27/05/14 (Le Point)
Qui est cette femme qui, à l'instar des autres femmes à la tête d'un État africain, a hérité d'un pays au bord du gouffre ?
Portrait.
Le regard droit, le port altier. Elle a été choisie pour décider. Drapeau de la République, bouclier, couteau et calebasse d'abondance, les attributs du pouvoir lui ont été remis sous les applaudissements de l'Assemblée. Élue présidente de l'État de transition par le Conseil national, Catherine Samba-Panza est la première femme à prendre la tête de la Centrafrique et la troisième à accéder à la magistrature suprême en Afrique.
Samba-Panza a ouvert une fenêtre d'espoir
La mise en avant de sa féminité n'est pas anecdotique. Les Centrafricains sont nombreux à penser qu'une femme, mère de surcroît, est la mieux placée pour gérer la guerre fratricide qui meurtrit le pays. "Tout ce que nous avons vécu a été la faute des hommes", a déclaré après la nomination Marie-Louise Yakemba, dirigeante d'une organisation de la société civile, au journal américain The New York Times. "Nous pensons qu'avec une femme, il y a au moins une lueur d'espoir", a-t-elle ajouté.
À l'annonce de sa nomination, les danses et les cris de joie n'étaient point en accord avec une capitale, Bangui, dévastée. La nouvelle a eu bien de quoi sonner comme une rupture dans un pays qui a subi les dérives autoritaires et mégalomaniaques des présidents successifs. Le sacre de Jean-Bedel Bokassa, autoproclamé empereur alors qu'il arborait une couronne napoléonienne n'a en fait été que l'amorce d'un cycle infernal. "Je suis contente. Les hommes ont échoué, à partir de maintenant, ce sont les femmes qui gèrent", a asséné une Centrafricaine sur la chaîne publique française France 3.
Catherine Samba-Panza, accueillie en prophète, s'est elle-même positionnée en mère de la nation. Son triomphe annoncé, elle s'est adressée à ses "enfants" anti-balaka et ex-Séléka afin qu'ils déposent les armes. "À compter de ce jour, je suis la présidente de tous les Centrafricains", a-t-elle ajouté. Consciente de l'espoir qu'elle représente aussi pour les femmes, dans un pays où le nombre de candidates aux élections est quasi nul alors que le taux de mariage précoce atteint 60 %, elle a déclaré, devant la caméra de Reuters : "J'honore les femmes de Centrafrique."
Comme Ellen Johnson-Sirleaf, elle est arrivée à un moment de crise
Elles sont au nombre de trois, les femmes qui ont accédé au fauteuil suprême sur le continent. Toutes sont parvenues à s'imposer en temps de crise, venant à la rescousse d'une classe politique démunie et parfois désavouée. Joyce Banda s'est vu confier un Malawi embourbé dans la tourmente politique et économique. Ellen Johnson-Sirleaf a été chargée de reconstruire le Liberia après quatorze ans de guerre civile.
Comme cette dernière, Catherine Samba-Panza a pris les rênes d'un pays en proie aux coups d'État et aux guérillas depuis son indépendance en 1960. Le Nord-Est, qui a donné naissance au mouvement de rébellion de la Séléka, n'a jamais été véritablement intégré au pays, marginalisant une partie de sa population. Cette filiation avec Ellen Johnson-Sirleaf, Catherine Samba-Panza la revendique. "Je prends comme point de référence la présidente du Liberia pour qui j'ai beaucoup d'admiration", a-t-elle déclaré au journal britannique The Guardian. "C'est une femme qui est arrivée au pouvoir dans presque la même situation que moi."
Chrétienne, c'est d'abord sa neutralité qui lui a permis d'être élue. La nouvelle présidente de la Centrafrique n'est apparentée à aucun camp politique. Nommée maire de Bangui après que la Séléka a renversé Bozizé, elle a montré sa ténacité avec la gestion du sac de la capitale, embrasée par la rébellion. En contact avec les chefs anti-balaka et Séléka, elle a, dès cet événement, su inspirer la confiance des deux camps, en plus de celle de la communauté internationale.
Elle est sur tous les fronts et la tâche est immense
Catherine Samba-Panza se définit également comme "un parfait exemple d'intégration régionale". Un argument de poids, pour prendre les rênes d'un pays où cohabitent plusieurs dizaines d'ethnies et une soixantaine de langues différentes. Née au Tchad, d'une mère centrafricaine et d'un père camerounais, elle a grandi à Bangui, et appartient donc à trois pays. Elle n'a pourtant gardé qu'une seule nationalité. Femme d'affaires qui a fait fortune dans les assurances, elle n'en demeure pas moins engagée sur le plan politique. Son action la plus ancienne est celle menée en faveur du droit des femmes au sein d'une association dont elle est vice-présidente. Femme de dialogue, elle est également impliquée dans les processus de réconciliation nationale après le coup d'État de François Bozizé en 2003, puis celui de Michel Djotodia en mars 2013.
Si les premières actions de la présidente ont été de se tourner vers la communauté internationale, l'ampleur de la tâche qui lui reste à accomplir est immense. On le voit bien avec la situation actuelle. Alors que les chrétiens, majoritaires, ont pris le dessus, la menace d'une tuerie généralisée des musulmans plane. Et le souvenir du Rwanda en 1994 est dans toutes les têtes. Autant dire qu'entre la communauté internationale, les rivalités sous-régionales, la guéguerre intestine entre Centrafricains..., Catherine Samba-Panza a du pain sur la planche avant la dernière ligne droite vers la présidentielle. Elle a donc tout le loisir de mesurer si sa qualité de femme fera d'elle un surhomme.
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