Au merveilleux pays des records négatifs,
Des paradoxes et des supers plumitifs, (0)
Ainsi qu’un tonnerre dans un ciel sans nuages
L’incroyable nouvelle avait surpris les sages :
Le puissant Vice – Roi, naguère porte – drapeau
De la philosophie bêlante du troupeau
Venait brutalement de choir (1) dans la poussière
Où l’avait envoyé un coup dans le derrière
Férocement asséné par le brodequin
Du Grand Libérateur le traitant de faquin (2)
Et d’Arsène Lupin qui, sournoisement, trame
Intrigues et complots d’une façon infâme
En vue de perpétrer un sanglant Coup d’Etat
Pour déchoir son mentor (3), le doux Chef de l’Etat,
Si surpris qu’il en devint brusquement aphone (4)
Et usa des rumeurs comme d’un mégaphone.
Nul n’osa invoquer l’adage merveilleux
Qui veut noyer son chien le traite de galeux.
On assista plutôt au concours délectable
De jets de gros cailloux sur l’ancien connétable, (5)
Lequel clamait de plus fort son attachement
Au Grand Libérateur en s’auto-flagellant. (6)
Pourtant un autre baron mandé en Justice
Ayant bénéficié d’une drôle d’armistice
Narguait la misère du Peuple et paradait
En limousine à six portes, en vrai dadais. (7)
D’autres, moins protégés, se morfondaient en tôle,
Ou avaient fui, soit en avion, soit en bagnole,
De sorte que le Gouvernement, amaigri,
Quoique pillant toujours le Trésor dégarni,
Tétanisé, paralysé, perclus d’angoisse
Recherchait en son sein le Jonas de la poisse. (8)
Tout poulet d’élevage en batterie le sait :
Etre blessé, c’est être des autres un met.
Tel Saint-Pierre reniant Jésus en sa posture
Ses chauds protégés crièrent à l’imposture
Et rampèrent aux pieds du Grand Libérateur
Pour vite dénoncer leur ancien protecteur
Qu’en chœur ils chargèrent de la déliquescence (9)
Du régime aux abois et dans la turbulence
Sous l’action conjuguée de vils envahisseurs,
De rebelles sans foi ni loi ni même cœurs,
De la misère noire et du grand tribalisme.
L’ensemble couronné d’un arrogant cynisme,
Les prédations, les attentats aux libertés
Des chauds gouvernants coupés des réalités.
Sous l’impulsion de l’inénarrable (10) Grand homme
Le Grand Libérateur, se proclamant Surhomme
S’était accaparé de très nombreux pouvoirs,
Y compris la gestion illégale d’avoirs
D’innombrables entreprises dites publiques
Qu’il avait confiées à ses partisans iniques
Afin de leur soutirer créances et biens
Faute de bon sens tant pour lui que pour les siens
Et ainsi les précipiter dans la béance
Pour que triomphent la mauvaise gouvernance
Et de belles faillites dont le Monde entier
Glorifierait notre pyromane – pompier.
C’était d’autant plus sûr et même inéluctable
Qu’il n’avait du temps que pour sa secte et sa table,
Sans compter les nombreuses messes de minuit
De l’association secrète siégeant sans bruit
Où majorité, opposition, sans mémoire,
S’entendaient comme fieffés larrons en foire,
Mais s’étripaient le jour venu en ennemis
Comme si d’accord ils ne s’étaient jamais mis
Et ainsi trompaient le bon peuple sans vergogne
De sorte que rien ne résultait de sa grogne.
Il espérait ravoir ci –bas sérénité
Et se garantir dans les cieux félicité.
Grand arbitre –joueur comme ne fut personne
Sur terre et aux cieux son incompétence
étonne.
Plus la déliquescence foudroyait les yeux
Et plus ses chers griots devenaient audacieux.
Bridée, caporalisée, radio chantre à triques(11)
Animée par de grands griots soporifiques
(12)
Psalmodiait (13) les prétendues réalisations
Du Grand Libérateur à ses populations,
Insultait opposants et société civile
Mais décrétait tout droit de réponse futile
Afin de préserver les records négatifs
Objectifs gratifiants pour dignes plumitifs.
Le Grand Libérateur n’était nullement dupe
De tous ces flagorneurs attirés par sa soupe
Et, calfeutré dans son palais comme en bunker,
Dans le vain espoir de conjurer le malheur,
Abattu, apeuré, il pleurait en silence
En pensant à la fin de son mandat d’errance
Qui le protégeait des mandats des tribunaux
Pressés de l’envoyer derrière les barreaux.
Bien que fort peu doté de saine intelligence,
Il entreprit de réfléchir comme en enfance
Et crut avoir trouvé la bonne solution :
Proroger son mandat par modification
De « sa » constitution déjà édulcorée (14)
Par « sa » Cour Constitutionnelle et l’Assemblée.
Du côté judiciaire il s’était prémuni
En ajoutant au chef un bon poste interdit
Qui le mettait de fait sous sa nocive coupe
Et faisait de lui un candidat à la coulpe.
(15)
Après avoir compulsé nombre de manuels,
Il mandat urgemment tous « ses » intellectuels,
Forgerons patentés des idées saugrenues (16)
Et il leur demanda son maintien dans les nues.
Si d’autres Présidents avaient réussi le coup,
Pourquoi lui – seul garderait – il la bride au cou ?
Hélas les temps ont bien changé, le pays faible
L’ami historique est devenu intraitable
Et le Peuple, qui n’en peut plus, est en courroux,
Décidé à en découdre avec les ripoux. (17)
En proie aux cauchemars, il vit avec tristesse
Le Peuple le chasser dans une grande liesse.
Tel est le triste sort qu’inflige le destin
A qui broute le dos du Peuple et fait festin
Maître ZARAMBAUD Assingambi
Bangui fin juin- début juillet 2012
GLOSSAIRE :
Arsène Lupin : personnage des romans policiers de Maurice Leblanc incarnant le gentleman cambrioleur
Jonas : Prophète qui attira la fureur de Dieu sur le bateau où il avait embarqué pour tenter de fuir « loin de la présence de l’Eternel »,
faillit faire le malheur de l’équipage et des autres passagers, et obtint d’être jeté à la mer pour que celle-ci se calme et cesse d’être contraire. Quel ou quels autres Ministres Le Gouvernement
jettera – t – il à la mer pour calmer la fureur du Grand Libérateur ?
0. Plumitif : mauvais auteur, gratte – papier
1. Choir : être entraîné de haut en bas à la suite d’une perte d’équilibre due à un faux mouvement, à une
impulsion, à la rencontre d’un obstacle . . . (Mallarmé : « pierre ici bas chue d’un désastre obscur »)
2. Faquin : individu sans valeur, plat et impertinent
3. Mentor : guide, conseiller sage, expérimenté
4. Aphone : privé de voix
5. Connétable : grand officier de la couronne
6. S’auto-flageller : s’infliger des coups de fouet
7. Dadais : garçon niais et de maintien gauche
8. Poisse : malchance
9. Déliquescence : décadence
10.
Inénarrable : dont on ne peut parler sans rire
11.
Trique : bâton utilisé comme arme pour frapper
12.
Soporifique : qui endort
13.
Psalmodier : parler, dire, réciter d’une façon monotone
14.
Edulcorer : affaiblir
15.
Coulpe : péché volontaire entrainant la perte de la grâce
16.
Saugrenu : bizarre et quelque peu ridicule
17.
Ripoux : en verlan, langage des jeunes en France, inversion du mot pourri