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Garoua-Boulaï : l’insécurité au quotidien
Publié : 2 Fév 2021 à Mis à jour par La Nouvelle Expression n°5397
La ville aux frontières du Cameroun et la Rca est sous la surveillance constante des forces de défense et de sécurité ; les populations sont sur le qui-vive; tandis que l’économie est en péril. Reportage de l’envoyé spécial.
Béthanie est bruyante ce jeudi. La circulation de voitures et de motos est continuelle dans ce quartier aux bâtiments modernes abritant notamment l’hôpital de district de Garoua-Boulaï. Devant cette formation sanitaire, des agitations et des voix qui s’élèvent attirent l’attention. Un groupe de jeunes gens se chamaillent en langue «Gbaya» (langue parlée dans certaines parties de l’Est Cameroun et de la Centrafrique). «Ce sont les réfugiés. Ils sont toujours en train de faire les problèmes», laisse tomber avec ironie, un homme d’âge mûr, sous le regard désapprobateur d’une dame qui s’est également arrêtée sur les lieux. «Est-ce que leur vie est facile», questionne-t-elle? Un silence indifférent accueille son intervention.
Cette scène passe au second plan, lorsqu’un camion des forces de défense et de sécurité vient à passer. A l’arrière du véhicule, des hommes et des femmes1 sont assis. Serrés les uns contré les autres. Encadrés par des militaires. Un camion rempli de bœufs suit tandis qu’un pick-up du Bataillon d’intervention rapide (Bir), avec à son bord une dizaine d’éléments ferme la marche. Le convoi prend la direction de Gado badzere. La localité est située à 26 km de Garoua-Boulaï et abrite le site de réfugiés le plus peuplé de la région de l’Est (plus de 27 000 personnes). Cette image attire l’attention, mais ne surprend plus les habitants de la ville de Garoua-Boulaï. Depuis la reprise des conflits en République Centrafricaine, les arrivées se multiplient. La présence militaire également.
Montrer patte blanche
C’est depuis la ville de Bertoua, chef-lieu de la région de l’Est, qu’est observée la multiplication, des effectifs militaires. C’est au poste de contrôle mixte, Gendarmerie-Police de Mandjou (à 8,9 km de Bertoua), que débute la surveillance. Ici, environ 6 éléments sont chargés de passer au peigne fin, les véhicules qui prennent la direction de Garoua-Boulaï. Il faut décliner son identité et préciser sa destination pour traverser cette étape. Les conducteurs qui n’obtempèrent pas sont appelés à garer leur véhicule sur le bas-côté de la route. Ce jeudi, alors qu’il est 7 heures, le trafic au niveau de ce poste de contrôle est ralenti par un incident
Un automobiliste refuse de répondre aux questions posées par un jeune gendarme. Ce dernier, face à la résistance de son interlocuteur, appelle à la rescousse sa collègue, assise dans un box. «Monsieur la situation actuelle est délicate. Il faut expliquer les raisons de votre déplacement et le lieu où vous vous rendez pour qu’on vous laisse passer» indique cette dernière à l’automobiliste désobéissant. L’échange s’étire sur environ 5 minutes avant que les gendarmes ne soient satisfaits des réponses qui leurs ont été apportées.
Couvre-feu
A 246,8 km de là, ce sont notamment les éléments du Bataillon d’intervention rapide qui- prennent la relève. Ces derniers sont quasiment omniprésents dans la ville de Garoua-Boulaï. Environ toutes les trente minutes, un pick-up vient à traverser l’axe principal de la ville. Le même manège se poursuit une fois la nuit tombée. Des patrouilles sont faites mais cette fois par des gendarmes et des policiers. Un couvre-feu a été institué et débute à 23 heures. Si toute la ville est soumise à cette décision, une attention particulière est portée sur les quartiers situés aux abords de la frontière avec la République Centrafricaine : Sabongari, Zoukoundé, Sabal ville, Shell, frontière.
Des incursions des bandes rebelles centrafricaines ont déjà eu lieu et sont redoutées autant par les FMO que les populations. «Il y a désormais beaucoup d’étrangers et on ne sait pas toujours avec quelles intentions ils viennent. Certains viennent pour chercher refuge, d’autres arrivent avec de mauvaises intentions. C’est assez compliqué. Surtout avec le couvre-feu qui a été à nouveau institué. Et malgré cela, il y a quelques cas d’agression. Ca fait vraiment peur. De surcroit, il y a eu une fouille dans les quartiers pour chercher les armes il y a quelques temps. On ne sait plus à qui faire confiance, parce que dans la population il y a des gens qui ravitaillent les rebelles. On est sur le qui-vive» raconte Amandine Lucie Makiang, animatrice sociale du PRODESV (programme économique et social des villes secondaires exposées à des facteurs d’instabilité) à la Mairie de Garoua-Boulaï.
Les-étrangers sont également sur le qui-vive. Ibrahim est chauffeur dans une agence de location de véhicules à Bertoua. Ses différents déplacements l’emmènent au minimum deux fois par semaines dans cette partie de la région de l’Est. «Quand j’arrive à Garoua-Boulaï, je ne sors plus la nuit. Alors qu’avant quand je finissais de travailler je restais dehors jusqu’à 22 heures. Maintenant, dès que j’ai tau lé prière, vers 19h30, je vais dans ma chambre. J’avais l’habitude de rester dans un hôte! au quartier Frontière mais avec l’insécurité, On nous a demandé de chercher les chambres au Centre-ville», indique-t-il.
Péril sur l’économie
Les commerçants également sont frappés de plein fouet par le vent de la crise en Rca. Le Cameroun se positionne comme le principal pays approvisionnant le pays d’Archange Touadera. Les conflits de ces derniers mois entre le gouvernement centrafricain et les groupes de rebelles ont de fait eu un impact sur l’écoulement des marchandises. Avec la fermeture de la frontière, plus d’un millier de camions est stationné dans la ville. Selon les informations recueillies; certains ne sont plus capables de payer les taxes.
Mêmes les petits commerçants des marchés de la ville suffoquent. Les Centrafricains se sont positionnés ici, depuis des années comme les meilleurs clients. Comparaison faite avec les Camerounais. L’absence de mouvement des personnes et des biens asphyxie les petits commerces.
Les attaques rebelles paralysent la route qui relie le Cameroun et la Centrafrique
Par Josiane Kouagheu(Garoua-Boulaï, Cameroun, envoyée spéciale) Le Monde
Près de 1 500 véhicules à destination de la Centrafrique chargés de marchandises sont immobilisés depuis plus d’un mois au Cameroun.
Saliou Mamadou slalome entre les camions stationnés dans l’enceinte de la gendarmerie de Garoua-Boulaï, ville camerounaise située à la frontière avec la République centrafricaine (RCA). Là, pointe-t-il, des impacts de balles ont moucheté la portière d’un poids lourd. Ici, c’est le siège avant qui a essuyé des tirs. Plus loin, un fourgon a été « fendu par un lance-roquettes ».
« C’était le 18 janvier, frissonne encore le jeune assistant chauffeur. On allait à Bangui lorsque des rebelles nous ont attaqués. J’ai eu la peur de ma vie, mais le conducteur et moi n’avons heureusement rien eu. » L’accrochage a eu lieu à Zoukombo, une localité située dans l’ouest de la RCA. Deux conducteurs ont été blessés et conduits à l’hôpital de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilité en République centrafricaine (Minusca). « Les rebelles ont exigé qu’on les paie avant de partir. Ceux qui n’avaient rien ont vidé leur réservoir d’essence », se souvient Saliou Mamadou.
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Près de lui, Adam Boultou, président du Syndicat des chauffeurs professionnels du transport du Cameroun (Synprotcam), trépigne. « Lorsque la Minusca est venue, nous leur avons demandé par quel miracle les camions allaient arriver à Bangui alors que le corridor est bloqué par les rebelles depuis décembre 2020, raconte-t-il. Ils nous ont assuré qu’ils allaient sécuriser le convoi. Mais les camions n’ont même pas fait 50 kilomètres et ont été attaqués ». Depuis, M. Boultou et ses collègues d’autres syndicats de chauffeurs et de transporteurs ont pris une décision radicale : tant que le calme ne reviendra pas en Centrafrique, plus aucun camion ne quittera le Cameroun.
« Ça nous emprisonne sur place »
Les combats qui ont éclaté en RCA à l’approche du scrutin présidentiel entre des groupes rebelles d’un côté et les troupes régulières et leurs alliés de l’autre ont poussé plus de 105 000 Centrafricains à fuir leur pays. Le corridor reliant le Cameroun à Bangui – principale route d’approvisionnement de la Centrafrique –, est toujours tenu par des groupes armés et donc impraticable.
D’après Ibrahima Ahmadou, vice-président local du Syndicat national des transporteurs routiers du Cameroun (SNTRC), pas moins de 1 500 camions « prêts à partir » sont ainsi garés entre Douala, la capitale économique du Cameroun, et Garoua-Boulaï. Parc, stades, cours de maison… Toute la zone frontalière a été transformée en parking. « Au moins huit camions transportant les oignons sont foutus. Pareil pour d’autres produits alimentaires périssables », s’alarme le syndicaliste qui chiffre les pertes globales à des centaines de millions de francs CFA. Et l’argent n’en finit pas de filer : certains transporteurs sont contraints d’investir dans l’achat de groupes électrogènes et de carburant afin d’alimenter les camions frigorifiques contenant des produits frais.
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La situation est particulièrement pénible pour les chauffeurs et convoyeurs qui risquent leur vie depuis près de dix ans sur le corridor Douala-Bangui. Depuis plus d’un mois, beaucoup dorment sous leur camion sur des nattes ou des bouts de matelas étalés à même le sol. Leur lessive sèche sur des cordes tendues entre les véhicules. Par peur des vols, tout le monde est constamment en alerte. « Si tu perds la marchandise, tu risques la prison. Ton patron te l’a confiée. Ça nous emprisonne sur place », se plaint Hyppolite Foffe Mbouno, coincé à Garoua-Boulaï depuis le 16 décembre avec un chargement de pagnes.
D’après les témoignages que ce délégué du Syndicat national des conducteurs routiers du Cameroun (SNCRC) a recueillis, les employeurs « appellent juste pour s’assurer que leur camion est en bon état ». « J’ai vu des collègues vider l’essence de leur véhicule et le vendre pour s’acheter à manger », se désole Hyppolite, qui travaille sur le corridor depuis sept ans. Beaucoup ne perçoivent plus de salaire. « Le camion étant stationné, il n’y a pas d’entrée de recette. »
« Populations affamées »
Face à cette situation, le Bureau de gestion du fret terrestre offre aux naufragés des denrées alimentaires et des fûts d’eau, a construit des latrines provisoires. Mais, pour les chauffeurs, la seule solution reste la réouverture de la route. « C’est aux Centrafricains qu’incombe aujourd’hui la responsabilité de sécuriser le corridor », souligne Lionel Motassi, adjoint au sous-préfet de Garoua-Boulaï. De leur côté, le gouvernement et la douane camerounais cherchent un site où entreposer les conteneurs afin de libérer les camions. Une opération coûteuse dont la réalisation semble pour le moins lointaine.
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« En bloquant le corridor, ces rebelles sans foi ni loi affament les populations », désespère Hervé Dianga. En vingt-trois ans de conduite sur la ligne Douala-Bangui, ce camionneur centrafricain stationné depuis le 17 décembre a vécu plusieurs fermetures, toujours « à cause des groupes armés ».
Mais, avec la pandémie de coronavirus qui touche de plein fouet l’économie, il craint le pire pour les deux pays. A Garoua-Boulaï, les clients centrafricains qui avaient l’habitude de traverser la frontière pour s’approvisionner ont déserté. Pour certains commerçants, « le chiffre d’affaires a chuté de plus de 70 % », constate Aladji Moussa, un vendeur de chaussures.
Josiane Kouagheu(Garoua-Boulaï, Cameroun, envoyée spéciale)