Après avoir constaté la capitulation et la fuite du tyran et des siens, nous nous réveillons avec la gueule de bois, non du fait de réjouissances qui se seraient prolongées tard la nuit, ce qui aurait été somme toute logique et légitime, mais à cause du malheur dont est désormais coutumier le peuple centrafricain : les pillages, comme rétribution fatale des vainqueurs.
Or, nous savons que cette rétribution obtenue au bout du fusil au détriment de populations démunies et de villes mises à sac, annonce toujours d’autres rétributions du même type, s’étendant alors sur plusieurs années, au prix d’une mise sous cloche des institutions et du pays tout entier.
On sait que BOZIZE ayant accédé au pouvoir suite à une rébellion il y a dix ans, avec l’aide de mercenaires tchadiens, ceux-ci ont eu carte blanche pour se servir en pillant volant, violant et tuant. On connaît la suite : Dix années d’humiliations, de brimades, d’appauvrissement, de calamités de toutes sortes pour le peuple centrafricain.
Nous sommes stupéfaits, qu’une fois encore, en ce jour qui aurait dû être un jour de victoire pour le peuple centrafricain, celui-ci se retrouve comme par une implacable fatalité, victime des mêmes exactions, alors qu’on commençait à croire, que les choses étaient sous contrôle, à l’entrée de SELEKA dans la ville de BANGUI.
Si, effectivement, BOZIZE et les siens avaient quitté les lieux à 7 heures au plus tard ce dimanche 24 mars, pourquoi avoir besoin de laisser se perpétrer ces pillages à l’encontre de paisibles citoyens et ce saccage en règle qui se poursuivent jusqu’à ce jour ?
Constatant l’incapacité des nouvelles autorités centrafricaines à restaurer l’autorité de l’Etat et à assurer la sécurité des populations sur l’ensemble du territoire,
Nous dénonçons avec une extrême vigueur, les exactions commises par des éléments de SELEKA contre les personnes et les biens des centrafricains ;
Nous sommons les responsables de SELEKA de faire cesser immédiatement ces crimes commis contre le peuple centrafricain que leur premier souci devrait être de protéger ;
Nous appelons les Centrafricaines et les Centrafricains à se dresser contre ces comportements odieux sur lesquels il faut exiger toute lumière soit faite ;
Nous exigeons que dès aujourd’hui se créent les conditions d’un changement radical des pratiques politiques afin que jamais, les Centrafricains n’aient plus à subir ces menées criminelles qui les ont réduits, pendant 53 ans, à la servitude dans leur propre pays.
Nous ne devons pas oublier que nous connaissons cette situation aujourd’hui parce que nous Centrafricains n’avons pas été capables de prendre en charge nous-mêmes les affaires de notre pays et nos propres vies, même lorsque nous nous sommes retrouvés en situation de le faire, prisonniers que nous sommes de petits calculs bassement matériels, limités à notre petite personne. Nous avons toujours, de tout temps laissé à d’autres le soin de dire et de faire à notre place, ce qui est bon pour nous.
Le problème est que, d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes toujours retrouvés esclaves sur notre propre sol, nous contentant des miettes tombant de la table bien garnie de maîtres venant d’autres latitudes, confortablement et systématiquement installés, enrichis et gavés sur notre dos, avec la complicité de certains d’entre nous.
La manière dont les accords de LIBREVILLE ont été conduits nous en offre un bel exemple.
Aujourd’hui encore, force est de constater que les nouvelles autorités centrafricaines peinent à restaurer l’autorité de l’Etat et à convaincre de leur légitimité.
Que constate-t-on ?
Une insécurité généralisée
Une administration qui ne peut se remettre à fonctionner normalement, ne disposant plus des moyens matériels et financiers entièrement pillés par les troupes incontrôlées de SELEKA et par des bandes de malfaiteurs profitant du chaos ambiant.
Un secteur privé paralysé pour les mêmes raisons.
Il faut dès à présent tirer les conséquences de cet échec patent et tenter de trouver une solution viable car les populations centrafricaines n’ont que trop souffert de tant d’années de mauvaise gouvernance due à l’inconscience, à l’irresponsabilité, à l’incompétence et à l’incurie de ses dirigeants.
Alors que faire ?
I - REPENSER LA TRANSITION
L’administration provisoire peut-elle constituer une solution à la crise centrafricaine ?
Si les Centrafricains ne sont pas capables de résoudre leurs problèmes eux-mêmes, alors il faudra peut-être engager très rapidement une concertation en vue de l’instauration d’une administration provisoire de la République Centrafricaine, à l’image de ce qui a été fait pour le KOSOVO dans les années 90.
On se souvient qu'en 1999 suite à la crise qu'a connue le KOSOVO dans l'ex-Yougoslavie, les Nations unies ont instauré une administration provisoire sous la direction d'un Haut Représentant Civil de l’ONU.
Cette administration a eu pour objet de stabiliser le pays d'un point de vue administratif mais aussi par la protection de la population.
Elle a eu pour fonctions de :
- Exercer les fonctions d'administration de base
- Faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et l'acheminement de l'aide humanitaire et de secours
- Maintenir l'ordre public
- Garantir et promouvoir les droits de l'homme et veiller à ce que tous les réfugiés et les personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et sans difficulté.
En République Centrafricaine, on pourrait envisager de confier la direction d’une telle administration à une personnalité africaine indépendante et dont l’autorité serait indiscutable, comme Alpha Oumar KONARE, ancien Président du Mali et ancien Président de la Commission africaine, Jerry RAWLINGS, ancien Président du Ghana, Joaquim CHISSANO, ancien Président du Mozambique, etc.
En tout état de cause cette personnalité ne devrait pas être un ressortissant d’Afrique centrale, ce qui garantirait son indépendance par rapport aux pouvoirs politiques de la sous-région.
Cette personnalité serait désignée en concertation entre le Secrétaire Général de l’ONU, le Président en exercice de l’Union Africaine et le Président en exercice de la CEMAC.
Le maintien de la sécurité pourrait être confié aux troupes de la CEAC (FOMAC) renforcées par celles de l’Union Africaine et des Nations Unies.
Il est évident que seules des forces neutres seraient en mesure de rétablir dans un délai raisonnable et maintenir efficacement la paix et la sécurité en République centrafricaine.
L’instauration de cette Administration devrait impliquer :
La refonte et la réorganisation des organes actuels de la transition.par :
- La création d’un Comité centrafricain ayant à sa tête un président et qui ferait office de gouvernement travaillant en étroite collaboration avec les organes de l’administration onusienne. Sa composition, les modalités de son fonctionnement et de sa collaboration avec le Haut Représentant de l’ONU sont à définir.
- La mise en place d’une Agence Africaine pour la Reconstruction à l’image de l’Agence Européenne du même nom, dont la composition et les compétences sont à définir.
Une des conséquences de la mise en place de ce système serait le retour à brève échéance de la libre circulation des personnes et des biens, par conséquent la reprise des activités administratives et économiques dans de meilleures conditions de sécurité sur l’ensemble du territoire.
Cette administration provisoire devrait couvrir le délai prévu pour l’actuelle transition. Ce délai serait mis à profit pour restructurer les forces centrafricaines de défense et de sécurité, préparer des élections libres.
L’enjeu serait pluriel :
- Accompagner la République Centrafricaine dans la création des conditions qui lui permettraient de retrouver progressivement une stabilité nécessaire à son développement en évitant une guerre civile qui lui serait fatale ;
- Aider à la restructuration des forces nationales de défense et de sécurité :
- Aider à la restauration de l’autorité de l’Etat et à la création de conditions susceptibles de garantir la sécurité des populations sur l’ensemble du territoire ;
- Etre assuré de la neutralité des forces chargées provisoirement de la sécurité sur l’ensemble du territoire
- Permettre le cantonnement et le désarmement progressif des troupes irrégulières ;
- Eviter la « somalisation » du pays ;
- Aller à des élections libres et transparentes dans des conditions de neutralité et de sécurité optimales.
- Avoir la garantie qu’à la fin de la transition, des forces armées partisanes, totalement dévouées à un seul camp, ne profiteront pas d’une position dominante pour orienter les élections dans un sens ou dans l’autre.
OUBANGUI PERSPECTIVES ne prétend nullement avoir trouvé une solution miracle et d’une universalité absolue pour guérir la République Centrafricaine de tous ses maux, ni que l’administration provisoire serait la panacée, mais le fait est qu’il y a urgence. Toutes les propositions visant à assurer et préserver les intérêts de notre pays sont les bienvenues.
Il est évident qu’il vaut toujours mieux être maître chez soi et donc responsable de sa propre destinée pour ne pas courir le risque qu’un étranger vienne balayer votre maison et s’en aille en vous dissimulant dans tous les coins des boules puantes qui vous pourrissent ensuite la vie pour son plus grand plaisir.
Mais pour éviter ce genre de désagrément, encore faut-il se comporter en homme responsable et capable de décider par et pour soi--même.
Les Centrafricains doivent très rapidement réfléchir à toutes les solutions envisageables pour sortir leur pays de l’impasse politique dans laquelle nous ont conduit BOZIZE et ses complices.
Nous ne pouvons assister impuissant à ce qui ressemble fort à une marche inexorable vers l’anéantissement de notre pays.
Entre tutelle infantilisante que nous n’avons cessé de connaître jusqu’à présent et accompagnement nous permettant à terme d’accéder à une indépendance réellement assumée, il nous faut choisir promptement.
II – QUE FAIRE MAINTENANT QUE BOZIZE A ETE CHASSE DU POUVOIR ?
Déjà identifier et réprimer autant que faire se peut tous ceux qui se sont livrés à des pillages et/ou à tout acte répréhensible.
Sans tarder mettre en place un organe avec pour mission de recenser tous les crimes du régime BOZIZE, de traquer BOZIZE, ses enfants et tous leurs complices partout où ils se trouvent afin de les attraire en justice.
Mettre en place des équipes chargées d’étudier les voies et moyens de traquer tous ceux qui se sont rendus coupables de tels actes avec la bénédiction de ce régime et tous ceux qui se sont enrichis au détriment des Centrafricains et du pays. Il est légitime que l’Etat utilise toutes les voies de droit possibles aux fins de récupérer les fortunes illicites que des citoyens malhonnêtes se sont constituées à ses dépens
Nous devons très rapidement nous donner les moyens de localiser à travers le monde les comptes et biens mobiliers et immobiliers obtenus frauduleusement.
On ne doit cependant se limiter au bilan du seul régime BOZIZE.
De plus en plus nous parviennent en échos des noms de gens qui ont déjà sévi à la tête de l’Etat et qui, déjà, pointent le bout du nez pour susurrer à l’oreille de qui veut bien leur prêter attention, les immenses services qu’ils sont capables de rendre à la nation qu’ils on saigné à leur époque de gloire.
Il faut appeler les Centrafricains à la vigilance pour débusquer tous ces petits malins qui vont, comme des loups affamés, eux-mêmes vanter la science dont ils seraient pourvus et qu’ils seraient disposer à mettre, de manière très naturellement désintéressée, à la disposition du pays qu’ils ont toujours chéri et qu’ils ont dû, honteusement et malgré eux exploiter, terrifiés et pétrifiés qu’ils étaient par le Président de la République, leur mentor vénéré de l’époque.
Nous devons faire en sorte que l’impunité disparaisse de l’espace centrafricain.
Pour y parvenir, nous ne pouvons échapper à un bilan des régimes qui ont précédé celui de BOZIZE. Nous ne croyons pas qu’on puisse se passer de situer les responsabilités politiques passées qui ont contribué irrémédiablement à conduire notre pays dans un abîme dont nous avons peine à nous sortir. Ce n’est qu’à cette condition, en effet que nous préviendrions la réitération des mêmes travers de la part de tous ceux qui sont susceptibles de se retrouver aux commandes du pays.
Constater qu’il faut faire la paix en se réconciliant au nom de la fraternité entre Centrafricains ne suffit pas. Cela, on l’a éprouvé maintes et maintes fois et la fraternité n’est pas en cause en l’espèce.
Il ne s’agit pas de faits insignifiants troublant l’ordre public dans notre société traditionnelle de base - le village en l’occurrence, ou même le quartier – et susceptibles de se régler sous l’arbre à palabre.
Il est question de crimes et autres méfaits graves ayant mis et mettant encore en péril notre pays et son devenir, si nous n’y remédions très rapidement et résolument par des mesures fortes, signaux sans équivoque et dissuasifs à l’égard de tous.
Les nouvelles qui nous parviennent de Bangui, laissent apparaître que les inconditionnels du « mangeoirisme », adeptes de la chevauchée fantastique au travers des régimes successifs que notre pays a connus, jouent déjà des coudes pour se positionner dans le sens du vent, prêts à se lancer dans une nouvelle aventure politique.
La course au recyclage politique est lancée.
Ces girouettes professionnels à la toxicité fortement destructrice voient dans le Comité National de Transition une cabine de décontamination politique, qui leur permettrait de redorer leur blason fortement souillé des malheurs des Centrafricains.
Dit-on que la composition du CNT est l’occasion d’une véritable bataille de chiffonniers, surtout à l’initiative de tous ces gens qui ont, parfois très récemment, contribué à la descente aux enfers de notre pays.
Certains n’hésitent pas à s’autoproclamer représentants de telle ou telle préfecture, contre le choix des habitants, ce qui donne lieu à des scènes tragi-comiques qui ridiculisent notre pays.
Déjà porté à 135 au lieu de 100, le nombre des membres du CNT finira par être triplé ou quadruplé pour intégrer tous les bras cassés de la politique centrafricaine.
Il faudra bien qu’un jour un patriote fasse réellement le ménage pour renvoyer définitivement chez eux tous ces soi-disant hommes politiques, dont le caractère nuisible pour la République Centrafricaine n’est plus à démontrer.
Personne ne prône une chasse aux sorcières, mais il faut admettre que la situation politique actuelle est totalement surréaliste.
Voilà une rébellion qui s’était donné comme objectif de mettre fin à un système qui a usé des méthodes les plus barbares pour réduire au silence les populations centrafricaines.
Cette rébellion finit par s’installer au pouvoir en chassant l’odieux locataire des lieux qui cherchait à s’y incruster par tous les moyens.
On aurait pu penser que le nouveau pouvoir allait procéder au démantèlement du système inacceptable qui a justifié l’organisation de ladite rébellion.
A la stupéfaction des Centrafricains, un très grand nombre des partisans de l’ancien régime, notamment les députés de la précédente majorité familiale tant décriée en son temps, avec la complaisance des nouvelles autorités, se réinstallent avec fracas et arrogance dans des fonctions officielles dont l’accès leur devrait logiquement être interdit.
Cet état de fait est un mauvais signal en direction de tous ceux qui seraient appelés dans l’avenir à exercer des responsabilités dans notre pays. Assurés d’une impunité institutionnalisée, ils seront inévitablement tentés de reprendre à leur compte les pratiques antinationales qui ont infesté et gangrené la République Centrafricaine depuis plus d’un demi siècle.
A quoi sert-il de procéder à un changement aussi lourd de conséquences pour le pays pour finalement reprendre les mêmes et recommencer comme s’il ne s’était rien passé ?
Il est à craindre que de nouveaux venus en politique ne lorgnent avec une envie et une avidité décuplées sur ces pratiques bassement égocentriques qui, loin de préserver l’unité nationale, finissent toujours par la ruiner, puisqu’elles suscitent immanquablement frustrations et animosités.
A quoi bon changer pour ne rien changer ? Les Centrafricains se posent légitiment la question, craignant à juste titre que l’avenir, pour eux, ressemble furieusement au passé. Le chaos généralisé, pétri de terreur et d’insécurité, qui accompagne depuis plusieurs mois la conquête puis l’installation du nouveau pouvoir, n’est pas de nature à les rassurer.
La bagarre féroce que se livrent les nomades invétérés et facilement identifiables de la politique politicienne centrafricaine, laisse augurer très aisément de l’amoncellement inéluctable d’un terreau propice aux abus maintes fois dénoncés mais cependant profondément enracinés au cœur des sphères dirigeantes successives.
Aussi longtemps que les Centrafricaines et Centrafricains laisseront faire ces personnes malfaisantes et ne consentiront à s’opposer à elles frontalement, les affaires publiques continueront à pâtir de leurs méfaits.
Il faudra bien que les responsabilités de ces personnes soient examinées très sérieusement, faute de quoi, nous irons une fois de plus vers des lendemains qui déchantent.
Il est très important que les Centrafricains s’expriment et disent haut et fort ce qu’ils veulent pour eux-mêmes et pour leur pays.
Centrafricaines, Centrafricains, nous ne pouvons assister, les bras croisés, à notre destruction par ces authentiques malfaiteurs, des gens sans foi ni loi !
Ce pays nous appartient, et à nous seuls !
Si nous ne nous révoltons et ne prenons en main notre propre destinée, personne ne le fera à notre place.
Nous devons être conscients que si nous nous contentons d’être des spectateurs de notre propre destinée, notre malheur sera provoqué et entretenu pour le bonheur de nos ennemis qui sont déjà à l’œuvre.
Chers compatriotes, Réveillons-nous, faute de quoi nous avaliserions par notre inertie la disparition pure et simple de notre pays ! A moins d’accepter que d’autres, avec notre participation clairvoyante et vigilante nous aident à nous en sortir. Il faudra alors grever notre souveraineté de quelques concessions.
Chers compatriotes, il ne tient qu’à nous de « briser la misère et la tyrannie, en brandissant l’étendard de la patrie ».
Donnons nous les moyens de vaincre définitivement le chaos endémique de notre pays.
D’une part, la transition doit impérativement être repensée dans sa forme et dans ses modalités, et, sa conduite confiée à des hommes responsables et déterminés. De nouvelles discussions multipartites impliquant la communauté internationale s’imposent.
D’autre part, les Centrafricaines et les Centrafricains ont grand intérêt à faire montre d’une vigilance accrue et constante pour qu’une nouvelle tyrannie ne se substitue à celle qui vient de s’éteindre.
Nous devons très rapidement nous doter des moyens de nous prémunir contre l’arrogance dévastatrice des tenants du nomadisme politique qui n’en ont jamais assez de piétiner et d’humilier le peuple centrafricain et qui, aussitôt interrompus leurs forfaits, alors même que la fumée s’échappant des cendres de leur régime incendié n’est pas encore dissipée, se préparent, comme si de rien n’était à revenir à la charge.
Restituer la République Centrafricaine aux centrafricains et réaffirmer la primauté de ceux-ci sur leurs ressources naturelles
Promouvoir les droits prioritaires des centrafricains dans tous les aspects de la vie de leur pays,
Tel est le sens de l’engagement et du combat d’OUBANGUI PERSPECTIVES.
(Voir également, infra, de Maître Ignace OUNDA-MEYBI « Lettre à mes compatriotes » en date du 21 février 1990 dans laquelle étaient notées parmi les conditions de la reconstruction nationale, entre autres, la restauration de l’autorité de l’Etat par la reconquête de la souveraineté nationale ainsi que la reconquête de l’économie nationale).
Latillé le 24 mars 2013
Maître Ignace OUNDA-MEYBI
Poitiers le 21/02/90
OUNDA-MEYBI Ignace
à
Mes compatriotes Centrafricaines et Centrafricains
Chers compatriotes,
A l’heure où le monde connaît des bouleversements très importants, à l’heure où l’intangibilité des frontières géopolitiques est mise à rude épreuve par les populations d’Europe de l’Est, à l’heure où l’apartheid en Afrique du Sud bat de l’aile, je vous invite à réfléchir sur l’avenir de notre pays, la République Centrafricaine. Il est évident qu’une réflexion sur la R.C.A. ne peut exclure le reste du continent africain.
La R.C.A., comme la grande majorité des pays africains, se meurt. Elle se meurt dans l’indifférence générale : indifférence d’abord des nationaux qui, face à d’innombrables difficultés quotidiennes, se laissent aller à la résignation, croyant à tort que la meilleure solution est de se replier sur soi-même ; indifférence de la part de l’opinion internationale qui peut-être ne trouve aucun intérêt à s’émouvoir pour le sort des pays africains. Peut-être croit-on que l’Occident a délégué à la tête de nos états des « SAGES » - suivez mon regard – suffisamment compétents et honnêtes pour que nous n’ayons plus qu’à nous taire et à mourir en silence. Je voudrais simplement relever avec quelle légèreté les médias en France ont traité les évènements du Niger, du Gabon et de la Côte d’Ivoire*. Que penser, sinon que l’Afrique, de toute évidence, n’est pas l’Europe de l’Est ? Ceux qui nous gouvernent par « SAGES » interposés ne peuvent admettre que les peuples d’Afrique aient besoin de la moindre parcelle de liberté(1).
Il appartient donc aux Centrafricaines et aux Centrafricains, aux Africaines et aux Africains de réfléchir sur les voies et moyens de s’en sortir et d’enrayer la descente vertigineuse vers des profondeurs de plus en plus sombres.
En Centrafrique, tout se passe comme si les maux qui rongent le pays sont normaux. Tout se passe comme si les Centrafricaines et les Centrafricains reconnaissent tacitement aux dirigeants le droit de se comporter en rapaces et en fossoyeurs de la moralité. Ils ne se contentent pas de piller et de saccager le pays. Ils débauchent des filles de 13, 14, 15 ans au vu et au su de tout le monde.
L’incompétence, l’injustice même la plus flagrante, la corruption, les détournements de fonds publics n’étonnent plus. L’impunité est assurée pour tous ceux qui baignent dans les eaux du régime. Savez-vous qu’il ya deux ou trois ans, l’un des protégés du régime s’amusait à nommer des sous-préfets à sa guise ? Ses nominations étaient diffusées sur les ondes de Radio Centrafrique. Il a poussé l’audace jusqu’à se nommer Secrétaire Général de la F.N.E.C.( Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains ). Ce n’est qu’à ce moment-là que sa manœuvre a été découverte. Après un séjour en prison d’un an à peine, notre aventurier retrouve la liberté.
Dans notre pays aujourd’hui, il paraît normal que le Président de la République installe les membres de sa famille à tous les postes – clefs de l’Etat, surtout là où l’on peut voler le plus d’argent possible pour remplir les caisses du clan. Il paraît normal que le Président de la République, qui n’était qu’un pauvre parmi les pauvres avant son accession au pouvoir, devienne après trois à cinq années à peine, le plus grand transporteur, le plus grand trafiquant de diamants et d’ivoire avec sa grande sœur, ex-vendeuse d’huile de palme sur le marché du KM5.
Il ne surprend personne que le Chef de l’Etat fasse construire pour son propre compte un institut flamboyant accueillant des classes primaires, secondaires et supérieures, alors que tous les établissements scolaires, primaires, secondaires et supérieurs du pays n’arrivent plus à contenir ceux qui les fréquentent. Notons que l’institut de SON EXCELLENCE LE GENERAL D’ARMEE CINQ ETOILES - on ne saura jamais combien de guerres il a connues ni combien il en a remportées -, PRESIDENT DU R.D.C., CHEF DE L’ETAT, coûte cher. Pour y entrer, il faut avoir des parents fortunés ou ayant un sens poussé du sacrifice. La plupart des parents se trouvent plutôt dans la seconde catégorie. Il est connu que les vampires ne vivent que par le sang des autres. C’est dire qu’ils n’attachent aucun prix à la vie d’autrui et ne s’émeuvent point de sa souffrance. Certains élèves ou étudiants de son « EXCELLENCE » sont boursiers de l’état centrafricain qui paye en plus des droits à sa « SEIGNEURIE » pour les y inscrire. Naturel n’est-ce-pas ? Tout est bon à prendre, et, pour un pillage organisé, on ne peut imaginer mieux.
On ne peut parler de l’illustre institut sans mentionner l’inscription qu’on peut lire à l’entrée : « CHERCHE LA VERITE ET LA VERITE TE FERA HOMME LIBRE ». Au pays des vampires et des cupides, la vérité a décidément des reflets d’argent. Peut-être les locataires de l’établissement public décrépi situé juste de l’autre côté de la rue, rue longeant en outre le petit cours d’eau sale encombré d’herbes géantes et de détritus qui traverse la ville de Bangui (2), aimeraient-ils eux-aussi connaître la liberté un jour en recherchant la vérité ? Mais le peuvent-ils ? Il leur faudrait pour y arriver franchir les portes de l’illustre institut de SON EXCELLENCE LE GENERAL CINQ ETOILES, CHEF DE L’ETAT – le « vieux nègre et la médaille », ce n’est jamais ridicule : d’ailleurs on sait que le ridicule ne tue pas -.
En Centrafrique, certaines écoles abritent en réalité deux établissements – on croit rêver -. Dans une même école, il peut y avoir deux directeurs, chaque directeur ayant sous son autorité un certain nombre d’enseignants. L’un des groupes ainsi constitués travaille dans la matinée et l’autre l’après-midi. Chaque demi-journée de quatre heures est divisée en deux parties. Des classes surchargées se relaient. En définitive, chaque classe ne dispose que de deux heures d’enseignement par jour. Cela suffit à vous donner une idée du système éducatif et, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
En Centrafrique, les hôpitaux sont devenus des mouroirs. On s’en méfie. Quand quelqu’un de votre famille est malade, vous hésitez à lui conseiller d’aller à l’hôpital. Il n’est pas rare qu’un patient admis dans un établissement hospitalier croit simplement à une retraite avant une mort certaine. L’insalubrité a atteint un niveau tel que, parfois, des patients admis à l’hôpital pour une maladie donnée, en repartent avec deux ou trois autres maladies s’ils n’y laissent leur peau. Y voir se promener fièrement et l’air goguenard des rats grassouillets est chose courante et banale. Si vous êtes admis dans un de ces établissements, soyez inspirés d’avoir vos médicaments y compris l’alcool qui est une « denrée rare ». Dans le cas contraire vous vous entendriez dire : « Si vous ne pouvez vous offrir des médicaments, laissez la place parce qu’il ya un autre malade qui attend » ! Le problème est que beaucoup sont obligés de laisser leur place parce que, en réalité, peu de gens peuvent s’acheter des médicaments. Pour les plus fortunés, il y a les cliniques. Les plus pauvres n’ont qu’à crever.
Beaucoup de patients hospitalisés couchent sur des matelas pourris et humides, souvent recouverts de nattes qui finissent par s’imprégner de l’humidité des matelas, un cercle vicieux très dommageable pour une santé déjà affectée. Certains malades se contentent tout simplement de nattes posées à même le sol
Dans les hôpitaux, il manque même du sérum. Certains hôpitaux de province connaissent un dénuement encore plus criant. Je citerais seulement l’exemple d’un établissement dont le bloc opératoire hors d’usage depuis de nombreuses années. Le chirurgien est obligé d’opérer à la lumière du jour, utilisant même un tissu usagé en guise de champs opératoires. Dans la salle d’accouchement a pris place depuis fort longtemps une table d’accouchement plus que sale et qui finit d’être rongée par une rouille épaisse et tenace.
Chers compatriotes, les Centrafricains ont la vie dure.
Le plus grave en matière de santé c’est qu’il n’y a aucune politique de prévention. Le cadre de vie même du Centrafricain devient de plus en plus infect. Les banguissois, par exemple, ne peuvent plus faire autrement que de partager, toutes les nuits, leur lit avec des pelotons de moustiques qui, le jour, se réfugient dans les tas d’immondices, les marécages, les broussailles et autres repaires qui foisonnent dans la ville.
Dans la journée, les moustiques passent le flambeau aux mouches. Celles-ci sont légion et passent aisément des WC sommairement aménagés à ciel ouvert aux assiettes. Les fosses d’aisance côtoient les puits.
La poussière est partout présente et de manière fort peu discrète. Elle agresse les gens dans la rue, sur les engins à deux roues, dans les voitures et même dans les moindres recoins de la maison. Quand vient la pluie, la boue prend le relais. Au marché, vendeurs et clients y pataugent sans se poser des questions. Les bouchers et les vendeuses de poisson sont impuissants devant les hordes de mouches qui s’abattent sur les denrées proposées. Les clients eux-mêmes n’y font plus attention.
Entre pelotons de moustiques et brigades de mouches, entre poussière et boue, les Centrafricains n’ont pas le choix. En tout état de cause, ils y laissent de leur santé.
En Centrafrique aujourd’hui, il y a des cas de malnutrition. On y mange très mal en général. C’est surprenant dans un pays où l’agriculture devait être un secteur prospère. Nous avons, contrairement à beaucoup de pays confrontés aux hostilités climatiques, la chance d’avoir des terres très fertiles. La végétation y est très abondante et verdoyante. Des grains de maïs ou des graines d’arachide même semés devant chez soi poussent aisément. Comment comprendre alors que les produits vivriers coûtent si cher ? Comment comprendre que les populations se nourrissent si mal, que les gens et particulièrement les enfants soient aussi maigres, d’une maigreur presque pathologique ?
En matière de travaux publics, la situation est désastreuse. Les routes du pays sont en général en très mauvais état. La communication entre les villes, à quelque exception près, ressemble à une course d’obstacles. Je voudrais simplement citer les cas de la ville d’Obo, Bakouma ou Wada qui sont coupées du reste du pays. Pour se rendre à Wada par exemple, il faut être un chauffeur expérimenté, être capable de se frayer un chemin à travers la savane et traverser les cours d’eau en repérant les endroits les moins profonds. Bref, c’est toute une aventure.
L’affectation de fonctionnaires dans un certain nombre de villes est communément perçue comme une sanction disciplinaire et, d’ailleurs, souvent, les autorités nationales s’en servent comme telle.
Pour protéger les quelques routes plus ou moins praticables, les autorités ont institué les barrières de pluie ; mais la propension des agents de l’Etat à la corruption ôte toute efficacité. De plus, il y a des véhicules privilégiés qui échappent aux barrières de pluie et ce ne sont pas forcément les plus petits. C’est le cas des gros camions du chef de l’Etat (BATA GNI NDOU) (3) ou de gens proches du pouvoir, acheteurs de café ou affairistes en tout genre. Or ce sont ces camions qui dégradent le plus les routes.
Pour voyager en Centrafrique, il faut s’armer de patience parce que, en plus de l’état des routes, il faut faire face à différentes sortes de barrières : barrières de pluie, de police, de gendarmerie, des eaux et forêts. Chacune de ces barrières intervient à plusieurs reprises. Elles sont doublement inefficaces à cause de la corruption qui tient lieu de règle. Elles ont en premier lieu manqué leur but principal. En second lieu, elles font perdre du temps et donc ralentissent l’activité commerciale, industrielle ou autre.
Dans la ville de Bangui, avenues et rues sont couvertes de trous au point que les voitures quittent souvent la chaussée pour les accotements, ravissant ainsi l’espace aux piétons. Quelqu’un a dit un jour ironiquement qu’il y aurait bientôt une ordonnance présidentielle autorisant les piétons à prendre la place des voitures sur la chaussée. Dans la plupart des cas, le goudron a disparu au profit de la poussière ou de la boue. Dans beaucoup de quartiers, après la pluie, il vaut mieux avoir une barque devant chez soi. Les égouts sont inexistants.
Chers compatriotes, ces quelques exemples suffisent à démontrer l’absence de politique, l’incompétence, l’absence de patriotisme, l’incapacité, le manque de probité de ceux qui gouvernent notre pays. Celui-ci est géré comme une boutique dont le boutiquier et ses assistants n’auraient aucune règle et ne tiendraient aucune comptabilité dans le seul but de s’enrichir impunément en entretenant le flou.
La République Centrafricaine vit ou plutôt survit au jour le jour. La jungle y a trouvé droit de cité. Mesures d’austérité frappant le peuple mais épargnant les dignitaires du régime et leurs proches, départ volontaire assisté, mesures de reclassement dans la fonction publique (banque de personnel), autant de symboles de la faillite de notre pays.
Le régime de KOLINGBA, comme ceux qui l’ont précédé, a échoué. Il a échoué par absence de moralité. Il a échoué par absence de politique : absence de politique économique et sociale, de politique de santé et d’éducation, absence de politique en matière de justice, etc.
Il a non seulement échoué sur le plan intérieur, mais également dans sa politique extérieure. Est-il besoin de dire que dans le concert des nations la République Centrafricaine n’a pas voix au chapitre ? Son chef se fait le plus discret possible dans les rencontres internationales. Sur des questions aussi importantes que l’apartheid, il n’y a aucune prise de position officielle. Notre chef d’Etat a été cependant l’un des premiers à donner son accord pour un sommet avec le président sud-africain Frédéric De KlerK. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, le président centrafricain fait preuve d’un esprit grégaire déconcertant et sans commune mesure. Qu’on lui demande de renouer les relations diplomatiques avec Israël ou de construire un barrage sur l’OUBANGUI, il s’exécute sans se faire prier. Puisque son voisin a interdit le port de la cravate, lui aussi interdira le port de la cravate. Mais il n »expliquera jamais à ces concitoyens le pourquoi et le comment de ses actions politiques. L’engagement raisonné passe pour un vilain défaut au pays des moutons de Panurge.
Notre pays est en faillite sur tous les points. Je pense cependant qu’il n’y a pas de fatalité. On peut apporter des solutions aux maux qui le rongent. Il faut d’une part de l’argent. Si on nous affirme qu’il n’y en a pas, il faut le prouver. Mais alors il faut nous expliquer comment font les dignitaires du régime pour s’enrichir de manière aussi insolente. Il faut d’autre part une volonté politique doublée d’un sens de l’intérêt général.
Mon sentiment est que la reconstruction nationale passe par un certain nombre d’éléments déterminants :
-Une gestion saine et rigoureuse du bien public. Elle implique qu’on évite le gaspillage par une meilleure définition des priorités et, par conséquent, une meilleure affectation des fonds publics. Toute confusion entre fonds publics et fonds privés devrait être sévèrement sanctionnée. Il faut mettre fin à des activités inutiles comme les grands bals ou autres festins, les missions et les campagnes économiques de complaisance qui permettent souvent aux heureux élus de soutirer un peu plus d’argent à l’Etat. Pour permettre une gestion rigoureuse du bien public, l’Etat devrait se doter de règles claires, précises et se donner les moyens de les appliquer.
-Une restauration de l’autorité de l’Etat. Elle passe en premier lieu par la reconquête de la souveraineté nationale. La République Centrafricaine doit avant tout faire confiance aux Centrafricaines et aux Centrafricains et faire en sorte que cette confiance soit méritée. La réalité est qu’aujourd’hui notre pays est livré aux étrangers. Les nationaux sont contraints de jouer les figurants dans leur propre pays. Notre pays est bradé sous nos yeux et interdiction nous est faite de réagir.
La restauration de l’autorité de l’Etat passe en second lieu par l’instauration d’institutions politiques crédibles et susceptibles de garantir les droits fondamentaux du citoyen : liberté d’expression, droit à l’éducation, droit à la santé, etc.
Il faut également réorganiser l’administration et en assurer le bon fonctionnement. Notre administration a besoin de plus de déconcentration, de souplesse et d’efficacité. Elle doit toucher toutes les populations. Il faut redéfinir et préciser les compétences et les responsabilités des agents de l’administration. Un code de déontologie est nécessaire pour limiter les dérives de la mécanique administrative. On a besoin d’un corps de règles sanctionnant les écarts de conduite préjudiciables de la part des fonctionnaires. De nombreux détournements de fonds publics ou abus de pouvoirs restent impunis. Leurs auteurs connus de tout le monde ne sont même pas inquiétés. Plus les sommes volées sont importantes plus on a des chances de se voir confier des responsabilités encore plus importantes. Cette logique pour le moins bizarre et cynique préside à la destinée de la République Centrafricaine aujourd’hui. L’incompétence et la malhonnêteté appellent curieusement la confiance des autorités nationales.
A notre avis, il est impérieux de mettre en place des tribunaux administratifs actifs. Un administré devrait avoir la possibilité d’attaquer l’Administration en justice, sous réserve pour celle-ci de se retourner contre l’agent défaillant.
Il faut de même réorganiser les juridictions judiciaires, voter des lois réfléchies, car la R.C.A. connaît une carence législative dans de nombreux domaines. L’épanouissement de la doctrine serait un moyen de favoriser l’évolution des lois. Le pays est gouverné aujourd’hui à coup de décrets, ordonnances et lois aussi irréfléchis les uns que les autres. L’administration centrafricaine est tout simplement moribonde.
La restauration de l’Etat passe enfin par une lutte acharnée contre la corruption. La respectabilité est un mot qui n’est certainement pas connu des autorités nationales, préfectorales, sous-préfectorales, etc. Comment un ministre, un préfet ou un sous-préfet peut-il valablement représenter l’Etat et se faire respecter s’il est corrompu par tous les commerçants de sa juridiction ? Là encore, il y a moyen de déloger les brebis galeuses. La corruption affecte l’Administration de haut en bas, dans tous les domaines. Pour la combattre, il faut ôter aux gens toute raison de se laisser corrompre. Cela suppose qu’on leur assure un certain revenu, un certain pouvoir d’achat, donc une vie acceptable. Un Etat qui assume ses obligations et devoirs serait plus crédible, donc plus à l’aise pour sanctionner. Mais un Etat qui cultive le gangstérisme et organise des rackets n’est pas qualifié pour imposer quelque loi que ce soit.
-La reconquête de l’économie nationale. Elle consiste, par une politique fiscale incitative, à encourager les Centrafricains à accéder de plus en plus nombreux aux activités commerciales et industrielles. C’est d’abord à cette condition que nous pouvons espérer une reprise en main et une maîtrise de notre économie. Il est anormal que nous soyons aussi absents de secteurs aussi vitaux.
Le gouvernement n’a aucune politique fiscale. En fait de fiscalité, il n’y a qu’un racket judicieusement organisé. Impôts, taxes en tous genres, amendes injustifiées, frais de douanes, tous aussi exorbitants les uns que les autres, constituent autant d’absurdités économiques et contribuent à rendre la vie des populations encore plus difficiles. L’ oligarchie au pouvoir échappe bien sûr à toutes ces impositions, ce qui explique qu’elle ne se soucie guère de l’amélioration du niveau de vie du peuple. Le problème est que même lorsque ces impositions frappent des produits importés, elles sont dans la plupart des cas injustifiables. Comble de malheurs, la production nationale, tous produits confondus, est souvent dérisoire ou même inexistante. La fiscalité élaborée par le gouvernement est guidée par le seul prétexte de renflouer les caisses de l’Etat – après évidemment que des mains occultes se soient servies -. Or, ce faisant, on pénalise le commerce, l’industrie et la consommation. On en arrive à annihiler toute possibilité d’amélioration du niveau de vie. La fiscalité est une chose indispensable, à condition qu’elle soit intelligente. Tout dépend du « pourquoi » et du « comment ».
La reconquête de l’économie nationale implique aussi une réhabilitation de l’économie rurale. Il faut réhabiliter l’agriculture. Cela suppose un certain nombre de préalables : organisation d’un marché intérieur prolongé par la nécessaire recherche de débouchés extérieurs ; restauration et amélioration des voies de communication (voies fluviales et terrestres en priorité) permettant une meilleure circulation des produits. La baisse du prix des produits agricoles n’est possible qu’au prix d’une production accrue.
Notre pays a besoin d’une politique économique résolue. Mais l’économique doit aller de pair avec le social. Il faut se donner les moyens d’un réel développement économique tout en veillant à une meilleure répartition des richesses, encourager l’initiative privée, la concurrence, tout en préservant l’équilibre social. Faire payer par exemple l’impôt à un chômeur relève du non sens et du cynisme. C’est pourtant la politique adoptée par les autorités centrafricaines. Dire qu’à la faculté de droit de Bangui, on apprend aux étudiants que l’impôt est fonction de la faculté contributive des individus. Il est certain qu’en RCA, l’Etat tel que le conçoivent nos dirigeants ne doit s’intéresser qu’à la contribution des citoyens au renflouement des caisses publiques. Le niveau et les conditions de vie du citoyen ne préoccupent personne. Un chômeur qui ne s’acquitte pas de l’impôt risque à tout moment de se faire embarquer lors des multiples contrôles de police ou de gendarmerie avec la prison au bout du chemin.
Comme le chômeur, l’agriculteur, l’artisan, l’ouvrier ou le commerçant le plus modeste n’existe pour l’Etat que grâce à l’argent qu’on lui soutire. Sa lutte quotidienne pour subsister n’est d’aucun intérêt.
-Détermination d’un grand service public. A mon humble avis, certaines activités devraient relever uniquement du service public. C’est le cas de l’éducation, de la santé, des postes et télécommunications, de l’énergie par exemple. Il s’agit en bref de tous les secteurs où l’initiative privée risque d’introduire très vite des inégalités. De même que les cliniques privées favorisent une santé à deux vitesses, une pour les riches et une pour les pauvres, l’enseignement privé à l’inconvénient majeur de favoriser l’élitisme et, dans certains cas, d’assurer une formation au rabais. Avec l’émergence d’une santé et d’un enseignement privés, les établissements publics risquent d’être définitivement condamnés à la décrépitude. Il est primordial d’assurer le droit fondamental des citoyens à la santé et à l’éducation.
Des domaines comme l’énergie ou les télécommunications, s’ils échappent à l’état peuvent finir par mettre en danger sa souveraineté. Je crois même que le service public doit être très large. Cela n’empêche pas de laisser à la libre concurrence un domaine tout aussi étendu. Pour certaines activités, on devrait adopter la formule de sociétés mixtes. Mais en aucun cas l’Etat ne doit faillir à son rôle régulateur. A l’intérieur même des domaines ainsi déterminés, certaines activités devraient être exclusivement réservées aux nationaux. Toutes ces solutions sont susceptibles de débats.
-Une politique internationale plus dynamique et plus constructive. La République Centrafricaine doit prendre toute sa place dans les organisations internationales, africaines en particulier. Je crois par exemple que l’U.D.E.A.C. pourrait largement contribuer au développement des pays membres, si les dirigeants de ceux-ci n’avaient pas en général une politique presque exclusivement tournée vers leur propre enrichissement et la préservation de leur pouvoir. Cette remarque vaut également pour l’O.U.A. qui est un grand ballet protocolaire.
Comment comprendre qu’entre la République Centrafricaine et le Congo voisin il n’existe aucune route ? Existe-t-il même une piste ? Personne ne le sait. Tout reste à faire pour substituer aux relations de pure forme existant entre Etats africains des relations concrètes susceptibles de favoriser des échanges émancipateurs pour les peuples. Il est urgent de substituer à l’union de l’inutile l’union de l’utile. L’Afrique est un vaste marché que les Africains ont tout intérêt à conquérir. Le développement économique est un vain mot faute de relations économiques plus intenses entre les pays africains.
Chers compatriotes, j’ai essayé à travers quelques exemples de faire le point de la situation catastrophique de la R.C.A.. Je m’en suis tenu à des faits vérifiables. Il aurait été impossible de vous donner une description détaillée des fourberies et exactions des imposteurs qui gouvernent notre pays. J’ai essayé de vous livrer le mieux possible mes sentiments, mes convictions et mes espérances. Si vous les partagez tant soit peu, si vous pensez que la corruption, l’incompétence, l’incapacité, le népotisme, l’opportunisme, la misère ne sont pas des fatalités, si vous croyez que l’intérêt général et le patriotisme méritent le respect, je vous propose de créer un mouvement d’idées porteuses d’espoir. Pour triompher des forces du mal, nous devons nous rassembler pour agir.
Je vous propose la dénomination « OUBANGUI PERSPECTIVES ». Oubangui, parce que le nom « République Centrafricaine » manque d’authenticité. Sur ce point, Je ne cacherai pas que je suis très « bogandiste ». Vous me direz très certainement que c’est Barthélémy BOGANDA qui a fondé la R.C.A.. C’est certain, mais il l’a voulue dans la perspective d’une fédération en Afrique Centrale et je conviens que cette vision est très futuriste. Je suis convaincu qu’un jour nous devrons œuvrer dans le sens d’une union économique plus forte et, à long terme, d’une union politique en Afrique Centrale. C’est même la clef d’un développement réel de la région. C’est justement pour cette raison qu’il serait judicieux de renoncer à un nom qui dans l’instant ne correspond à aucune réalité. Ce faisant, nous ouvririons la porte à une véritable union centrafricaine au sens fédéral du terme.
OUBANGUI PERSPECTIVES se veut un mouvement d’idées pour la promotion de la Social-démocratie en Oubangui, dans le respect de nos réalités. Plus de développement économique mais aussi plus de justice sociale, droit fondamental à l’éducation et à la santé, créativité et dynamisme, liberté d’expression, sont les pièces maîtresses de notre action.
Je n’attends pas que vous soyez d’accord avec moi sur tous les points. J’attends vos suggestions même contradictoires.
Etudiants, ouvriers, agriculteurs, fonctionnaires, commerçants, parents ou enfants, jeunes ou vieux, nous sommes tous embarqués sur le même bateau. Celui-ci est à la dérive. Il nous appartient de le sauver des eaux.
Fraternelles salutations.
NOTES
1-Monsieur Jacques CHIRAC, président du R.P.R. et maire de Paris a déclaré à Abidjan les 22 et 23 février que le multipartisme est une « erreur politique, une sorte de luxe que les pays en voie de développement n’ont pas les moyens de s’offrir ». Il a également salué « l’œuvre visionnaire » de Félix HOUPHOUET-BOIGNY et HASSAN II en parlant de la construction de la basilique de Yamoussokro et de la grande mosquée de Casablanca.
On ne peut être plus méprisant. Je me demande s’il aurait tenu les mêmes propos dans un pays d’Europe de l’Est.
-Monsieur Pierre MAMBOUNDOU , opposant au régime gabonais d’Omar BONGO a été expulsé vers le Sénégal le 28 février pour, dit-on, avoir ignoré son obligation de réserve. Celle-ci est apparemment d’application très sélective. Quand on est Roumain, Bulgare, Hongrois ou Chinois, on a le droit de pester contre le régime de son pays sur tous les toits en France. On a en plus l’appui sans réserve des autorités françaises. Quand on est africain, francophone de surcroît, le seul choix reste le silence. Naturellement, les droits de l’homme s’apprécient au regard des intérêts coloniaux. Les premiers s’arrêtent là où commencent les seconds.
-Monsieur Michel ROCARD, premier ministre français, parle de « rénovation politique » - trop vague donc très petit, en tout cas ambigu -.
-J’ai observé avec quelle habileté Monsieur Pierre BEREGOVOY, ministre de l’économie a évité au journal de 20 heures sur la Cinq la question sur une transition politique en Afrique.
Dans l’ensemble, on est loin des dénonciations fracassantes des régimes communistes d’Europe de l’Est.
2-Il s’agit de la rivière Kouanga.
3-C’est le nom du village du président KOLINGBA. Ce nom est inscrit sur les camons de ce dernier.
*Saluons la prise de conscience, la maturité politique et le courage grandissants des peuples d’Afrique. Partout les valets du néo-colonialisme sont contestés. Dans de nombreux pays la résistance s’organise. Les régimes nigérien et kényan ont été ébranlés par des manifestations violentes. Au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Sénégal les populations réclament la démission de régimes fantoches jusqu’ici considérés comme des vitrines de l’Afrique politique par leurs maîtres d’Occident.
Au Bénin, Mathieu KEREKOU, face à la détermination du peuple béninois, est obligé de faire de la figuration jusqu’aux prochaines élections où il passera sans aucun doute à la trappe.
Le Réveil du continent africain n’est plus simplement un rêve. Il est plus que jamais une réalité.
Ignace OUNDA-MEYBI