mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels exige d’ailleurs l’avis de différents acteurs. Chacun comprendra que ce concours est judicieux pour « juger » de la normalité de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels.
Selon la doctrine juridique française relative aux pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution française de 1958, « le cas de force majeure dispense de l’avis ». Voilà qui devrait mettre fin à toute gesticulation théâtrale au sujet de l’application la force majeure au droit constitutionnel. Cette possibilité de dispense pour cas de force majeure est bien la preuve, s’il en été encore besoin, que l’avis n’est que consultatif et non indispensable. On ne saurait donc forcer l’interprétation de la Constitution, dès lors qu’à l’évidence, il n’a pas été prévu, à l’origine, qu’un avis contraignant puisse être donné sur la révision constitutionnelle.
L’exigence constitutionnelle d’une consultation officielle de la Cour constitutionnelle au sujet d’un projet ou d’une proposition de révision constitutionnelle (article 95), de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels (article 43) ou du référendum (article 41), a pour unique but de permettre à l’opinion publique d’exercer une certaine pression politique, à défaut de pouvoir empêcher la révision sur le plan juridique. C’est dire que la fonction consultative à une influence non négligeable qu’il ne faut pas sous-estimer certes, mais qu’il ne faut pas non plus extrapoler. Autrement dit, l’avis de la Cour ne lui permet d’exercer qu’une « magistrature d’influence » sur les autorités politiques. Dès lors, en passant outre un avis défavorable de la Cour constitutionnelle, l’autorité de saisine n’encourt aucun grief d’inconstitutionnalité.
Enfin, il est permis de considérer que la saisine de la Cour constitutionnelle pour avis n’est pas une obligation au sens juridique. En effet, aux termes des dispositions de l’article 97, « Le président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, le Premier Ministre ou un quart (1/4) des membres de chaque chambre du Parlement peuvent saisir la Cour d’une demande d’avis ». L’emploi du verbe « pouvoir » signifie que la saisine pour avis est facultative.
Par suite, l’article 105 dispose : « Les projets ou propositions de loi constitutionnelle sont déférés pour avis à la Cour constitutionnelle par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat avant d’être soumis au vote du Parlement ou au référendum ». Quel sens donner à ce texte ? On peut d'abord y lire une véritable obligation de saisine de la Cour pour avis. Inutile de dire que cette interprétation n’emporte pas notre adhésion. En réalité, il ne s’agit que d’un simple rappel de la possibilité, pour les pouvoirs publics, de saisir le juge constitutionnel pour avis en matière de projets ou propositions de loi de révision constitutionnelle.
Cette interprétation est confirmée par les dispositions de l’article 65 de la loi organique n° 17.004 du 15 juillet 2017, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Aux termes de cet article relatif aux Demandes d’avis, « Le président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, le Premier Ministre ou un quart (1/4) des membres de chaque chambre du Parlement peuvent saisir la Cour d’une demande d’avis conformément aux dispositions de l’article 97 de la Constitution ». Il en résulte donc que la demande d’avis en matière de révision constitutionnelle, contrairement aux dispositions de l‘ancienne loi organique, n’est plus une obligation légale. Néanmoins, nous sommes favorables, pour des raisons évidentes de légitimité politique, à ce que la Cour constitutionnelle soit saisie pour avis et qu’elle puisse se prononcer au sujet de la révision constitutionnelle. L’opinion des sages étant toujours utile en démocratie.
Formellement et matériellement, les énoncés des articles 97 et 105, corroborés par celui de l’article 65 la loi organique n°17.004, indiquent que la saisine pour avis est une faculté en ce qui concerne les projets ou propositions de loi de révision constitutionnelle. Seule cette lecture de l’article 105 lui confère véritablement un sens utile et conforme à la volonté du constituant, au-delà même de l'argument sémantique.
De tout ce qui précède, Il y a tout lieu de conclure que les dispositions des articles 95 tiret 9 et 105 de la Constitution ne donnent pas compétence à la Cour constitutionnelle pour juger de la constitutionnalité d’une loi de révision constitutionnelle. Décider du contraire relèverait d’une extrapolation du texte constitutionnel qui trouve sa source soit dans un trouble cognitif, soit dans la mauvaise foi.
En tout état de cause, une telle interprétation, qui procède d’une confusion entre un avis et une décision, n’est pas conforme aux dispositions sans équivoque de la Constitution du 30 mars 2016. Le respect de la Constitution commande donc de ne pas la retenir.
Versailles, 21/05/2020
J. De LONDRES Juriste
Citoyen centrafricain