« Le développement ne peut être appréhendé par la seule science économique » dit Albertini.- « C’est un processus complexe qui a trait tant aux aspects économiques qu’aux aspects sociologiques, psychologiques et politiques de la vie en société » et de préciser : « le développement suppose l’apparition d’un monde nouveau et non le grossissement quantitatif de ce qui existe déjà ».
Il est à noter que l’argent n’est pas une mécanique autonome : - le développement, même dans une acception minimale, est essentiellement le produit d’un tour d’esprit créatif opérant dans un contexte susceptible d’amplifier les résultats de l’inventivité, de l’ingéniosité, de l’emprunt à d’autres civilisations. Il suppose au moins que la curiosité soit une valeur prisée, et que l’on soit effrayé par la perspective de la précarité ou de la misère. - Est-ce vraiment le cas en Centrafrique ???......
L’histoire de l’humanité atteste que l’exercice de génération du développement a invariablement consisté à chercher et à trouver des solutions durables à des problèmes récurrents, et à reformuler les trouvailles en fonction des nouveaux défis qui émergent. L’imagination créative, même lorsqu’elle s’exerce sous forme de pillage et de spoliation à grande échelle (esclavage, colonisation) reste avec l’emprunt d’inventions à d’autres peuples, la seule source connue du développement. Or, c’est ici qu’intervient la dernière remarque sur le rôle de l’argent dans le développement : la République Centrafricaine, jusque là, est loin d’avoir créé les conditions matérielles et psychologiques permettant de tirer des innovations du monde extérieur et de l’inventivité de la masse de plus en plus importante des Africains, lettrés ou non, qui ont quelque chose de concret à proposer.
La République Centrafricaine ne se meurt pas : -elle se suicide dans une sorte d’ivresse culturelle pourvoyeuse de seules gratifications morales. Les injections massives de capitaux n’y pourront rien. Il faudrait d’abord désintoxiquer les mentalités, remettre les pendules à l’heure, et surtout placer les individus face à leurs incontournables responsabilités. Les centrafricains sont largement persuadés que leur destin doit être pris en charge par des étrangers. Dès lors, les aider à se développer, c’est d’abord les encourager à créer les conditions psychologiques de réceptivité au changement ; c’est favoriser l’émergence d’un vaste débat résolument décomplexé sur leur volonté de développement. La moindre complaisance sur ce sujet ne peut que renforcer une tradition déjà bien enracinée d’invitation éhontée à la re-colonisation. Il faut surtout avoir la décence d’appeler les choses par leur nom. Ainsi le refus du développement, que l’œil le moins exercé perçoit sans trouble au bout d’une semaine de séjour en Centrafrique, devient une fois formulé, une idée saugrenue, malveillante et sans fondement.
Ce qui m’a frappé dans mes différentes enquêtes est de constater que sur les 15 à 20 dernières années, il n’y a plus d’enthousiasme créateur. On a le sentiment que notre destin nous échappe de plus en plus, que nos gouvernements sont plus préoccupés par les problèmes du quotidien que par une action et une vision qui permettraient à notre peuple d’assurer la plénitude de son destin et de sa dignité, et que notre sort ne dépendait que d’interventions extérieures à caractères économique, sécuritaire ou financier. Or, un pays ne peut assurer son avenir dans de telles conditions.
Le plus troublant n’est-il pas que la République Centrafricaine ne dispose, jusqu’à ce jour, d’aucune, Oui cher lecteur et compatriote, tu as bien lu : d’aucune stratégie de développement clairement comprise par ses citoyens ? -Pourtant, telle est la mission proclamée des partis uniques, rebaptisés « majorité présidentielle » qui sévissent et ont sévi en Centrafrique depuis 30 ans.
Nous devons savoir qu’avec l’apparition de nouveaux pays industriels sur le marché mondial, « le mythe (central) de l’incapacité des pays non occidentaux à maîtriser les technologies avancées s’est effondré », emportant avec lui toutes les croyances tournant autour de la notion d’aide au développement. Et, de fait, plus personne en Occident ne croit que le but du capitalisme du Nord soit d’empêcher l’industrialisation du Sud. Songeons que, depuis 1945, un pays comme le Japon qui, sans faire partie du Tiers monde, n’a cependant pas participé à la première révolution industrielle européenne, a su combiner les capitaux américains, l’emprunt de trouvailles à l’extérieur, la recherche scientifique et ses propres capacités d’invention pour se hisser au rang de puissance mondiale. - Jusque là, nous sommes, en Centrafrique, encore les seuls individus au monde à croire que notre développement peut être pris en charge par d’autres personnes que par nous-mêmes. Il nous faut nous réveiller. – Bouba ni so juska lawa ?
Chaque Centrafricain, détenant la moindre parcelle de responsabilité, doit se poser la question de savoir si l’essentiel, compte tenu de l’arriération technologique et scientifique de notre pays, n’est-il pas souhaitable que nous puissions puiser dans toutes les cultures dynamiques de la planète les éléments nous permettant de sortir rapidement de notre sous-développement ?
Quant on sait que la pauvreté de la Centrafrique est une pauvreté paradoxale, que notre pays globalement sous-peuplé, regorge des ressources naturelles et énergétiques au point qu’on a parlé de « scandale géologique ». Le développement, tel que je le propose dans cette réflexion, n’est pas la « chose du blanc » ; il s’agit de notre bien-être. De nos jours, partout ailleurs, un homme ouvert à la culture de son temps s’appelle un homme cultivé. Il s’ensuit qu’un Centrafricain imprégné des discours actuels du monde, n’est ni un aliéné, ni un vendu, ni un métis culturel, mais un homme cultivé, point.
Pour compléter cet état des lieux aujourd’hui, je reprends ici une description généraliste qui correspond bien à la situation en Centrafrique de ce début de millénaire :
« Les mentalités africaines sont en voie de transformation. De nombreux éléments, de nature économique surtout, indiquent, en effet, qu’un processus de prise de consciences est désormais amorcé à tous les niveaux, bien que la signification globale de ces changements reste généralement mal comprise.
Ainsi, malgré l’accumulation de nuages économiques au-dessus de sa tête, l’Africain ordinaire – et c’est beaucoup de monde – en est encore à se demander comment le système dont il tirait sa subsistance et son épaisseur sociale en est arrivé à s’effondrer : il constate que les mécanismes habituels de la circulation oblique des biens, des services et des revenus nationaux, ont atteint leurs limites ; que les discours solidaristes et parcellaires n’ont plus de ressort ; que la vie quotidienne participe désormais des ruades désespérées de la bête aux abois. On lève des yeux hagards ou accusateurs vers le palais présidentiel. Celui-ci répond par le silence ou par des salves, le tout dépendant de l’interprétation locale des Droits de l’Homme. Dans les rues des capitales, l’ambiance est électrique et l’espoir une denrée rare : faillite des système bancaires (liée à d’étranges politiques de crédit) ; amenuisement drastique des concours financiers extérieurs (pour cause de discrédit) ; dégraissage des effectifs amorphes des secteurs publics et parapublics ; désengagement de l’Etat à l’égard des activités sociales qu’il assumait d’ailleurs très approximativement ; morosité des entreprises privées (par manque d’investisseurs et de consommateurs) ; chômage, sous-emploi généralisé, productivité déclinante dans tous les secteurs ; mentalités sclérosées et peu préparées à opérer les grandes reconversions qui s’imposent : -la liste des ruptures socio-économiques actuellement perceptibles en Afrique est longue. Très longue en Centrafrique………….…..
On retiendra simplement que l’effondrement des supports économiques habituels d’une société essentiellement combinarde, désormais sciés à la base, installe partout une angoisse polymorphe, pesante, lourde de menaces pour l’avenir immédiat. L’Africain « moderne » en effet, déboussolé, et ne sait plus à quel saint « économique se vouer : le « parent » qui, hier encore, pouvait dégager un poste d’une simple chiquenaude sur le nom d’un concurrent valeureux, est une espèce en voie de disparition, pour la simple raison qu’il n’y a plus rien à « racler ». Les caisses, au propre et au figuré sont vides. Les sources « modernes » d’alimentation et de régénération des solidarités atomisées sont à peu près épuisées. Seule est désormais assurée la pitance des membres de la classe dirigeante et de leurs proches parents. Il est difficile de croire que de tels revirements restent sans effet sur les mentalités.
Le tout est de savoir combien de temps il faudra pour qu’éclate à l’échelle du Continent une révolution sociale salutaire qui obligera les Africains à se trouver enfin un dénominateur commun dynamique. La peur des nantis est tangible un peu partout. Les possédants, plus souvent petits magouilleurs que grands hommes d’affaires, se barricadent maintenant derrière leurs biens très mal acquis, laissant l’étalage habituel des signes extérieurs de richesse aux inconscients : -le luxe, insolent ou non, permet désormais de repérer les victimes de la future vindicte populaire, et commence tout simplement avec ceux qui peuvent acquérir des denrées de première nécessité tout au long du mois. Les détourneurs de biens tentent de sauver leur peau en plaçant leur argent à l’étranger ou dans l’immobilier. Par ailleurs, de nouveaux humains apparaissent. A la pauvreté en haillons des exclus du développement à la petite semaine, s’ajoute désormais celle en costume trois pièces et en bazin brodé de nouveaux « conjoncturés » en quête d’un emploi introuvable. L’Afrique, la Centrafrique est hagarde, inquiète, et, pour la première fois peut-être depuis les indépendances, au bord du gouffre.
Dans les quartiers populaires, les fêtes désertent les chaumières à la vitesse de l’argent. La raison économique installe brutalement ses quartiers là où l’inconscience la plus ahurissante régnait en maître jusqu’à une date récente. Le gaspillage, autrefois perçu comme signe d’opulence, même chez les pauvres, relève aujourd’hui de la dernière arriération mentale. L’Afrique, la Centrafrique apprend à économiser. Elle a peur d’elle-même, de ses propres réactions. Mais est-elle au bord de l’explosion ?
Pour la première fois peut-être depuis les indépendances, elle se doute que l’avenir dépendra désormais de l’aptitude de chacun à se percevoir autrement, à penser autrement, à agir autrement : -en un mot, à changer ou à disparaître. Parallèlement à ces changements, on assiste à une érosion lente mais soutenue de certains mythes cardinaux de la pensée africaine post-indépendantistes. Ceux-ci s’affaissent progressivement sous le poids de leurs propres contradictions ; les plus résistants d’entre eux en étant réduits à s’accrocher à des branches vermoulues qui ne tarderont pas à céder tant les pressions économiques internes sont puissantes.
Ainsi, la classe intellectuelle africaine qui, jusqu’au milieu des années 80, rêvait d’étreintes populaires, de grandes coalitions avec les masses contre les dirigeants politiques corrompus, prend progressivement ses distances. Aussi voit-on les points d’interrogation, naguère concentrés au sommet de la pyramide sociale, se déplacer vers le bas, à la recherche de vérités, non plus sectorielles, mais verticales. Les masses africaines sont suspectes : « c’est nouveau et très rafraîchissant ».
Cher lecteur et compatriote, merci d’avoir pris le temps de me lire. Avant de te coucher le soir, poses-toi la question : « Qu’ai-je Fais pour faire avancer Mon Pays aujourd’hui ? – Gui tênè ti ôkô bozo ti mbi la akè so mbi ? – Quel acte ai-je, directement ou indirectement, posé pour favoriser le bien-être des générations futures ? – L’avenir dans un « Mieux vivre ensemble en Centrafrique » a-t-il un jour fait partie ou fait-il encore partie de mes priorités au quotidien ? – Wala mbi kê na vourou bê ti molengué ti kodro, wala mbi kê na kota bê ti yé ti séssé ???.....».
La jeunesse centrafricaine et la nouvelle génération, arrivées en âge de comprendre et prendre les choses en mains, en ont plus qu’assez d’appartenir à un pays complexé et où la médiocrité occupe une place considérable;- cette jeunesse semi-lettrée écoute la radio et s’informe via d’autres médias et comprend mal que la Centrafrique reste à la traîne, alors que les autres avancent. Le peuple est mûr et a conscience qu’il faut agir, et que lui aussi devra agir et impulser une dynamique ; - Raison de plus pour que nous remettions maintenant tout sur la table et fassions un tri.
Toutefois, souviens-toi qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et qu’une action personnelle venant de toi, quel quelle soit, est espérée et attendue car : « Aucune Nation ne naît grande, les Grandes Nations sont l’œuvre de leurs citoyens ». – La construction de notre Pays est l’affaire de TOUS.
Fin de la 1ère partie de la Réflexion N°03
CD. DARLAN
Consultant en Stratégies de Développement
E-mail : batir.rca@gmail.com