Il n’est un secret pour personne que depuis au moins la fin du régime impérial de 1979, les fins du mois en Centrafrique représentent un véritable casse-tête chinois pour les pouvoirs successifs. C’est pour eux- je suppose- un moment particulier d’angoisse, de stress, se demandant par quel tour de passe-passe, trouver l’équivalent de la masse salariale mensuelle- soit à peu près la somme de quatre milliards de francs CFA- pour régler les traitements et salaires des quelque 20 000 fonctionnaires et agents publics, les pensions de retraite, les bourses des stagiaires et des étudiants, les soldes des forces de défense et de sécurité. Sans compter le remboursement du service de la dette, le paiement des dépenses dites de souveraineté et de celles consacrées à la part du budget d’investissement public.
Alors que dans les autres pays du continent- pour ne pas les citer et diable !ceux pas nécessairement aussi bien lotis que nous- les choses se passent plutôt bien. J’ai envie de dire- pour usiter une formule devenue triviale- qu’elles se passent comme sur des roulettes ; ces pays n’éprouvent aucune difficulté, le moindre du monde, à faire face à leurs obligations ordinaires d’Etats souverains.
Je martèle que depuis plus de 35 ans, la RCA tend la main du mendiant à la France, l’ancienne puissance coloniale et Dieu merci, elle a toujours répondu présente, à la communauté internationale et depuis quelques années- comble d’humiliation- aux pays de la sous-région pour l’aider à régler ses problèmes de fins de mois, de trésorerie, accroissant d’autant sa dépendance politique et économique vis-à-vis de ces pays et entités donateurs en vertu naturellement de l’adage « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit » ou de celui plus usuel « qui paie commande ».
Retenons que toute aide- fut-elle à titre gratuit- comporte les relents pervers de sujétion et de domination.
Comment en est-on arrivé à cette situation ubuesque, d’ignominie d’autant plus que les ressources matérielles et compétences technocratiques ne manquent pas à la RCA? Circonstance si déplorable que la RCA continue d’être - à son corps défendant- la risée du monde.
La RCA peut-elle aspirer à une gestion plus saine, plus orthodoxe, plus conforme aux normes et standards internationaux de gestion des finances publiques pour mériter enfin- un tant soit peu- la confiance et la considération de la communauté internationale ?
Actuellement, si les ressources financières publiques peuvent être plus rapidement mobilisées et rentabilisées pour peu que la volonté politique existe et se manifeste, les fonctionnaires véreux et autres bandits de grand chemin continuent malheureusement de faire florès tantôt dans les rangs des services financiers de l’Etat tantôt écumant nos routes à Bangui et à l’intérieur du pays, hypothéquant du coup ses capacités d’intervention et, par ricochet, la mise en œuvre de ses projets sociaux.
Dans le contexte de crise multiforme sans précédent que connaît, aujourd’hui, la RCA, nous pensons que les finances publiques sont l’un des principaux leviers sur lesquels le gouvernement de transition peut agir plus rapidement pour relever une partie des nombreux défis de l’heure en attendant la mise sur pied d’une politique ambitieuse de développement qui s’exécute nécessairement sur le plus ou moins long terme et que nous avions déjà développée dans nos précédentes livraisons.
Pour tenter de répondre à ces préoccupations de premier ordre, nous pensons qu’il est plus qu’impérieux de changer nos pratiques de gestion administrative en mettant fin à la coutume des nominations intempestives et de complaisance au sein des structures des régies financières et qui n’est pas sans conséquence sur l’avenir de nos finances publics (I) et en poursuivant une politique volontariste d’assainissement permanent de ces finances publiques (II).
I.Il faut mettre fin à la pratique des nominations de complaisance au sein des structures des régies financières et dommageable à la bonne santé des finances publiques
Faut-il rappeler que les régies financières concernent principalement les services du trésor, des impôts et des domaines, des douanes, de la direction du budget, les services de la perception des recettes publiques.
Ces services, censés faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, doivent impérativement être assurés par du personnel -aussi bien d’encadrement que d’appui- de qualité c’est-à-dire des ressources humaines compétentes, intègres et dont la moralité doit être, en permanence, passée au crible afin de s’assurer du respect par ces dernières des règles de déontologie de leur profession. Dans cette optique, une politique rigoureuse d’évaluation de ces fonctionnaires et agents publics doit être menée.
Cela signifie aussi que les ministres en charge de ce département-j’entends le ministre des finances et du budget- doivent éviter de procéder à des nominations intempestives ou de complaisance afin de garantir la bonne marche et les bonnes performances de ces services vitaux pour les besoins du fonctionnement de l’Etat.
Les ministres doivent s’abstenir de pratiquer notamment le « libotisme » (de libota en lingala signifiant la famille), le népotisme, le clientélisme ou le sectarisme partisans qui sont autant de méthodes de gouvernement gravement préjudiciables à la bonne exécution des services publics.
A cela s’ajoutent la corruption et la fraude organisées par les fonctionnaires et agents publics qui gangrènent les structures de ces régies financières.
Ces comportements inciviques et déloyaux, venant parfois d’en haut, pèsent sur nos rentrées fiscales. Et immanquablement sur la capacité de l’Etat à faire face à ses obligations salariales et assimilées et à honorer le service de sa dette.
Les obligations salariales et assimilées, ce sont les traitements et salaires de la fonction publique, les soldes des militaires, les pensions de retraite, les bourses des étudiants et des stagiaires.
La dette publique se subdivise tantôt en dette intérieure et extérieure tantôt en dette bilatérale et multilatérale. La dette intérieure, c’est schématiquement la dette de l’Etat vis-à-vis des ses partenaires, fournisseurs ; c’est également les arriérés de traitements, salaires, soldes, retraites, bourses dus au titre des régimes précédents. Quant à la dette extérieure, c’est celle due vis-à-vis de nos partenaires au développement ; ça peut provenir des Etats ou organismes multilatéraux.
La dette bilatérale, c’est celle qui lie la RCA à des Etats étrangers comme la France, l’Allemagne, le Japon, la Chine, les Etats-Unis, le Congo, l’Angola, etc. puisque ces deux derniers pays nous ont, ces dernières années, octroyé des aides budgétaires exceptionnelles pour honorer les traitements des fonctionnaires. La dette est dite multilatérale lorsqu’elle est contractée dans le cadre de relations financières avec le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne (UE), Banque africaine de développement (BAD), etc. Sans oublier de faire mention de la dette contractée par la RCA dans le cadre du club de Paris et de Londres et qui concerne les créanciers privés internationaux de l’Etat.
Les financements multilatéraux devraient servir au pays à mettre en œuvre ses programmes de développement socio-économique plutôt qu’à régler les problèmes de trésorerie.
Malheureusement, sans cette manne financière, l’Etat centrafricain se trouve dans la quasi-impossibilité de remplir ses principaux engagements financiers c’est-à-dire payer à terme échu les traitements et salaires de la fonction publique et s’atteler au problème de la dette tant intérieure qu’extérieure.
Notons que le paiement régulier de sa dette est la condition sine qua non pour la RCA de pouvoir réemprunter sur le marché international. Qui paie sa dette s’enrichit. Au-delà des cas exceptionnels d’effacement de notre dette opérés par exemple dans le cadre de l’initiative en faveur des PPTE- c’est avec le levier de l’impôt, des taxes, du timbre, des droits d’enregistrement et de mutations, des droits de douanes que l’Etat parvient à payer ses dépenses obligatoires permanentes et sa dette.
Les rentrées fiscales représentent par contrecoup une opportunité capitale pour l’Etat ; s’en priver s’avère suicidaire. D’autant plus que les bases productives du pays ont été littéralement détruites à la suite des différents évènements politico-militaires.
Quand on sait qu’en Centrafrique, on n’hésite pas à fabriquer parfois des faux documents ou à s’entendre avec les opérateurs économiques pour se voir attribuer des avantages indus et c’est l’argent public qui en pâtit.
Si, à ce jour, la RCA- contrairement à ses pairs africains- peine à régler ses problèmes de fins de mois, s’obligeant ainsi à toujours faire appel à l’aide extérieure, c’est bien, entre autres, parce qu’elle n’a su ou voulu mettre en œuvre les bonnes méthodes de gestion de ses ressources humaines à l’intérieur de ses régies financières. Même si on considère que des réformes structurelles profondes doivent également être opérées dans ces services.
II.Il faut poursuivre une politique volontariste d’assainissement permanent des finances publiques
L’assainissement des finances publiques commence par le strict respect des règles de la comptabilité publique notamment le respect du sacro-saint principe de l’unicité de caisse. Cela devrait être de nature à mettre fin à la pratique de la double comptabilité ou à la multiplication des comptes dans les banques privées à l’initiative de personnes haut placées dans le seul but de siphonner les recettes publiques.
Cette situation favorise, à n’en point douter, l’évaporation continue des recettes publiques.
Ainsi, ces recettes, au lieu de prendre la destination de la caisse publique unique, vont alimenter des comptes parallèles, bien connus, servant notamment les intérêts personnels de leurs promoteurs.
Je saisis cette occasion pour réaffirmer que la pratique des exonérations fiscales accordées, à tout va, doit également être stoppée.
Aussi, la RCA gagnerait-elle à mettre un terme définitif à la pratique des missions à l’étranger inventées de toutes pièces ou abusives parfois allant au-delà d’une période de 3 mois et destinées uniquement à servir les intérêts financiers de leurs auteurs.
Un recensement périodique et physique des fonctionnaires et agents de l’Etat doit être régulièrement opéré afin d’éviter de faire émarger indûment au budget de l’Etat les fonctionnaires fictifs et ainsi régler au demeurant le problème lancinant des fonctionnaires fantômes et absentéistes.
Une des réponses possibles à la pratique de la prévarication et des détournements des deniers publics serait la mise en route d’un programme d’informatisation généralisée et sophistiquée des services financiers de l’Etat. Cela pourrait sécuriser les recettes publiques.
Nous pensons qu’avec la mise en place d’une politique budgétaire et fiscale basée sur une croissance économique soutenue et accélérée, la RCA devrait pouvoir accroitre la compétitivité de son économie en créant les conditions favorables à l’éclosion et à la pérennité des entreprises et en attirant l’investissement direct étranger (IDE) et national. Cela suppose l’amélioration du climat, de l’environnement des affaires. Dans un contexte de stabilité politique.
Le gouvernement de transition doit s’attaquer, d’ores et déjà, à la question du démantèlement des barrières illégalement installées à l’intérieur du pays et ayant pour but de soustraire les recettes fisco-douanières.
Tant que les méthodes de bonne gouvernance des finances publiques ne seront pas durablement appliquées, la RCA ne sera pas en mesure d’assumer sa souveraineté économique et financière et partant ne pourra remplir les conditions de son indépendance politique. L’avenir de notre pays en dépend.
Fait à Paris le 15/05/2014
Wilfried Willy ROOSALEM