RFI vendredi 30 août 2013 à 17:11 Par Nicolas Champeaux
« Je crois que ce que personne n’avait imaginé, en tout cas certainement pas moi, que cette violence vis-à-vis des civils durerait aussi longtemps, non seulement dans la capitale, mais également dans les régions, et fait qu'aujourd’hui, l’essentiel de la population centrafricaine est terrorisée… »
En République centrafricaine, les exactions de tous ordres : viols, extorsions, pillages, ont provoqué le déplacement de milliers de civils terrorisés, à Bangui la capitale, mais aussi en province. La situation humanitaire en raison de disette alimentaire est également préoccupante.
Le président François Hollande, qui a alerté la communauté internationale cette semaine, en a pris conscience bien trop tardivement, regrette Roland Marchal. Chercheur à Science Po et spécialiste de la Centrafrique, Roland Marchal est l’invité de Nicolas Champeaux.
RFI : Le président français craint que la Centrafrique ne plonge dans un chaos similaire à celui de la Somalie. Cette prise de conscience de François Hollande, cette semaine, est-elle tardive ? Intervient-elle trop tard selon vous ?
Roland Marchal : Elle intervient très tard. On est même assez abasourdis, maintenant, de la grandiloquence du propos en sachant que, dès le mois de décembre, François Hollande ou ses diplomates, s’ils avaient écouté les hommes politiques centrafricains de l’opposition et les experts, savaient que l’entrée des rebelles dans la capitale se terminerait par un accroissement de l’insécurité, la terrorisation et la brutalisation de la population. C'est une situation extrêmement difficile qui dure. Et ce, malgré le fait qu’à certain moment, on a eu des périodes d’accalmie qui ont laissé espérer une normalisation dans la capitale.
Ce que personne n’avait imaginé, en tout cas certainement pas moi, c’était que cette violence vis-à-vis des civils durerait aussi longtemps, non seulement dans la capitale, mais également dans les régions. Aujourd’hui, l’essentiel de la population centrafricaine est terrorisée.
Evidemment ça doit appeler un certain nombre de questions, non seulement sur ce qu'il faut faire aujourd’hui, mais également pourquoi, pendant dix ans, on a soutenu un régime, celui de Monsieur Bozizé, qui s’est effondré aussi facilement. [Un régime] dont les institutions n’ont absolument pas répondu et dont les politiques ont été finalement aussi déficientes.
La responsabilité est partagée, dites-vous. Dans quelles mesures les exactions sont tout de même imputables à des groupes de la Seleka, qui est devenue au fil des mois une organisation sans cesse plus hétéroclite ?
Dans le mouvement vers Bangui et à Bangui même, ce groupe qui était quand même très peu nombreux - quelques milliers d’hommes, vraiment 2 000, 3 000 hommes - a recruté massivement. Et il a recruté dans des secteurs de la société qui étaient très souvent des marginaux sociaux et également dans les couches délinquantes de la société centrafricaine.
Evidemment à partir de là, on s’est retrouvé dans un cercle vicieux où, même si certains cadres de la Seleka voulaient jouer le jeu de la victoire militaire et de l’accession au pouvoir politique, une bonne partie de la Seleka pensait que l’essentiel, c’était le pillage et vivre sur la population de la pire façon possible, comme on le voit jusqu’à aujourd’hui, hélas !
Cette semaine la Seleka a été écartée de la mission du maintien de l’ordre. C’est une bonne chose à court terme ?
Dans les conditions actuelles, oui. Parce que, même si une partie de la Seleka, minoritaire mais réelle, veut une normalisation et y travaille, pour l’ensemble de la population de Bangui la Seleka est devenue l’expression du désordre et de la violence brutale contre les civils.
Les forces tchadiennes et soudanaises ont-elles une part de responsabilité dans le désordre et les exactions ?
Les membres du contingent qu’on appelle «soudanais» de la Seleka, c’est-à-dire essentiellement des combattants du groupe ethnique du président mais qui ont été recrutés au sud du Darfour, sont effectivement dénoncés par la population comme étant particulièrement violents. Ce qu’on peut pointer, c’est qu’il y a une interrogation sur le comportement des troupes tchadiennes. Ont-ils reçu des ordres de la présidence tchadienne ou simplement de leurs officiers ? A Bangui, ils ont été extrêmement partiaux dans leur attitude vis-à-vis de la population. Très souvent, en prenant le parti des gens de la Seleka contre la population civile et en ne respectant ni leur mandat, ni d’ailleurs en le mettant en œuvre, dès qu’il s’agissait de se retourner contre des combattants de la Seleka. Augmenter le nombre de troupes serait complètement inutile, s’il n’y a pas une vérification du mandat et une application du mandat de ces troupes.
Justement, la France se prononce en faveur d’une intervention et fait appel auxNations unies et à l’Union africaine. Quel type d’intervention serait susceptible d’être efficace, selon vous ?
Le problème avec l’intervention, c’est toujours le même. Pour l’instant, on voit une intervention internationale sous une forme militaire, qui est plutôt la protection de l’action humanitaire et la protection des populations. Tout cela est beau, grand et moral. Le problème est que ça ne répond pas au problème tel qu’il existe. Et pas simplement depuis la victoire de la Seleka ! Il y a un effondrement ou une absence de l’Etat dans les provinces. Il faudra d’emblée que cette opération, si on veut qu’elle ait un sens, ne se limite pas à sa seule dimension militaire, mais ait une dimension politique qui vise à traiter les problèmes de la Centrafrique, qui sont beaucoup plus profonds que, simplement, le comportement de bandes d’assassins et de voleurs qui ont intégré la Seleka ou qui font partie de la Seleka depuis le début.
Une intervention qui impliquerait donc d’autres pays que ceux de l’Afrique centrale ?
Absolument. Il y a quand même une énorme inconnue sur le Tchad et son comportement discutable. Il y a également la passivité des autres Etats de la région. Que fait le Congo-Brazzaville, à part faire de Michel Djotodia un franc-maçon ? Que fait le Cameroun, qui est pourtant une grande puissance et qui a des moyens militaires, à part fermer sa frontière de temps en temps pour dire qu’il n’est pas content ? Donc, ça veut dire une présence longue, civile et militaire, et pas simplement tournée vers l’humanitaire.