22/05/14 (La Croix)
La force et ses soutiens musulmans ont réagi à la décision de la communauté internationale de les cantonner et les désarmer. En milieu d’après midi, jeudi 22 mai, un semblant de calme régnait à Bambari, ville du centre-est de la Centrafrique, jusque-là épargnée par les affrontements entre chrétiens et musulmans.
Tôt le matin, la ville s’était réveillée en ébullition. Des jeunes musulmans montaient des barrages, tandis que des soldats de la Séléka, composée essentiellement de groupes de musulmans venus du nord et du nord Est du pays, circulaient en ville avec leurs armes. Ce qu’ils ne faisaient plus depuis quelques jours.
Discours ferme de l’ambassadeur de France
Tous entendaient protester contre le discours ferme tenu la veille par l’ambassadeur de France, venu spécialement à Bambari avec une délégation du gouvernement centrafricain, pour annoncer que la communauté internationale exigeait le cantonnement des hommes de la Séléka et que tout homme armé dans les rues de Bambari serait désarmé.
L’ambassadeur de France avait jugé publiquement que le dit « État-major de la Séléka », basé à Bambari, n’avait aucun fondement juridique. Autrement dit, la France venait d’annoncer à la Séléka qu’elle n’aurait plus la main sur cette ville qu’elle contrôlait depuis son arrivée en décembre 2012.
Les musulmans de Bambari ont très mal pris ces annonces. À leurs yeux, la Séléka est la seule force capable de les protéger des anti-Balaka, les milices populaires défendant les communautés chrétiennes.
Accrochages avec la force Sangaris
De 8 à 9 heures, des accrochages ont eu lieu entre les militaires de la force Sangaris, envoyée par la France en RCA à partir du 5 décembre 2013, et les soldats de la Seleka. Dès les premiers coups de feu, des milliers de personnes avaient quitté leurs habitations pour se réfugier dans la brousse ou dans des lieux symboliques, comme l’évêché de Bambari.
À la fin de l’après-midi, la ville était toujours coupée en deux. La rive droite de l’Ouaka, tenue par les Français de Sangaris et des éléments de la force africaine de la Minusca, la rive gauche, entre les mains de la Séléka et de jeunes musulmans en colère.
L’évêché, où se trouvaient quelque 1 500 déplacés autour de Mgr Edouard Mathos, se trouvait encore, en fin de journée, complètement isolé dans la zone tenue par la Séléka. Tout le monde craignait l’enclenchement d’un conflit dans une ville composée à 60 % de chrétiens et 40 % de musulmans.
Laurent Larcher, à Bambari
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Réorganisation de la Seleka : La Centrafrique menacée de partition ?
jeudi 22 mai 2014 « Le Pays » du Burkina
« La Centrafrique est une et indivisible », soutient Ahmat Nadjad Ibrahim, porte-parole du nouvel Etat-major de la Séléka. L’organisation qui a récemment fait peau neuve, réplique ainsi à ceux qui lui prêtent l’intention de faire une partition de la RCA.
L’inquiétude est grande, et chacun s’interroge sur les raisons de l’installation à Bambari du nouvel Etat-major de la Séléka. Une délégation d’officiels centrafricains et internationaux s’était rendue récemment dans cette ville du centre-est du pays. Il lui fallait faire passer deux messages : la Centrafrique est une et indivisible, et il ne saurait y avoir d’armée parallèle à l’armée nationale. A la Séléka, on se dit surtout préoccupé par la sécurité de la population : « La menace est là, en face. Tant qu’il n’y a pas la paix, il n’y aura pas de cantonnement et de désarmement. C’est clair », estime son porte-parole qui a réclamé un délai de réflexion car : « certains trucs ne leur conviennent pas bien ».
Certains Centrafricains trouvent qu’en reprenant du poil de la bête, la Séléka « relookée » menace la paix
La méfiance semble s’installer durablement en RCA. Avec le départ en exil de l’ancien chef de la Séléka, l’ex-président Michel Djotodia, les musulmans s’étaient retrouvés subitement orphelins de l’organisation que celui-ci avait dissoute. Progressivement, ils se sont trouvés à la merci des Anti-Balakas, ces auxiliaires et partisans de l’ex-président Bozizé. Pour les Anti-Balakas, les musulmans étaient en effet des boucs émissaires de choix. Ainsi se multiplièrent les pogroms au sein de la population centrafricaine. Le doute et l’inquiétude gagnant les esprits, nombre d’adeptes de l’islam avaient fini par emprunter le dur chemin de l’exil, conduisant notamment au nord, dans le Tchad voisin.
Par contre, on se demande ce que deviennent les Anti-Balakas qui ont, pendant un bon moment, défrayé la chronique par leurs exactions. Après avoir dominé l’actualité centrafricaine, ils semblent avoir mystérieusement disparu. Ce, depuis que leur géniteur, Bozizé, a fait l’objet de sanctions internationales, notamment : gel des avoirs, et interdiction de voyager. Les tortionnaires des musulmans de RCA semblent s’être soudainement volatilisés. De quoi donner à la Séléka l’occasion d’occuper le terrain. Toutefois, pour avoir eu à les endurer dans un passé récent, certains Centrafricains trouvent qu’en reprenant du poil de la bête, la Séléka « relookée » menace la paix. En tout cas, à Bangui, cette réorganisation ne rassure guère le pouvoir de la première centrafricaine. On ne perd pas de vue le fait que le nouveau chef d’Etat-major cherche à rassembler les troupes et à s’imposer. On craint surtout de le voir prendre un jour le risque de chercher à démembrer la RCA. Reste alors à savoir comment réagiront les forces internationales dans une telle éventualité. En viendra-t-on, au nom de la paix, à les combattre comme les Anti-Balakas ?
Il est hors de doute que la Séléka cherche à renforcer sa cohésion. Après avoir longtemps laissé le champ libre à l’adversaire, la Séléka cherche à renaître de ses cendres, sans doute pour mieux négocier. A l’approche des grands rendez-vous politiques, pourquoi ne pas chercher à se métamorphoser ? Les mêmes manœuvres se poursuivent sans doute ailleurs. Selon toute vraisemblance, l’odieux assassinat des humanitaires est pour quelque chose dans les tentatives de mutations de l’organisation. Les rebelles Séléka avaient été indexés. Or, autant ces agressions avaient bouleversé l’opinion, autant elles avaient été condamnées par la communauté internationale, désormais plus vigilante.
Si des efforts sérieux ne sont pas faits, la RCA, bientôt, ne sera que du passé.
Dans une intervention, l’ambassadeur de France, Charles Malinas, avait tenu à souligner à Bambari, que les résultats du congrès de Ndélé organisé par la Séléka ne sont pas ceux qui étaient espérés. « Ce qui est sorti du congrès de Ndélé, ce n’est pas tout à fait un parti politique. Ce sont des choses qui s’appellent "Etat-major", des choses comme ça. Eh bien, cela, ce ne sont pas des mots acceptables. On ne peut pas avoir d’armée parallèle, on ne peut pas avoir de structure militaire parallèle aux structures militaires autorisées par les résolutions des Nations unies et les mesures de confiance qui vont avec », avait-il précisé.
Accusé d’être le parrain des rebelles de la Séléka, le Tchad a fini par fermer sa frontière avec la RCA. Le président Idriss Déby Itno voudrait sans doute donner l’impression de ne point rendre les choses faciles aux rebelles. Mais, outre que partout les frontières sont poreuses en Afrique, l’histoire montre que lors des conflits fratricides, les fermetures de frontières visent davantage à écarter les témoins gênants. Tchadiens et membres de la Séléka sont donc les seuls à pouvoir exploiter la situation à leur profit exclusif. Les Centrafricains, toutes tendances confondues, comprendront-ils jamais qu’au-delà des intérêts égoïstes, il y a le fameux « intérêt supérieur de la nation » ? Vient-il jamais à l’esprit des uns et des autres, que nul ne viendra du dehors imposer la paix, rassembler les habitants de ce pays, et s’atteler à le construire ?
S’il n’est pas pesant pour la conscience des principaux acteurs de ce pays, le drame que vivent nos frères et sœurs de Centrafrique commence à devenir exaspérant pour l’ensemble des Africains. Après les frasques des Bokassa et consorts, l’on avait cru à tort que l’élite politique avait tiré suffisamment de leçons pour mettre fin au calvaire des populations. Après tant d’années, l’errance semble persister. Et c’est un euphémisme de dire que le peuple centrafricain souffre depuis longtemps de l’incurie de sa classe politique, de son refus du dépassement de soi, et surtout de son rejet du renoncement. De l’Empire centrafricain à la RCA, les dirigeants de ce coin d’Afrique ont trop longtemps amusé la galerie.
Voilà des décennies qu’en RCA on tourne en rond avec pratiquement les mêmes acteurs politiques, lesquels multiplient les errements et les injustices, parfois même par personnes interposées. Vrai que sur ce continent, les faits sont « merveilleusement » têtus : en effet, nombreux sont ces acteurs politiques qui, au-delà de ceux de la RCA, font fi de tout sens de l’honneur et de la relève. Lorsque, par exemple, la communauté internationale vole à votre secours, s’interpose pour mettre fin aux hostilités et vous contraint à négocier, la décence vous impose un minimum de rectitude. Certains acteurs oublient même que l’éthique africaine nous oblige à plus de respect envers les médiateurs, à plus de considération envers les engagements pris, et à plus d’efforts quant à la nécessité de préserver les vies humaines. Combien d’acteurs politiques africains font-ils réellement preuve de responsabilité ?
Les gouvernants africains se soucient si peu du destin de leur peuple que l’on semble ne même plus prêter attention à ce qui se passe en RCA. Ce pays nous semble à la croisée des chemins, et si des efforts sérieux ne sont pas faits par les acteurs en présence, la RCA, bientôt, ne sera que du passé. La partition sera inévitable. Par la faute des uns et des autres. Il est temps que s’arrêtent les bouffonneries et autres exercices de styles sans queue ni tête, qui consacrent la mal gouvernance et retardent l’émergence d’un nouveau leadership à même de sortir le pays de la fange.