Tentative de coup d’Etat en Guinée : la dérive autoritaire d’Alpha Condé rattrapée par les putschistes
https://www.leparisien.fr/ Le 5 septembre 2021 à 22h29
Des militaires des forces spéciales ont annoncé avoir capturé ce dimanche le président Alpha Condé élu depuis 2010 à la tête du pays. Ces derniers mois, le chef d’Etat avait été fustigé pour ses dérives autoritaires et la répression menée contre l’opposition guinéenne.
La confusion règne en Guinée. Ce pays d’Afrique de l’Ouest parmi les plus pauvres du monde, a été le théâtre ce dimanche d’une tentative de coup d’État dont l’issue reste encore incertaine. Des militaires des forces spéciales ont annoncé avoir capturé le président Alpha Condé et dissous les institutions en vigueur dans le pays. Des annonces qui ont aussitôt suscité la condamnation de la France et de l’ONU mais aussi des scènes de liesse dans la capitale, Conakry, preuve de la défiance d’une partie du peuple envers Condé.
Ancienne colonie française, la Guinée a été dirigée pendant des décennies par des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, qu’il s’agisse de Sékou Touré, ou de son successeur Lansana Conté, au pouvoir jusqu’à sa mort en 2008. Deux ans plus tard, les Guinéens se rendaient à leur premier scrutin démocratique pour élire à la tête de leur pays celui qui faisait à l’époque figure d’opposant historique, Alpha Condé. Puis, cet ancien enseignant de profession est réélu en 2015 pour un deuxième mandat, au terme d’un vote émaillé de violences et d’accusations de fraude.
Une pauvreté alarmante, malgré des ressources considérables
Les tensions s’accentuent lors de sa candidature à un troisième mandat. L’élection sera précédée et suivie par l’arrestation de dizaines d’opposants. Malgré des recours dénonçant des « bourrages d’urnes » et des irrégularités, Alpha Condé est proclamé président pour un troisième mandat, le 7 novembre 2020.
Depuis des mois, le pays d’Afrique de l’Ouest traverse ainsi une profonde crise politique et économique, aggravée par la pandémie de Covid-19. Et ce malgré, des ressources minières et hydrologiques considérables. L’État est l’un des premiers producteurs mondiaux de bauxite, principal minerai pour la production d’aluminium. Le pays compte encore des gisements de fer, d’or, de diamant et de pétrole. En parallèle, plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour, selon l’ONU.
Des dérives autoritaires
Aujourd’hui âgé de 83 ans, Alpha Condé a été fustigé pour ses dérives autoritaires, remettant en cause les acquis du début de son mandat. Il a rejoint aux yeux de ses adversaires et des organisations internationales, les rangs de certains dirigeants africains se maintenant au pouvoir au-delà du terme prévu, en usant d’arguments légaux.
Ainsi, il avait fait adopter en mars 2020, malgré une contestation déjà vive, une nouvelle Constitution pour, selon lui, « moderniser [les] institutions » et accorder une plus grande place aux femmes et aux jeunes. L’opposition y voyait un « coup d’État » constitutionnel. La contestation a, elle, été à plusieurs reprises durement réprimée.
De son côté, le chef de l’État se targue d’avoir fait avancer les droits de l’homme et d’avoir redressé un pays qu’il dit avoir trouvé en ruines. Interrogé en octobre 2020 sur France 24, il se défendait de vouloir instaurer une « présidence à vie », assurant être « un démocrate ». La nouvelle Constitution lui permet théoriquement de se représenter dans six ans. Mais la tentative de coup d’État, mené par les putschistes pourrait redistribuer les cartes du pouvoir dans les prochaines semaines.
Alpha Condé
Du MND au RPG
En 1977, dans la foulée de la rencontre tripartite de réconciliation à Monrovia entre les présidents Sékou Touré, Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor, Alpha Condé crée le Mouvement national démocratique (MND) avec le professeur Alfa Ibrahima Sow, Bayo Khalifa et d’autres membres fondateurs. Le MND subira plusieurs mutations de la lutte clandestine à la lutte semi-clandestine et enfin à la lutte légale depuis 1991. Le MND devient d’abord l’UJP (Unité, justice, patrie), le RPG (Rassemblement des patriotes guinéens), puis RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) pour enfin être l’actuel RPG-Arc-en-ciel[réf. nécessaire].
Élection présidentielle de 1993
Alpha Condé rentre en Guinée, à la suite de l'ouverture démocratique des années 1990, fruit d'un long combat mené entre autres par Bah Mamadou Bhoye, Siradiou Diallo, Mansour Kaba, etc., le multipartisme intégral adopté par le régime du président Conté autorise la présence de plusieurs partis d’opposition en Guinée. Puis, Alpha Condé prend part à la première élection multipartite du pays, en décembre 1993, après trente ans de régime autoritaire. Lors du scrutin, Condé est un des challengers de Lansana Conté, président depuis le coup d'État de 1984. Le général Conté est déclaré vainqueur avec 51,7 % des voix[5], tandis que les observateurs nationaux et internationaux chargés de la supervision du scrutin dénoncent un fort climat de fraude et que l’opposition conteste unanimement les résultats officiels. Les partisans de Condé s’insurgent particulièrement contre l’annulation par la Cour suprême de la totalité des résultats pour les préfectures de Kankan et Siguiri, où Alpha Condé était vraisemblablement fortement majoritaire. Condé demande à ses militants de ne pas prendre le risque d’entraîner une guerre civile et de concentrer leurs efforts sur le scrutin suivant.
Scrutin présidentiel de 1998
Aux élections présidentielles suivantes, en décembre 1998, Alpha Condé se présente de nouveau mais il est arrêté et emprisonné, à la suite d'une tentative d'évasion, avant la fin du scrutin[6].
Les résultats officiels publiés par le gouvernement déclarent Lansana Conté vainqueur du premier tour avec 56,1 % suivi de Mamadou Boye Bâ (24,6 %). Le 16 décembre, deux jours après le scrutin, nombreux dirigeants de l'opposition sont arrêtés pour préparation présumée d'une rébellion contre la dictature en place. Les mois suivants, des exactions vont être commises par des forces militaires sur les sympathisants de l'opposition.
Emprisonnement et condamnation
Alpha Condé est maintenu en prison pendant plus de vingt mois avant que le gouvernement ne constitue une cour spéciale pour le juger. Cette incarcération sans procès soulève un fort mouvement de protestation international. Amnesty International dénonce une violation des droits de l'homme et le Conseil de l’Union interparlementaire une violation de l’immunité parlementaire dont Alpha Condé bénéficie en tant que député guinéen. De nombreuses voix s’élèvent tout au long de son emprisonnement pour demander sa libération immédiate. Parmi lesquelles celles d’Albert Bourgi, qui organisent un important mouvement de soutien « le comité de libération » à Alpha Condé, ou de Tiken Jah Fakoly, auteur de « Libérez Alpha Condé » adressé au général Lansana Conté, et que la jeunesse transforme en hymne à la gloire des martyrs et prisonniers politiques africains. Condé reçoit également le soutien de chefs de diplomatie étrangers, à l’instar de Madeleine Albright (États-Unis) qui se déplace à Conakry même. En France, le Président Jacques Chirac s’implique personnellement[7]. Sa mobilisation vient renforcer les multiples requêtes d’autres chefs d’État en demandant officiellement la relâche rapide d’Alpha Condé.
Condé est condamné, en 2000 à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national » au terme d’un procès retentissant décrié dans la presse africaine et internationale[8]. Il est finalement libéré en 2001, faisant l’objet d’une grâce présidentielle.
L’« affaire Alpha Condé »[9], comme elle est souvent décrite dans la presse, donne lieu à un procès retentissant et marque un tournant politique important pour la Guinée.
Alpha Condé est libéré le 18 mai 2001, date à laquelle il fait l’objet d’une grâce présidentielle, 28 mois après son arrestation et huit mois après son procès organisé par la « Cour de sûreté de l’État guinéen », qui est spécialement constituée à cet effet.
Ce procès de cinq mois qui débute le 12 avril 2000, après plusieurs reports, le condamne tout d’abord à cinq ans de réclusion criminelle pour « atteinte à la sûreté de l’État guinéen » et « emploi illégal de la force armée », le lundi 11 septembre 2000.
Junte militaire et élection présidentielle de 2010
À partir de la mort de Lansana Conté et de la prise du pouvoir par la junte militaire de Moussa Dadis Camara, en 2008, Alpha Condé appelle au retour d’un pouvoir civil et à la tenue d’élections transparentes. Il le fait au sein des Forces vives, constituées de l'opposition, des syndicats et des autres acteurs de la société civile. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde en janvier 2010, il déclare que les massacres du 28 septembre 2009 au stade de Conakry mettent en évidence la nécessité d’une rupture complète avec le passé[10],[11].
En février 2010, il annonce la candidature de son parti au scrutin présidentiel de juin. Alpha Condé arrive en deuxième position du premier tour, avec 18,25 % des voix, se qualifiant ainsi pour le second tour[12]. Le 15 novembre 2010, il est déclaré vainqueur de l’élection présidentielle par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) avec 52,52 % des voix, face à l'ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo[13]. La Cour suprême valide l'élection le 3 décembre suivant[14] et Cellou Dalein Diallo reconnaît sa défaite.
Président de la République de Guinée
Investiture
Alpha Condé est investi président de la République le 21 décembre 2010 à Conakry, en présence de 13 chefs d'État africains et de délégations gouvernementales d'autres continents. Il promet « une ère nouvelle » et annonce son intention de devenir « le Mandela de la Guinée » en unifiant et développant son pays[15]. Trois jours après son investiture, il nomme l'économiste Mohamed Saïd Fofana au poste de Premier ministre[16].
Attaque de sa résidence
Le 19 juillet 2011, des militaires attaquent sa résidence privée de Conakry, dont une partie est soufflée par une roquette[17]. Alpha Condé s'en sort indemne, mais un membre de la garde présidentielle est tué[17].
Liberté de la presse
Le 28 juillet 2011, quelques jours après l’attaque de sa résidence, l'ONG Reporters sans frontières publie un rapport dans lequel elle demande à Alpha Condé « d'affirmer publiquement son attachement à la liberté de la presse et au respect du pluralisme des médias », tandis que la France l'appelle à ne pas entraver la liberté de la presse et à organiser des élections législatives dans les meilleurs délais[18].
Situation économique
Entre 2010 et 2017, le pays connaît une croissance annuelle relativement importante (4 % en moyenne), malgré une stagnation du PIB en 2015[19]. Dans le même temps, le chômage reste stable, à 4,5 %[20], et l'inflation passe de quelque 20 % à 10 %[21]. Par ailleurs, le pays voit sa dette publique passer de 68 % à 19 % du PIB[22], tandis que le déficit public, qui s’élevait à 14 % en 2010, devient un excédent (0,6 %) en 2017[23].
Réélections
Il est réélu pour un second mandat lors de l'élection présidentielle de 2015, avec 57,9 % des voix au premier tour.
En septembre 2019, à New York, il suggère l'organisation d'un référendum pour modifier la Constitution guinéenne et lui permettre ainsi de briguer un troisième mandat[24]. En réaction, un important mouvement de contestation, le Mouvement FNDC, fédérant les principaux partis d’opposition (l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré) ainsi que les plus importantes organisations de la société civile, se dresse contre l’initiative présidentielle[25].
Il fait reporter les élections législatives du 16 février 2020 au 1er mars suivant, et annonce la tenue simultanée d'un référendum constitutionnel. L’opposition guinéenne s’oppose à la tenue d’un référendum sur la réforme de la Constitution.
Le 31 août 2020, son parti annonce qu’Alpha Condé sera candidat à un troisième mandat lors du scrutin prévu le 18 octobre 2020. Depuis des mois, cette perspective suscite une vague de protestation qui a fait des dizaines de morts[26]. Alpha condé se présente alors comme le candidat « des femmes et des jeunes »[27].
Il est réélu pour un second mandat à l’issue du premier tour l'élection présidentielle de 2020, avec 59,5 % des voix. Son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, qui s’était proclamé vainqueur du scrutin avant la publication des résultats, est crédité de 33,5 % des suffrages par la Commission électorale nationale indépendante.
Enquête sur le fils du président guinéen
Le train de vie et les activités de Mohamed Alpha Condé, fils du chef d'Etat de Guinée-Conakry, intriguent la justice française.
https://www.leparisien.fr/ Le 28 septembre 2015 à 06h39
Déjà la cible de vives critiques liées aux modalités de son accession à la tête du pays en 2010, le président guinéen Alpha Condé pourrait connaître une fin de mandat mouvementée. En effet, voilà plusieurs mois que la justice française s'intéresse aux activités et au train de vie de l'un de ses plus proches conseillers : son propre fils, Mohamed Alpha Condé. Agé de 45 ans, l'homme qui possède la double nationalité guinéenne et française, et officie comme « chargé de mission » au sein de la présidence, est l'objet d'accusations d'infractions financières, au premier rang desquels des abus de biens sociaux et des détournements de fonds publics. Ces soupçons ont poussé le parquet financier à diligenter une enquête préliminaire depuis fin avril.
Les enquêteurs spécialisés cherchent à savoir si Mohamed Alpha Condé a bénéficié, en France, de prestations de luxe (logement, transports, versement d'argent présumé...) payées par des entreprises françaises qui ont des intérêts dans l'industrie minière guinéenne. Au centre des interrogations, la jouissance d'un vaste appartement du XVIIe arrondissement de Paris, ainsi que l'emploi régulier, pour plusieurs dizaines de milliers d'euros, de compagnies de limousines de luxe pour ses déplacements dans la capitale.
« On parle de prestations particulièrement coûteuses qui ne correspondent pas au salaire de 800 000 mensuels déclarés par Mohamed Alpha Condé en tant que chargé de mission », déplore Grégory Mathieu, secrétaire général de l'ONG Fondation pour la gouvernance et la démocratie, et ancien porte-parole de l'ex-commissaire européen aux droits de l'homme Alvaro Gil-Robles.
Jets privés et hôtels de luxe
Grégory Mathieu indique aussi que de nombreux témoignages assurent que Mohamed Alpha Condé utiliserait régulièrement des jets privés afin de relier des destinations exotiques où il séjournerait au sein d'établissements hôteliers de grand luxe. « Il est fondamental que la justice française enquête sur un système de corruption qui n'a comme effet immédiat que de privilégier une minorité de personnes en Guinée et non l'ensemble de la population », explique- t-il.
Selon plusieurs sources, deux hommes d'affaires possédant des parts dans des sociétés d'extraction minière, et ayant des intérêts en France et en Guinée, seraient au centre des investigations. « La question est de savoir si Mohamed Alpha Condé tire un bénéfice financier ou autre, notamment lors de ses voyages en France, de la part d'hommes d'affaires impliqués dans l'industrie minière guinéenne, et qui, de fait, bénéficieraient d'avantages auprès de décideurs publics guinéens », résume une source proche de l'affaire.
« En payant le fils, on achète le père », conclut Grégory Mathieu, qui s'inquiète du niveau de corruption en Guinée-Conakry, ajoutant que le pays occupait en 2014 la 145e place sur 174 pays du classement de l'indice annuel de perception de la corruption, établit par l'ONG Transparency International. Cette affaire, dans le cas où la justice déciderait de pousser plus avant ses investigations, pourrait fragiliser le pouvoir guinéen à l'approche de l'élection présidentielle du 11 octobre. Contactée à plusieurs reprises, l'ambassade de Guinée n'a pu être jointe.