par Alexis N’DUI-YABELA, Maître de conférences à l’Université de Bangui
La convocation du corps électoral au titre des élections groupées du 27 décembre 2020 est-elle impérativement subordonnée à la publication préalable de la liste définitive des électeurs par l’Autorité nationale des élections ?
Les observations épistémologiques d’un enseignant de droit électoral sur les interprétations superficielles de certaines dispositions du code électoral centrafricain par un juge de la Cour constitutionnelle
En 2018, Madame Nicoletta Perlo, Maître de conférences à l’Université de Toulouse 1 Capitole avait partagé avec la communauté universitaire, et ce dans une contribution scientifique hyper intéressante, les tribulations et surtout le courage dont avaient fait montre douze (12) professeurs italiens sous le régime despotique[1] et totalitaire[2] de Mussolini, couramment appelé à l’époque le Duce[3].
Pour faire bref, l’article 18 du décret royal n°1227 publié le 28 août 1931 prévoyait que « Les professeurs di ruolo-dotés d’une chaire-et les professeurs incaricati-chargé de cours- dans les Institutions royales supérieures d’enseignement sont obligés de prêter serment selon la formule suivante : Je jure d’être fidèle au Roi, à ses successeurs et au Régime Fasciste, d’observer loyalement le Statut (albertin) et les autres lois de l’État, d’exercer l’office d’enseignement et d’accomplir toutes les fonctions académiques dans le but de former des citoyens laborieux, honnêtes et dévoués à la Patrie et au Régime Fasciste. Je jure de ne pas appartenir et que je n’appartiendrai pas à des associations ou à des partis dont l’activité ne se concilie pas avec les devoirs de mon office. »[4]
Sur 1225 professeurs italiens, indique notre collègue de grade Nicoletta Perlo, seulement 12 avaient refusé de prêter serment. Au sein de ce petit groupe figuraient trois juristes, à savoir : Francesco Ruffini, Edoardo Ruffini et Fabio Luzzatto.
Emboîtant le pas à ces 12 professeurs italiens qui dirent « Non » à Mussolini, galvanisé par l’excellent article de sa collègue de grade Nicoletta Perlo, et surtout dans le souci de dissiper toutes les confusions semées dans l’esprit de ses compatriotes Centrafricains autour de certaines dispositions du code électoral[5], le Coordonnateur chargé de Réflexions, Propositions et Initiatives du Comité de soutien des universitaires au Président de la République démocratiquement élu, ci-après « le Coordonnateur du CSU chargé de Réflexions », a également décidé de dire « Non » à l’interprétation de certaines dispositions de notre Code électoral par les membres de la Cour constitutionnelle. Pour une meilleure intelligibilité de sa démarche, il convient de souligner que depuis la surprenante décision rendue par la Cour au sujet de la loi organique de l’Autorité nationale des élections (ANE), le Coordonnateur chargé de Réflexions n’a pas totalement confiance, confiance[6] au sens où de nombreux auteurs l’ont effectivement analysée au cours d’un colloque, en l’interprétation de certains textes juridiques par les plus hauts juges de cette juridiction.
En effet, pour étayer mes propos, ayant été saisis le 20 juillet 2020 à 08h10mn[7] par Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’État, conformément au premier alinéa[8] de l’article 86, et non « conformément aux dispositions de l’article 145[9] » selon la Rédaction[10] du journal Letsunami.net, les membres de la Cour constitutionnelle avaient rendu, en moins de trois (3) jours seulement, alors que la Constitution prévoit un (1) mois ou huit (8) jours[11] en cas d’urgence, une décision entérinant non seulement une violation extrêmement grave du droit positif centrafricain[12] par les élus de la nation, mais aussi un usage abusif du droit d’amendement. A signaler que dans sa requête, Son Excellence, Monsieur le Président de la République n’avait pas expressément demandé aux plus hauts juges d’examiner en toute urgence la constitutionnalité de la loi organique de l’ANE. C’est seulement dans l’un de leurs Considérants que les membres de la Cour constitutionnelle ont maladroitement justifié leur fort tropisme à statuer ultra petita[13] en ces termes : « Considérant que la demande émane du Président de la République ; il y a lieu pour la Cour de statuer selon la procédure d’urgence. »[14]
Or, selon une formule latine bien connue des privatistes, notamment la formule « ne eat judex ultra petita partium »[15], interdiction est faite à tout juge de statuer ultra petita. Cette règle fondamentale dans le procès de « type privé » avait, en toute logique, été reprise par la Cour internationale de Justice (CIJ) au moment de sa création. En effet, la CIJ l’avait réaffirmé en des termes éloquents dans l’affaire de la Demande en interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (1950) : « Il y a lieu de rappeler, dixit la CIJ, le principe que la Cour a le devoir de répondre aux demandes des parties telles qu’elles s’expriment dans leurs conclusions finales, mais aussi celui de s’abstenir de statuer sur des points non compris dans lesdites demandes ainsi exprimées »[16]. Comme le précise par ailleurs un auteur, la sanction du non-respect des limites tracées par le principe ne eat judex ultra petita partium était la nullité de la sentence pour excès de pouvoir[17].
Et en ce qui concerne les plus hauts juges du berceau des Bantous, ce n’est vraiment pas une première qu’ils statuent ultra petita ! Cette propension des juges constitutionnels centrafricains à statuer ultra petita tend même à s’ériger en une coutume constitutionnelle, une notion qui avait fait le délice de nombreux constitutionnalistes[18]. L’on se souviendra en effet que, appelée à vérifier la constitutionnalité de la loi portant prorogation des mandats du Président de la République et des députés, les membres de la Cour constitutionnelle avaient statué ultra petita en ayant recours non pas à des vocabulaires techniques et précis du droit constitutionnel, mais à des concepts flous de science politique[19] ou du droit international public[20], à savoir l’organisation d’une « concertation nationale » avec les « forces vives de a nation » aux fins d’obtenir un « consensus » sur un éventuel glissement du calendrier électoral. Contrairement à une invocation impertinente[21] des stipulations de l’article 10 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, au cours de la réunion du Comité Stratégique d’appui au processus électoral, le consensus national n’est point à rechercher dans le cercle restreint des « forces politiques »[22] dont parle le professeur Dominique Chagnollaud ou « forces vives de la nation », expression chère aux politiciens centrafricains, mais le consensus national impose le recours au référendum[23].
Bref, pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, la superposition de mandats des commissaires électoraux pour laquelle la Cour constitutionnelle a délivré un visa de conformité à la Constitution est-elle prévue, pour reprendre une formule latine, expressis verbis dans la loi fondamentale des Centrafricains ? Si oui, quelle disposition constitutionnelle prévoit une telle superposition ou un tel chevauchement de mandats[24] ? A notre connaissance, aucune disposition de la Constitution du 30 mars 2016 ne prévoit expressis verbis la possibilité d’une superposition de mandat. Examiner à travers le prisme du droit comparé, et comme on le retrouve justement sous la plume de nombreux constitutionnalistes[25], au pays de l’Oncle Sam, la superposition de l’État fédéral aux États fédérés, théorisée[26] par Georges Scelle, est belle et bien inscrite dans la Constitution américaine de 1787. En effet, l’article 4-sect.IV de cette Constitution indique que « Les États-Unis garantiront à chaque État de l’Union une forme républicaine de Gouvernement. » Loin donc de procéder d’une lubie ou d’un caprice instantané des députés, la superposition des États-Unis d’Amérique a été l’œuvre du pouvoir constituant originaire[27].
Par ailleurs, l’article 82 alinéa 6 de la Constitution du 30 mars 2016 précise que : « Sont irrecevables les amendements déposés par les parlementaires lorsqu’ils ont pour effet d’entrainer une [….] augmentation des charges de l’État qui ne serait pas couverte par une augmentation équivalente des ressources. » Les anciens articles 6 et 74 du code électoral, bien rédigés par le Gouvernement, mais suspectés puis dénaturés par les amendements des élus de la nation, qui ont préféré associer onze (11) nouveaux commissaires électoraux aux sept (7) anciens commissaires électoraux déjà pris en charge sur le budget de l’État est-il conforme aux disposition de l’article 82 alinéa 6 de la Constitution ? La réponse à cette question est évidemment non. L’augmentation de plus de la moitié du nombre des commissaires électoraux, qui passe de 7 à 18, n’est conforme ni à la Constitution, ni à la loi de finances votée en 2019 par les élus de la nation eux-mêmes ? Au demeurant, examiner en moins de huit (8) jours la constitutionnalité de la loi organique de l’ANE, ne s’agissait-il pas d’un contrôle de constitutionnalité bâclé, expéditif, voire hâtif ?
Voilà, autant de questions qui créent encore du doute dans l’esprit du Coordonnateur chargé de Réflexions quant à l’interprétation assez superficielle de certains textes juridiques par les membres de la Cour constitutionnelle. Et l’interprétation récente de certaines dispositions du Code électoral par un membre de ladite Cour en est une parfaite illustration. Au moment où de nombreux compatriotes se sont déjà fait enrôler (environ 1648 000 électeurs à la date du 14 septembre 2020), il y a véritablement lieu de se demander à l’instar d’un autre compatriote[28] en ces termes : qui a intérêt à semer la confusion dans l’esprit des Centrafricains ?
En effet, dans un « MEMO » en date du 4 septembre 2020, adressé à Son Excellence, Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, le Vice-Président de la Cour constitutionnelle tient ce raisonnement : « Au regard de la loi, il n’est pas possible d’envisager un affichage progressif des listes composant ce fichier. Cet affichage devra être fait en une fois et conditionne la prise du Décret convoquant le corps électoral. »[29] Sur les antennes de la Radio Ndèkè Luka, le même Vice-Président de la Cour constitutionnelle est allé jusqu’à affirmer publiquement que « Toutes les opérations d’enrôlement effectuées au-delà du 27 septembre 2020 sont illégales et illégitimes ». Cette prise de position non juridiquement fondée a été relayée autant sur les antennes RFI que sur les réseaux sociaux[30], voire dans le dernier communiqué de presse conjoint[31] de l’Union africaine, CEEAC-Nations Unies. En effet, le correspondant de RFI s’est autorisé à proclamer urbi et orbi ce qui suit : « L’Autorité nationale des élections doit impérativement avoir publié la liste unique des électeurs avant le 27 septembre 2020 »[32].
D’où le titre principal de la présente étude conçu sous le modèle d’un sujet à question, l’une des formes que peut revêtir un sujet de dissertation juridique, à savoir : la convocation du corps électoral est-elle subordonnée à la publication préalable de la liste définitive des électeurs par l’Autorité nationale des élections ?
A la connaissance du Coordonnateur du CSU chargé de Réflexions, aucune disposition du code électoral centrafricain ne subordonne la convocation du corps électoral à la publication préalable de la liste électorale. En effet, les dispositions de l’article 33 de ce Code, exclusivement consacré à la convocation du corps électoral, ne font nullement allusion à la publication préalable de la liste électorale. Aussi y a-t-il lieu de prendre illico presto la voix du sycophante, au sens où les Grecs l’entendaient, pour réfuter et fustiger l’interprétation de certaines dispositions du code électoral centrafricain par le Vice-Président de la Cour constitutionnelle. Car, à travers ses sorties médiatiques, ce plus haut juge a non seulement semé dans l’esprit de nos compatriotes Centrafricains une double confusion autour des dispositions de l’article 33 du code électoral (I), mais en outre, son interprétation du dernier tiret des dispositions de l’article 36 alinéa 3 du même code frise l’hérésie juridique (II).
I/ LA DOUBLE CONFUSION SEMÉE DANS L’ESPRIT DE NOS COMPATRIOTES CENTRAFRICAINS AUTOUR DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 33 DU CODE ÉLECTORAL
Clair comme l’eau de roche, l’article 33 du code électoral que le Coordonnateur du CSU chargé de Réflexions s’est permis de mettre en gras dispose : « Sur proposition de l’A.N.E, les électeurs sont convoqués au moins quatre-vingt-dix (90) jours avant le scrutin par décret pris en Conseil des Ministres. » Tel que cet article 33 est libellé, à quel endroit de ses dispositions se trouve l’obligation de la publication préalable de la liste électorale dont parle le Vice-Président de la Cour constitutionnelle ? Pour reprendre l’une des éloquentes expressions de Jean de La Fontaine, comme « Nous l’allons montrer tout à l’heure »[33] dans les paragraphes qui suivent, le Vice-Président de la Cour constitutionnelle a semé dans l’esprit des Centrafricains : d’une part, une confusion inadmissible entre les dispositions des articles 33 et 34 du code électoral (A) et, d’autre part, une confusion impardonnable entre les opérations techniques de l’ANE et la compétence liée du Président de la République, en matière de convocation du corps électoral (B).
- Une confusion inadmissible entre les dispositions de l’article 33 et 34 du code électoral
Aux termes des dispositions de l’article 34 du Code électoral, il est clairement mentionné que « Préalablement à la convocation du corps électoral, l’ANE publie le calendrier des opérations spécifiques à chaque consultation, conformément aux délais opérationnels fixés par le présent code. » Comme chacun a pu le constater de visu sans qu’il soit nécessaire de recourir à une lunette astronomique, contrairement à l’article 33 évoqué ci-dessus, lequel n’est point introduit par l’adverbe « Préalablement […]», l’article 34 du code électoral fait pour sa part allusion à la publication préalable du « calendrier des opérations spécifiques à chaque consultation », et non à la publication préalable « de la liste définitive des électeurs ». Or, conformément aux dispositions de l’article 34 du code électoral, l’ANE avait non seulement dévoilé[34] en 2018 le calendrier provisoire des opérations spécifiques aux élections groupées du 27 décembre 2020, mais avait, par-dessus le marché, publié le calendrier définitif de ces élections le mercredi 19 juin 2019[35], sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à une modification de certaines dispositions du code électoral. Ce calendrier définitif, importe-t-il encore de le souligner, avait été successivement mis à jour aux mois d’avril[36] et juin 2020[37].
Schématiquement, le délai constitutionnel se décompte ainsi qu’il suit :
- du 27 décembre 2020 au 27 janvier 2021= 30 jours
- du 27 janvier 2021 au 27 février 2021=30 jours
- du 27 février 2021 au 27 mars 2021= 30 jours
Ce qui fait au total 90 jours + 4 jours = 94 jours.
Quant aux délais légaux des activités opérationnelles de l’ANE, les articles 24 et 25 du code électoral prévoient qu’elles doivent s’achever, même après clôture de la liste, au plus tard le 27 novembre 2020 avant la date du scrutin.
Par conséquent, au regard des dispositions des articles évoqués ci-dessus du code électoral centrafricain et contrairement aux affirmations tant gratuites que juridiquement non fondées du Vice-Président de la Cour constitutionnelle, « rien n’empêche »[38], pour emprunter une expression à la mode de Maître Nicolas TIANGAYE, le Président de la République, Son Excellence le Professeur Faustin Archange TOUADÉRA, de convoquer le corps électoral, soit dans quelques jours, c’est-à-dire le 27 septembre 2020, soit le 25 octobre 2020, soit avant le 27 novembre 2020, conformément aux dispositions des articles 23, 24 et 33 du code électoral de notre pays. Dans cette perspective, le réaménagement du chronogramme électoral peut se faire indépendamment de la date de la convocation du corps électoral. Aussi, la démarche du Gouvernement consistant à modifier certaines dispositions du code électoral n’est ni contraire à la Constitution, ni une manœuvre de tripatouillage du code électoral, comme ont tenté de le faire croire certains députés de la majorité présidentielle[39] et certains leaders de partis politiques[40] ou de la société civile[41]. Par ailleurs, et sur le terrain du droit international ou du droit sous-régional, cette entreprise de modification du code électoral ne porte nullement atteinte aux stipulations de l’article 4 du Protocole sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance de la conférence internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL), ci-après « Protocole de la Démocratie et de la Bonne Gouvernance ». Puisqu’il ne s’agit pas de « réforme substantielle »[42], mais, comme on le verra un peu plus loin, de modification d’ordre formel pour permettre soit à l’ANE de poursuivre les opérations d’enrôlement, soit à certains candidats potentiels de se prévaloir de leur « Fiche d’enregistrement des électeurs-2020 » au moment de la constitution de leur dossier de candidature.
Si d’aventure la responsabilité du Gouvernement centrafricain venait à être engagée soit devant la Cour internationale de justice soit devant la Cour africaine des droits de l’homme et du Peuple pour non-respect des stipulations de l’article 4 du Protocole sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance susmentionné, les avocats ou agents de l’État centrafricain seront-ils à court d’arguments juridiques pour assurer la défense de leur client devant les juges internationaux. Bien au contraire, des arguments juridiques à mobiliser pour la défense du Gouvernement centrafricain ne manquent pas.
En premier lieu, les avocats ou agents de l’État centrafricain pourraient invoquer comme moyens de défense les circonstances excluant la responsabilité internationale. En effet, comme l’expliquent à merveilles certains internationalistes[43], « En droit interne, on connaît les causes exonératoires de responsabilité qui sont des circonstances dans lesquelles la responsabilité de l’auteur d’une faute, civile ou pénale, n’est pas engagée (concours de la victime au dommage ou à l’infraction, cas de force majeurs, état de nécessité). Ces mêmes circonstances sont connues du droit international et sont désignées comme excluant l’illicéité et, partant, l’engagement de la responsabilité de l’Etat auteur du fait. » En outre, convient-il de le signaler, le projet d’article de la Commission du droit international sur la responsabilité internationale des États décline ces circonstances dans le chapitre V de sa première partie, au nombre desquelles figure la force majeure. Aux termes de l’article 23§1 dudit projet, la force majeure consiste « en la survenance d’une force irrésistible ou d’un événement extérieur imprévu qui échappe au contrôle de l’État et fait qu’il est matériellement impossible, étant donné les circonstances, d’exécuter l’obligation ». Dès lors, la pandémie du coronavirus qui a fait irruption dans le processus électoral ne rentre-t-elle pas dans la catégorie des circonstances imprévisibles ayant amené le Gouvernement centrafricain à saisir l’Assemblée nationale aux fins de modifier certaines dispositions du code électoral ?
En second lieu, les avocats et agents de l’État centrafricain pourraient aussi invoquer les stipulations de l’article 40 du projet de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Cet article précise en effet que « 1- Le présent chapitre s’applique à la responsabilité qui résulte d’une violation grave par l’État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général. 2- La violation d’une telle obligation est grave si elle dénote de la part de l’Etat responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation. » Sans vouloir embrouiller outre mesure nos compatriotes Centrafricains sur la notion de « norme impérative du droit international général », savamment appelée le jus cogens[44], le fait pour le Gouvernement centrafricain de soumettre au vote de la représentation nationale un projet de loi portant modification de certaines dispositions du code électoral constitue-t-il vraiment « un manquement flagrant ou systématique à l’exécution » des stipulations de l’article 4 du Protocole sur la Démocratie et Bonne Gouvernance ? Ou encore la modification par voie législative de certaines dispositions du code électorale, essentiellement pour remédier aux difficultés objectives auxquelles s’est confronté l’organe constitutionnellement chargé d’organiser les élections, porte-t-elle substantiellement atteinte « au principe de l’alternance démocratique » visé à l’article 23-5 de la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Bonne gouvernance, comme un ‘’Juriste, Administrateur des élections’’[45] tente de le faire gober aux citoyens du monde entier ? Dans la hiérarchie des normes théorisée par le juriste autrichien Hans Kelsen, la Constitution est-elle une norme supra ou infra législative ? Si la Constitution est une norme fondamentale pour quelle raison utiliser l’expression « légalité constitutionnelle » ? Notre ‘’Juriste, Administrateur des élections’’ n’aurait-il pas mieux fait d’intituler logiquement sa chronique « La problématique de la constitutionnalité de la modification partielle du code électoral à trois de scrutin » ? Sous réserve de l’obiter dictum des juges internationaux sur ces différentes questions, le Coordonnateur du CSU chargé de Réflexions ne saurait, pour sa part, souscrire à la thèse du président Jean-François AKANDJI-KOMBE[46], thèse selon laquelle le projet de modification du code électorale « viole de manière flagrante nos règles supérieures et compromettent le caractère libre et transparent des élections à venir ».
Bref, pour ne point dévoiler ou étaler ici tous les arguments juridiques qui militeraient en faveur du Gouvernement centrafricain dans le prétoire du juge international, revenons sur l’analyse de certaines dispositions de notre code électoral pour porter à l’attention des autorités centrafricaines une anomalie constatée dans la rédaction de l’article 33 dudit code. En effet, bien qu’ayant fait l’objet en 2019 d’un contrôle de constitutionnalité[47] par les membres de la Cour constitutionnelle, les dispositions de l’article 33 de notre code électoral restent tout de même contraires à la Constitution. Dès lors, n’importe quel citoyen centrafricain, tel le célébrissime requérant Joseph BENDOUNGA ou n’importe quel candidat à l’élection présidentiel pourrait éventuellement invoquer devant le Conseil d’Etat l’inconstitutionnalité du décret portant convocation du corps électoral. En effet, les dispositions de l’article 33 du code électoral sont contraires à la Constitution en ce qu’elles enferment ou enserrent l’élection présidentielle, à laquelle peuvent se greffer les élections législatives, dans un délai unique de quatre-vingt-dix (90) jours. Or, l’article 36 alinéa 2 de la Constitution du 30 mars 2016 précise, en ce qui concerne particulièrement l’élection présidentielle, que « L’élection du nouveau Président a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus avant le terme du mandat du Président en exercice. »
Alors que pour le délai de quatre-vingt-dix (90) jours, le pouvoir constituant originaire[48] a utilisé la locution adverbiale « au plus », dans le code électoral, les députés de la législature en cours ont eu recours à une locution adverbiale se trouvant diamétralement à l’antipode de celle utilisée par le pouvoir constituant originaire, à savoir la locution « au moins ». Du point de vue grammatical, peut-on valablement utiliser dans une disposition normative de ce genre l’une ou l’autre de ces deux locutions ? En conformité avec les dispositions de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution, ne devrait-on pas au contraire combiner les locutions « au moins » et « au plus » dans le code électoral pour éviter tout contentieux ? Selon un agrégé[49] de grammaire, « On peut combiner diversement ces adverbes d’intensité pour exprimer par des propositions juxtaposées une corrélation d’augmentation ou de diminution. » Dans le droit fil des explications de ce grammairien, on ne peut reprocher au constituant centrafricain originaire une mauvaise manipulation de la langue de Molière. Bien au contraire, le constituant centrafricain originaire a exprimé, aux termes de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution, une corrélation assez logique entre un délai minimum (45 jours) et un délai maximum (90 jours) pour la tenue de l’élection présidentielle avant l’arrivée à échéance du mandat du Président de la République en fonction.
Dès lors, en ce qui concerne la convocation du corps électoral, Son Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef de l’État a les mains liées ou encore, pour s’exprimer comme les ‘’administrativistes’’, le Président de la République dispose en la matière d’une compétence liée qui, strictement parlant, ne devait pas se confondre avec les opérations techniques de l’ANE censées se poursuivre d’une manière permanente jusqu’au plus tard le 27 novembre, voire jusqu’à la délivrance de la carte électoral 72 heures avant le scrutin. Comme l’a si bien appréhendé et perçu un non juriste, mais en se référant à un article inexacte du code électoral centrafricain, conformément aux dispositions des articles 24 et 25 de ce code, les opérations d’enrôlement et de radiation des électeurs doivent être achevées « même après clôture de la liste au moins un mois avant la date du scrutin »[50]. Au regard des dispositions de ces deux articles, il n’était vraiment pas nécessaire, du point de vue du Coordonnateur chargé de Réflexions, de procéder à une modification du code électoral aux fins d’accorder un délai supplémentaire à l’ANE pour la poursuite des opérations d’enrôlement. La révision du calendrier des opérations électorales ayant déjà fait l’objet de multiples décisions de la Présidente de l’ANE, cette même autorité pouvait valablement prendre une autre décision portant prorogation des opérations d’enrôlement, sans qu’il ne soit besoin de réformer le code électoral.
Au bénéfice des observations qui précèdent, le corps électoral peut être valablement convoqué le 27 septembre 2020 conformément aux « dates clés[51] » indiquées par Madame le Président de la Cour constitutionnelle en date du 05 mai 2020, soit conformément au nouveau calendrier validé le 23 septembre 2020 par les honorables députés à une majorité écrasante de quatre-vingt (80) « OUI » contre douze (12) « NON » et zéro (0) abstention. Dans la mesure où le code électoral ne prescrit aucune date précise pour la publication du décret portant convocation du corps électoral, celui-ci peut déjà intervenir le 27 septembre 2020. A charge pour l’ANE d’ajuster ce qui est ajustable, de remanier ce qui est remaniable ou encore de rattraper ce qui est rattrapable entre le 27 septembre 2020 et le 27 novembre 2020, sous le regard bienveillant du Comité Stratégique d’Appui au processus électoral, sans oublier le Cadre de concertation.
En dehors de la confusion inadmissible entre les dispositions des articles 33 et 34 du Code électoral, le Vice-Président de la Cour constitutionnelle a entretenu aussi une autre confusion entre la compétence liée du Président de la République en matière de convocation du corps électoral et les opérations ou activités purement techniques de l’ANE.
Bibliographie à suivre....