(La Voix de l'Amérique 08/05/14)
Au lendemain de son discours prononcé devant les membres du CNT, la présidente centrafricaine accorde un entretien à la Voix de l’Amérique. Catherine Samba-Panza estime avoir fait ce qu’elle peut, cent jours après avoir été nommée à la tête du pays. Lors de votre discours devant le CNT, vous avez reconnu que les critiques étaient nombreuses à votre égard.
Qu’auriez-vous pu mieux faire au cours des trois derniers mois ?
Catherine Samba-Panza : "J’ai fait du mieux que j’ai pu. Je savais que ça ne serait pas facile. Je n’avais pas conscience que ça serait aussi difficile. Je m’étais engagée à essayer de résoudre les nombreux problèmes de la Centrafrique et de répondre aux attentes de la population. J’ai tenté du mieux que j’ai pu. Des actes ont été posés mais beaucoup reste à faire."
Vous avez annonce un remaniement ministériel, quand aura-t-il lieu ?
Catherine Samba-Panza : "Nous allons prendre le temps de le faire avec le Premier ministre et éviter les erreurs du passé. Il nous a été reproché une faible représentativité des anti-balaka, un surnombre des ex-Seleka et de ne pas avoir totalement pris compte l’équilibre régional. Autant de critiques dont nous tiendrons compte."
Vous avez récemment reçu à la présidence, l’un des leaders anti-balaka, Patrice Edouard Ngaissona. N’est-ce pas un mauvais signal envoyé en matière d’impunité ?
Catherine Samba-Panza : "Pas du tout. Je l’ai reçu et à la sortie de mon bureau, il a été entendu par les services judiciaires. Il est aujourd’hui sous contrôle judiciaire. Il doit pointer deux fois par semaines. Il n’a pas échappé à la justice de son pays."
Les anti-balaka sont-ils des ennemis de la paix en Centrafrique ?
Catherine Samba-Panza : "Cela a été dit à un moment c’est vrai. Il s’agissait de groupes incontrôlés qui ont commis des actes décriés. Il a donc fallu prendre des actions contre eux."
Aujourd’hui, les anti-balaka sont donc plus fréquentables ?
Catherine Samba-Panza : "Je ne sais pas mais ils ont tendu la main et déclaré qu’ils voulaient ramener la paix dans leur localité."
Vous semblez satisfaite du niveau de sécurité à Bangui mais en dehors de la capitale, personne ne croit au rétablissement de l’autorité de l’Etat ?
Catherine Samba-Panza : "Absolument car on ne peut pas le faire en trois mois. Tout est progressif. Nous n’avons pas les moyens financiers pour le faire de façon globale. Lorsqu’il y a la sécurité avec la Misca ou Sangaris, nous nous déployons le personnel de l’administration."
Les casques bleus en Centrafrique ne seront pas opérationnels avant ici septembre prochain N’est-ce pas trop tard ?
Catherine Samba-Panza : "Oui, septembre c’est très loin. Les Nations Unies ont des procédures à suivre, un agenda. J’aimerais bien que cet agenda soit avancé. La période de soudure, entre mai et septembre, est une période de tous les dangers. Les groupes armes vont essayer d’occuper le terrain."
Les musulmans ont-ils ont encore un avenir en Centrafrique ?
Catherine Samba-Panza : "Bien sûr. Ils sont chez eux. Ils ont connu des moments difficiles. Au niveau de la population, il y a une prise de conscience pour dépasser toute cette violence. Progressivement, nous essayons d’améliorer notre vivre ensemble."
Que pensez-vous de la création de l'Organisation de la résistance musulmane centrafricaine d’Abakar Sabone ?
Catherine Samba-Panza : "Cela participe à son désir de partition. Si c'est un mouvement politique qui vise à préparer sa participation à la prochaine élection, nous sommes dans un pays démocratique, nous n'y voyons pas d'inconvénient. S'il s'agit de prôner la partition, nous allons nous y opposer."
Vous vous opposez à la partition de votre pays mais, dans les faits, n’a-t-elle pas déjà eu lieu ?
Catherine Samba-Panza : "C'est vrai que dans les faits, les éléments de l'ex-Seleka se sont tous retrouves vers l'est du pays après le départ de Michel Djotodia. Cela dit, ce n'est pas tout l'Est. L'administration est présente à Ndele, Bria, Bambari, etc. Cette partition souhaitée par les forces negatives n'est pas acceptée par les Centrafricains et encore moins par les autorités."
Face à tous ces défis, pourquoi maintenez-vous le cap des prochaines élections pour février 2015 ?
Catherine Samba-Panza : "Je me suis engagé pour une transition de douze mois avec comme objectif l'organisation des élections le 15 février 2015. Je dois faire en sorte que ce délai soit maintenu. Maintenant, si l'autorité nationale des élections et la communauté internationale estiment que le chronogramme n'est pas tenable pour des raisons objectives, nous nous assiérons pour en parler. Si je décide moi-même d'assouplir ce calendrier, on me reprochera de vouloir m'incruster à la tête de l'Etat. Ce n'est pas mon souhait."
Propos recueillis par Nicolas Pinault
Les 100 jours de Samba-Panza ou l’espoir déçu en Centrafrique
07/05/14 (France TV Info)
C’est le 20 janvier 2014 que Catherine Samba-Panza a accédé à la présidence de la République de Centrafrique. Elle succédait à Michel Djotodia, homme-lige de la Séléka, contraint par ses pairs des Etats voisins de quitter le pouvoir. Les 100 jours de la présidente n’ont malheureusement pas ramené le calme. A l’époque, l’élection d’une femme semblait être un bon présage. Qui plus est, la maire de Bangui arrivait avec une réputation de neutralité et de rigueur.
Elle a bien tenté quelques opérations de réconciliation. Essayer de conduire les deux camps vers la paix. Mais son influence n’a pas pesé bien lourd. Et faute d’avoir son armée et sa police (du moins des hommes équipés et commandés), elle a été contrainte de laisser Sangaris et la Misca s’occuper de sécurisation. Aussi, dire que le bilan de ces 100 jours de présidence est mauvais est un euphémisme. Vives critiques de la presse D'ailleurs, la presse locale est féroce.
«En 100 jours au pouvoir, l’état de grâce, passé plus qu’inaperçu, est fini. Et de grâce, nous n’aurons vu que les couleurs de ses beaux tailleurs.» Le propos est définitif. Il émane du journal La nouvelle Centrafrique. Un éditorial au vitriol. RFI n’est guère plus tendre. Principal échec selon la radio, «l'incapacité des forces internationales et des autorités de transition à stopper les violences contre les musulmans». C’est vrai que la seule trouvaille pour faire cesser les violences, a été d’organiser l’exode des musulmans. Ce fut le cas à Boda et à Bangui.
Selon le site DW, 90% des musulmans ont quitté Bangui, soit entre 60 et 80 000 personnes. Un exode qui n’a fait que déplacer le problème, selon Guinée Conakry info. La Séléka semble renaître de ses cendres, et transformer le nord-ouest du pays en coupe-gorge. Quatre jours de combats à Mala, au nord de la capitale, ont fait 28 morts, dont six miliciens de la Séléka. Déplacement des violences Autre inquiétude, l’hôpital de Boguilla a été attaqué et trois employés de Médecins sans frontière ont été tués.
On ne connaît pas l’identité des assaillants. Mais l'ONG a préféré fermer l’hôpital, «consternée par le fait que le gouvernement de transition n’ait pas largement et fermement condamné le massacre de Boguila, ainsi que toutes les violences similaires ayant eu lieu sur l'ensemble du pays.» Enfin lundi 5 mai, les soldats français ont été attaqués dans ce même secteur. Une colonne lourdement armée selon le porte-parole de l’armée. Il a fallu l’intervention de l’aviation depuis N’Djamena pour en venir à bout. Rétablir les services publics Le 2 mai dernier, le Premier ministre André Nzapayéké a présenté la feuille de route de son gouvernement aux membres de la société civile ainsi qu’aux syndicats.
La restauration de la sécurité et la paix sur l’ensemble du pays, l’assistance humanitaire, l’élaboration d’une nouvelle constitution en vue des prochaines élections et la relance économique sont les principaux axes de cette feuille de route. Un programme dont le coût est estimé à 220 milliards de francs CFA (300 millions d’euros). Après trois mois de présidence, Catherine Samba-Panza n’a pas pu rétablir un minimum de service public dans le pays. Le problème essentiel reste la sécurité de la population. Ainsi le 29 avril, à l’ouverture de l’année judiciaire, elle a dit attendre le redéploiement de la justice dans l’intérieur du pays.
A cette occasion, le premier avocat général de la cour de cassation, Sylvestre Otto, a dressé un bilan catastrophique de l’état de la justice dans le pays. «Les institutions judiciaires ont été la cible des attaques des rebelles de la coalition Séléka. Cette situation s’est traduite par l’exode forcée des acteurs judiciaires de toutes les juridictions de provinces sur Bangui.» 20 tribunaux sur 24, deux cours d’appel sur trois ne fonctionnent plus.
Jacques Deveaux