Les Afriques N° 293 - 24 au 30 juillet 2014
«Gare aux ennemis de la paix»
Ex-Premier ministre de la RCA sous l’ère Ange-Félix Patassé, dont il a hérité la direction du parti MLPC, Martin Ziguélé nous a accordé une interview au moment où la RCA se trouve à la croisée des chemins. Le dialogue, qui doit débuter à Brazzaville sous l’égide du président Sassou Nguesso, rencontre une fin de non-recevoir d’une partie de l’opposition centrafricaine.
Monsieur Martin Ziguélé, Comment se porte la RCA depuis la désignation de Madame Catherine Panza à la tête de la transition en remplacement de Michel Djotodia leader de la Séléka ?
Je vous remercie de me donner cette opportunité de parler de mon pays à vos lecteurs. Je vous mentirais si j’affirmais que mon pays se portait à merveille, et ce serait encore un autre mensonge si je vous disais que la RCA va mal depuis seulement le remplacement de Michel Djotodia par Mme Catherine Samba-Panza à la tête de la transition. En vérité, de nombreux défis doivent être relevés, et le principal est celui de l’indispensable désarmement des bandes armées, comme l’exigent les Résolutions 2121 et 2127 des Nations Unies adoptées sous le Chapitre VII qui préconise l’usage de la force. Malheureusement ce désarmement tarde à se faire, laissant aux bandes armées l'occasion de continuer à tuer des citoyens innocents. Comment, en l’absence de désarmement forcé, rétablir une chaîne pénale digne de ce nom afin de faire cesser les scandaleuses évasions de délinquants et l’impunité dont continuent de jouir de nombreux bandits de grands chemins et autres assassins de tout acabit qui pullulent dans le pays et particulièrement dans la capitale sans être inquiétés ?
Le dialogue inter-centrafricain ne serait-il pas la voie indiquée pour résoudre la situation d’enlisement dans laquelle la Rca s’enfonce ?
Bien sûr que dans l’absolu, le dialogue et la concertation pacifique sont les meilleures voies pour trouver des solutions pacifiques appropriées à toute crise dans un pays mais encore faut-il que tous les protagonistes de la crise croient sincèrement et fermement à cela, au lieu de recourir aux armes, à la violence aveugle et au chaos comme c’est le cas ici.
Le problème se résume-t-il au conflit entre Séléka et Anti-Balakas ou il est plus profond avec des ramifications extérieures ?
Oui et non ! C’est dans ces deux entités en effet que l’on trouve les éléments dits « incontrôlés » qui ne cessent de commettre la plupart des crimes et exactions qui défraient la chronique et que les principaux leaders de ces milices refusent d’assumer tout en prétendant ne pas en connaître les auteurs. Par ailleurs, tant sur le sol national qu’à l’extérieur du pays, certains ennemis de la paix alimentent et entretiennent délibérément le chaos dans l’espoir vain de pouvoir revenir dans le jeu politique. C’est tout cela qui confère une certaine spécificité et complexité à la crise centrafricaine.
Quel est votre avis sur la participation au dialogue des anciens présidents Bozizé et Djotodia ?
’Un dialogue inclusif ne signifie pas nécessairement la présence de tous mais que toutes les sensibilités y soient représentées et puissent s’y exprimer.
Je ne connais pas la liste des invités au futur dialogue, mais je pense que le consensus se dégage pour que toutes les personnes en délicatesse avec la justice nationale et internationale ne puissent pas personnellement y participer, pour éviter des crispations de toutes sortes.
La Ceeac, lors d’un mini-sommet à la fin du mois dernier à Malabo, a donné mandat au médiateur Sassou Nguesso de convoquer des pourparlers inter-Centrafricain à Brazzaville à la fin de ce mois .Vous faites partie des mouvements politiques qui boudent le déplacement de Brazzaville. A quoi est dû ce refus ?
Je ne boude pas le déplacement de Brazzaville, bien au contraire. Nous avons rappelé tout simplement que tous les précédents accords de cessation des hostilités signés à Syrte puis à Libreville en 2008 et en 2013, l’ont été par les mouvements de rébellion sans la participation des partis politiques. De même, ces accords ont été signés par des mouvements rebelles qui ont pris les armes contre l’Etat central et qui avaient des raisons de craindre pour leur sécurité s’ils venaient signer ces accords à Bangui. Dans le cas actuel, les ex-sélékas et les anti-balaks qui font la guerre contre la population, et non pas contre l’armée nationale qui n’est pas opérationnelle, sont représentés aussi bien au gouvernement que dans les cabinets présidentiel et primatorial. Dès lors, des raisons de sécurité des participants ne pouvant être invoqués pour les belligérants, et les partis politiques n’étant pas parties au conflit, il nous semble inopportun d’aller participer à une telle réunion, comme il nous semble également inopportun de l’organiser à l’extérieur de la RCA. Notre démarche consiste à prier Son Excellence le Président Denis Sassou Nguesso, Médiateur de la crise centrafricaine, à venir à Bangui présider ce forum en présence des composantes du peuple centrafricain, devant qui ces bandes armées doivent prendre l’engagement d’arrêter les exactions. De même les contreparties à leur engagement de cessation des hostilités doivent être connues, discutées, et compatibles avec les exigences de justice, tout en restant dans la cadre de la légalité.
Est-ce que, ce n’est pas parce qu’une partie des mouvements politiques Centrafricains estime que le président Sassou serait officieusement conseillé par deux acteurs Centrafricains que d’aucuns considèreraient comme ses poulains à savoir Guy Moskit et Karim Meckassoua ?
Non ! J’ai beaucoup de respect pour tout chef d’Etat, et a fortiori celui d’un pays voisin et frère qui nous aide tous les jours comme le fait le Président Denis Sassou Nguesso, Médiateur de la crise centrafricaine. Il a le droit d’avoir des amis ici et ailleurs et je ne vois pas en quoi cela peut influer des enjeux aussi importants que les questions relatives à la paix et la sécurité d’un pays, de ses voisins de la sous-région et de Afrique d’une manière générale. Ce qui m’intéresse, c’est de voir qu’il déploie d’inlassables efforts pour nous aider et qu’il s’implique fortement et personnellement dans la résolution de la crise centrafricaine.
Redoutez-vous une mainmise des voisins sur la Rca qui ne semble plus être maître de son destin ?
La RCA est membre d’institutions régionales et sous régionales telles que la CEMAC et la CEEAC. Elle est condamnée à vivre en bon voisinage avec ses pays voisins et frères et doit entretenir avec eux des relations mutuellement enrichissantes et profitables d’intégration communautaire.
Qu’attendiez–vous réellement de la communauté internationale ?
Je souhaite que la communauté internationale contribue effectivement au désarmement de toutes les bandes armées qui sévissent à Bangui et dans toutes les villes et localités de province conformément aux diverses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ensuite, je pense qu’elle doit aider la RCA à rétablir un minimum d’ordre et d’autorité de l’Etat, de la chaîne pénale et de cohésion sociale. Enfin je l’encourage à nous apporter l’appui financier et l’accompagnement technique nécessaire à la tenue d’élections libres, démocratiques et crédibles afin que le pays choisisse des dirigeants dotés d’une réelle légitimité pour se reconstruire et renouer avec une paix durable et le développement, car elles constituent le moyen le plus approprié de sortir de cette situation d’exception.
Qu’est-ce que votre parti propose comme feuille de route pour une transition réussie ?
Au risque de me répéter, la feuille de route de la transition a comme priorité le retour de la paix et de la sécurité, qui passe par un désarment forcé, avant d’entamer le programme de Désarmement Démobilisation Réinsertion sur toute l’étendue du territoire. Sans la paix et la sécurité, rien n’est possible et rien n’avancera, et tout le monde le sait. Ensuite, il faut rétablir l’administration civile, policière et militaire, avant de lancer dans la foulée la reconstruction d’une véritable armée nationale et républicaine ainsi que des forces de sécurité dignes de ce nom (Gendarmerie nationale et Police); enfin il faut consacrer les efforts nécessaires à l’organisation d’élections libres et démocratiques pour sortir de cette situation d’exception;
Pensez-vous que dans une année la Rca serait-elle prête à organiser un scrutin présidentiel ?
Les élections sont prévues en février 2015 mais il y a beaucoup de raisons de douter du respect de ce calendrier. Plusieurs conditions doivent préalablement et impérativement être réunies pour que ces élections se tiennent, notamment un seuil acceptable de sécurité compatible avec un climat électoral pouvant permettre aux candidats, tant aux législatives que ceux à la présidentielle, de battre concrètement campagne en toute sécurité. En outre, l’Autorité Nationale des Elections qui est déjà à l’œuvre vient d’annoncer qu’elle est la recherche de 23 milliards de F CFA pour boucler les élections.
Seriez–vous Candidat à cette élection ?
Pour l’instant la question n’est pas à l’ordre du jour. La RCA dans l’immédiat, est confrontée à des sujets plus urgents qui sont donc prioritaires. Cela dit, il ne vous aura pas échappé que je suis président d’un parti qui aura nécessairement son mot à dire s’agissant d’un rendez-vous aussi important pour notre pays et son avenir.
En guise de conclusion quel message aurez–vous à lancer au peuple centrafricain, aux acteurs politiques centrafricains et à la communauté Africaine et internationale notamment à la France ?
Mon message est un message d’espérance à l’endroit de mon peuple meurtri, et en pleine crise morale, sécuritaire, économique, etc. Je demande aux centrafricains de garder espoir car comme le disait feu Sylvanius Olympio « quelle que soit la longueur de la nuit, le jour se lève toujours ». Nous nous relèverons.