Lu pour vous
MARTIN ZIGUÉLÉ : "JE PEUX APPORTER AUX CENTRAFRICAINS LA PAIX ET LE PAIN"
http://www.54etats.com/ Par GAËTAN KONGO
Spécialiste des questions politiques en RCA
Entretien : Martin Ziguélé, président du parti Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC)
Premier ministre entre avril 2001 et mars 2003, député de Bocaranga, président de la Commission Économie, Finances et Plan de l’Assemblée nationale depuis mai 2016, président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) et candidat à l'élection présidentielle de décembre 2020, Martin Ziguélé nous dévoile ce qui changerait en Centrafrique s'il accédait à la magistrature suprême. Rencontre.
54 ÉTATS : Vous êtes aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle du 27 décembre prochain, que souhaitez-vous profondément apporter à votre pays ?
Martin Ziguélé : Nous sommes vingt-deux à déposer nos candidatures et nous attendons le verdict de la Cour Constitutionnelle pour leur éventuelle validation. En tout état de cause, ce que je pense pouvoir apporter à notre pays est mon expérience, aussi bien de la gestion économique acquise dans une vie professionnelle partagée entre les assurances et la Banque centrale ; que de la gestion en situation de crise aigüe lors de mon passage au gouvernement comme dernier Premier ministre de feu Président Ange-Félix Patassé. En tant que député d’une circonscription rurale qui subit l’insécurité au quotidien, du fait des groupes armés, j’ai effectué des déplacements dans plusieurs régions de notre pays qui m’a permis d'éprouver les réalités de nos compatriotes.
Je peux apporter aux centrafricains la paix et le pain
Cette expérience de l’économie et de la sécurité, et cette connaissance du terrain me permettent de dire à mes compatriotes que je peux leur apporter la paix et le pain.
S’agissant du leadership, ce qui changera ce sera le courage politique, assurément. Ma main ne tremblera pas quand il s’agira de décider, pour la sécurité des centrafricains, de lutter contre la corruption et les nombreuses malversations impunies.
Ma main ne tremblera pas quand il s’agira de décider, pour la sécurité des centrafricains, de lutter contre la corruption et les nombreuses malversations impunies
54 ÉTATS : Les observateurs de l’UN et autres ambassadeurs suffisent-ils à consolider une meilleure préparation des élections à venir ?
Martin Ziguélé : Il revient d’abord aux acteurs centrafricains d’œuvrer à avoir des élections qui reflètent réellement le choix de nos compatriotes. Cela est de la responsabilité première aussi bien de l’Etat, des partis politiques, de la société civile que de la population. Si en 1993, nous avons eu l'élection considérée à ce jour comme la plus transparente, c’est d’abord par la volonté des centrafricains de tenir une élection digne de ce nom. Aujourd'hui, les partenaires, comme en 1993, ne peuvent que nous accompagner si nous souhaitons tous la transparence.
54 ÉTATS : Quel bilan dressez-vous du mandat du président Faustin-Archange Touadéra ?
Martin Ziguélé : Selon notre Constitution, le président élu prête serment avant d’entrer en fonction, et ce serment comporte des engagements forts. C’est le président élu, suite à ce serment, qui dresse son bilan au terme de son mandat, et le peuple avise.
En tant que citoyen, je partage l’opinion largement dominante selon laquelle, s’il y’a un frémissement sur le plan de la gestion des finances publiques, et des relations avec les partenaires financiers, il n’en demeure pas moins que l’insécurité du fait des groupes armés reste la préoccupation numéro un de nos compatriotes.
L’insécurité du fait des groupes armés reste la préoccupation numéro un de nos compatriotes
Plus de la moitié de notre pays est occupé par les groupes armés qui refusent délibérément de respecter les dispositions de l’Accord de Khartoum. Ils mettent en place des administrations parallèles, prélèvent impôts et taxes, sévissent contre les populations, et s’installent dans la durée.
Cette mithridatisation doit cesser !
Notre pays doit impérativement recouvrer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national avant de parler de développement.
54 ÉTATS : En RCA, entre la présence étrangère prégnante des russes, celle bien plus éthérée de la France, et celle de la MINUSCA, un Président de la République a t-il toute la latitude pour gouverner en toute indépendance ?
Martin Ziguélé : En dehors de la MINUSCA qui est une force onusienne de paix, j’observe pour ma part que nous n’avons pas beaucoup de représentations diplomatiques avec résidence dans notre pays.
Si je suis élu, il est acquis que je travaillerai à élargir ce tableau et élargir le cercle des pays ayant leurs représentations domiciliées en RCA.
À mon avis, le problème n’est pas que la Russie soit présente en Centrafrique puisqu’elle y est depuis notre indépendance (1960).
Le problème est que ces relations doivent être des relations d’Etat à Etat et doivent passer par des canaux officiels, et en toute transparence.
La relation russo-centrafricaine doit passer par des canaux officiels et transparents
54 ÉTATS : Le principal défi économique et social de la République Centrafricaine est le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire. Quelle est votre stratégie pour atteindre cet objectif ?
Martin Ziguélé : Notre stratégie repose sur deux piliers : le premier est l’accélération du déploiement de nos Forces de défense et de sécurité dans tout le pays, et nous ne négocierons pas la présence des FACAS sur notre territoire national.
Nous ne négocierons pas la présence des FACAS sur notre territoire national
Le second pilier est l’inclusion dans l’Accord de Khartoum des dispositions relatives, au cantonnement des éléments des groupes armés, puis à leur désarmement. S’il n’y a pas de cantonnement des éléments des groupes armés, leur recensement et l’identification de leurs armements, je ne vois pas comment on peut évaluer le désarmement. Ce sera un jeu de colin-maillard.
54 ÉTATS : Malgré le déploiement de la mission des Nations Unies en Centrafrique (Minusca) depuis avril 2014 et la signature le 6 février 2019 à Bangui entre le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés, de l’accord de paix qui devait permettre de rétablir un climat de sécurité dans le pays, des tensions demeurent toujours et les autorités actuelles ne contrôlent en effet qu’environ un tiers du territoire. Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?
Martin Ziguélé : Après la signature de l’Accord de Khartoum, j’ai été désigné membre du Comité Exécutif de suivi. J’ai très rapidement observé que les groupes armés n’avaient d’abord aucune intention de se dissoudre comme le prévoit l’Accord de Khartoum, mais plutôt d’user de tous les artifices pour durer et même s’institutionnaliser avec des complicités inavouées et inavouables.
Trois choses à mon avis n’ont pas permis la bonne application de l’Accord : la première et la plus évidente est comme je l’ai dit l’absence de cantonnement des groupes armés qui continuent à se balader dans le pays comme bon leur semble. Ce qui fait que pour la population rien n’ait changé dans son vécu sécuritaire d’avant l’Accord, alors que dans des pays qui ont connu de longues guerres internes, comme en Angola, au Tchad et au Mozambique, les accords de paix prévoient systématiquement le cantonnement des troupes.
Pourquoi faire l’exception en RCA ?
Le second point est l’absence de régimes de sanctions et de leur opérationnalisation. C’est à cause de ce manquement que les groupes armés ont refusé de s’auto dissoudre dans le délai de 90 jours après la signature de l’accord comme prévue, parce qu’ils savaient bien que rien n’allait leur arriver.
Enfin, le dernier point est la faiblesse structurelle des organes de suivi. Ils ont besoin d’une vraie reprise, sinon le « dialogue » avec les groupes armés s’institutionnalisera et durera encore des années.
54 ÉTATS : Il se trouve que de très nombreux centrafricains semblent ne plus avoir confiance en l’État notamment en cette classe dirigeante, cette élite bourgeoise, que beaucoup accusent d’être corrompue et égoïste. Êtes-vous d’accord avec ce constat ? Et si vous êtes élu président de la République, que feriez-vous pour réconcilier le peuple centrafricain avec ses dirigeants ?
Martin Ziguélé : C’est aux Centrafricains que la Constitution a donné le pouvoir de choisir leurs dirigeants qui consacre le principe de reddition des comptes. Rendre compte de son mandat au peuple est bien l’essence de la démocratie. Il ne s’agit pas de se plaindre mais plutôt de bien faire le choix de leurs dirigeants lors des consultations électorales, pour ne pas justement le regretter demain. C’est leur devoir d’interpeller les candidats sur les détails de leurs programmes, comment ils vont les financer, les gérer, et non pas donner un chèque en blanc sur des bases irrationnelles.
Pour réconcilier le peuple avec ses dirigeants, il faut être intransigeant sur la recherche constante de l’intérêt général, qui passe par le respect de la justice, de la loi et de l’ordre républicain. Il faut lutter sans complaisance contre la corruption, petite et grande, et contre les malversations financières diverses qui horripilent les centrafricains.
54 ÉTATS : D’après les données du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le classement de la Centrafrique selon l’indice de développement humain (IDH) est de 188e sur 189 pays en 2018. La part de la population vivant sous le seuil de pauvreté (soit moins de 3,1 dollars par jour) atteint 91,2 % et l’espérance de vie est inférieure à 53 ans. Comment comptez-vous améliorer ces indicateurs de développement, qui demeurent parmi les plus faibles au monde ?
Martin Ziguélé : C’est bien le sens de ma profession de foi et de mon programme qui se résument en deux points : restaurer donc remettre debout l’Etat centrafricain, et bâtir brique par brique une économie forte et saine pour faire face au défi du développement humain.
Bâtir brique par brique une économie forte et saine pour faire face au défi du développement humain
Notre situation est difficile mais pas désespérée. L’espoir doit demeurer car notre pays dispose de tout le potentiel nécessaire pour améliorer les standards de vie de nos populations.
Nous apporterons ce qui a manqué jusqu’aujourd’hui : la constance, la rigueur et l’intégrité dans le cadre global d’une politique en faveur du développement du secteur privé, des affaires et de l’investissement.
C’est la création des richesses qui générera les emplois et permettra de renverser ce classement.
54 ÉTATS : L’accès à l’électricité et à l’eau sont reconnus par l’ONU comme des objectifs de développement durable (ODD). En RCA, environ 50% de la population n’a pas accès à l’eau potable, tandis que seulement 30% de la population a accès à l’électricité. Ce sont deux problématiques aux enjeux multiples et partagés : sécurité alimentaire, santé, éducation, formation, sécurité, prospérité économique, lutte contre le dérèglement climatique. Comment comptez-vous augmenter ce taux d’accès à ces deux services de base afin d’activer ces huit leviers de développement ?
Martin Ziguélé : Les statistiques que vous évoquez ici sont plutôt celles de la ville de Bangui, parce qu’à l’intérieur du pays que je fréquente assidûment, le vécu est plus déprimant. Il n’y a pas une seule solution ; il y’a des solutions pour augmenter ces taux d’accès à l’eau et à l’énergie. Pour l’énergie, il faut à la fois ouvrir le capital de l’opérateur national Energie Centrafricaine (ENERCA) et l’augmenter pour permettre à cette entreprise d’emprunter, pour réaliser les investissements nécessaires, pour faire face à la demande croissante d’énergie. Il faut également développer les autres sources d’énergie, notamment le solaire et l’éolien. Nous pensons déjà à des mesures d’accompagnement pour l’équipement des collectivités rurales en énergie solaire. La problématique de l’eau est presque similaire : il faut renforcer les assises financières de l’opérateur national la Société de Distribution d’Eau en Centrafrique (SODECA) pour qu’elle puisse avoir accès au marché financier et investir dans ses installations à Bangui comme en province. Pour l’hydraulique villageoise, notre programme prévoit : « Un village, un puit ».
54 ÉTATS : Dans son analyse de demande de programme de décembre 2019, le FMI estime en octobre 2019 que le nombre de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire s’élève à 2,9 millions, soit 60 % de la population totale du pays, une situation alarmante pour un pays qui dispose d’un patrimoine agricole inestimable. Que comptez-vous faire pour booster le secteur agricole et limiter les importations des denrées ?
Martin Ziguélé : Nous avons 25 millions d’hectares de terres cultivables dont à peine 0, 25 % sont cultivées chaque année. Si l’agriculture n’a pas tous les bras dont elle a besoin, c’est principalement à cause de la pénibilité du travail à la houe, et de la difficulté d’écouler les produits.
Il faut réinvestir massivement dans la relance des filières agricoles
Il faut réinvestir massivement dans la relance des filières agricoles de rente comme du vivrier, pour une raison économique simple : puisque près de 70% de notre population est rurale, tant qu’elle n’aura pas la garantie de revenus monétaires structurés et pérennes, nous ne pouvons pas parler de développement. La distribution de revenus à cette majorité de la population, aujourd’hui exclue du circuit monétaire, permettra l’inclusivité financière et un développement intégré. L’agriculture qui est à la fois un gisement d’emplois et un gisement de revenus stables en est le levier par excellence et Dieu merci notre pays est abondamment doté du capital nécessaire, la terre et l’eau.54 ÉTATS : D’après le Fonds monétaire international (FMI), le risque de surendettement de la Centrafrique demeure élevé, en lien avec la faiblesse de la mobilisation des ressources fiscales et des exportations. Dans ce contexte d’incertitudes liées à l’environnement sécuritaire. Quels mécanismes allez-vous utiliser pour financer votre programme de gouvernement ?
Martin Ziguélé : Je vous rappelle que je suis Président de la Commission Economie, Finances et Plan de l’Assemblée nationale depuis mai 2016, et à ce titre j’ai présidé l’examen d’au moins neuf projets de lois de finances, qu’elles soient initiales ou rectificatives. Je pense qu’on peut faire des efforts pour augmenter les ressources de notre budget. Des pistes existent comme la réduction des franchises fiscalo-douanières, la lutte contre les malversations financières, le démantèlement de l’administration fiscalo-douanière parallèle de certains groupes armés, l’élargissement de l’assiette fiscale au foncier bâti et non bâti.
Notre taux de pression fiscale est de 8% en RCA contre une moyenne de 17% en zone CEMAC
Je rappelle que notre taux de pression fiscale est de 8% en RCA contre une moyenne de 17% en zone CEMAC et 27% en zone UEMOA. Enfin, c’est la TVA qui est la plus grosse pourvoyeuse de ressources des budgets des autres pays frères de la CEMAC, parce qu’ils ont une base industrielle que nous n’avons pas ou plus, et qu’il faut recréer et renforcer en améliorant le climat des affaires et principalement la sécurité juridique des entreprises et de leurs investissements. En matière de dépenses également, il y’a possibilité de réduire des charges notamment le nombre de départements sectoriels et d’institutions. L’addition de ces différentes mesures permettra un début de financement endogène de nos réformes.
54 ÉTATS : Si vous êtes élu président de la république centrafricaine, quelles seront vos premières mesures ?
Martin Ziguélé : Les premières mesures seront destinées à simplifier la vie des centrafricains, à rendre leur vie un peu plus vivable : d’abord mettre fin à l’imbroglio actuel en facilitant l’accessibilité des citoyens aux documents administratifs et de voyage dans les sous-préfectures et les commissariats partout dans le pays, accompagnée du démantèlement des barrières routières dans toute la zone verte du pays. De même, le respect strict du principe de la réciprocité pour les visas et les cartes de séjour pour protéger nos compatriotes vivant ou étudiant à l’extérieur de notre pays. Pour soulager la majorité de la population sans revenus structurels, nous allons déloquer des fonds publics pour éponger les arriérés de coton, et également pour acheter les stocks de café et de cacao détenus par les paysans en zone rurale. Intégrer dans la fonction publique toutes les promotions des cadres issues des écoles professionnelles de l’Etat Ecole Normale Supérieure, Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature, Ecoles des Régies financières, Faculté des Sciences de la Santé, Institut Supérieur de Développement Rural, etc. Et reprise de l’encadrement de base en zone rurale dans le cadre de la relance des filières agricoles. Reconstituer les divisions d’entretien routier dans toutes les régions et les préfectures pour exécuter un programme d’urgence de réhabilitation des routes et ponts et réparation des bacs.