L’Église catholique de Centrafrique a payé un lourd tribut aux exactions
http://www.la-croix.com 24/6/13
L’archevêque de Bangui, capitale de la Centrafrique, Mgr Dieudonné Nzapalainga, dénonce à Paris, lundi 24 juin, la crise humanitaire dont est victime son pays depuis l’arrivée au pouvoir, en mars dernier, des rebelles de la Séléka.
Selon lui, l’Église catholique a été particulièrement ciblée par les rebelles.
« Notre pays la République centrafricaine vient de vivre, ces derniers mois, une des périodes les plus sombres qu’ait jamais connu un Centrafricain », a alerté
l’archevêque de Bangui (République centrafricaine), Mgr Dieudonné Nzapalainga, lors d’une conférence de presse à Paris, lundi 24 juin, consacrée à la crise traversée par la Centrafrique depuis l’arrivée au pouvoir, en mars dernier, de la Séléka (une coalition de mouvements rebelles largement composée de musulmans partis des campagnes du Nord-Est du pays).
« Il y a eu par le passé des histoires politico-militaires en Centrafrique, mais les derniers événements que nous venons de vivre, de mon vécu de Centrafricain, je n’en avais jamais connu de tels », a-t-il poursuivi. Et d’énumérer les conséquences humanitaires de la victoire de la Séléka : « Hôpitaux, écoles, véhicules, maisons, magasins, unités de production… ont été pillées, détruits ou emportés. Des vies humaines n’ont pas été épargnées, sans compter d’autres violations des droits de l’homme. Les diocèses du pays se sont vus dépouiller de leurs moyens de locomotion et autres biens ».
Sur cette question, Mgr Nzapalainga a été très clair : « l’Église catholique centrafricaine a payé et paie encore par quelques exactions un lourd tribut ». Les neuf évêchés du pays ont été « visités », plus de cent véhicules volés.
ÉVITER L’AFFRONTEMENT ENTRE LES RELIGIONS
« Partout à travers le pays, les violences semblaient être dirigées contre l’Église et les personnes de confessions religieuses autres que l’islam », a-t-il affirmé avant de poursuivre : « aussi, des tensions intercommunautaires se sont vite fait jour au sein de la population, laissant planer le risque imminent des confrontations à large échelle ».
C’est pour éviter l’affrontement entre les religions qu’il s’est associé avec le président des associations des Églises évangéliques et le président de la communauté islamique de Centrafrique, pour ouvrir une « concertation autour de la paix entre les communautés du pays ». Ensemble, ils ont été dans l’arrière-pays pour promouvoir la paix entre les uns et les autres. À l’occasion de ce voyage, ils ont mesuré l’étendue des dégâts : écoles, lycées, maisons, préfectures, trésors publics, églises et presbytères pillés et vandalisés.
« DU JAMAIS VU CHEZ NOUS ! »
Après avoir exposé les actions de l’Église en faveur de la paix dans ce contexte tourmenté (collecte et distribution de vivres, accueil et visite des victimes de la guerre), Mgr Nzapalainga a lancé « un appel solennel à la communauté internationale pour que le peuple centrafricain ne soit pas oublié en ces temps », et a « imploré la bonté de divine de protéger la population centrafricaine pour que la paix revienne dans ce pays ».
Interrogé par La Croix sur la nouveauté de cette crise, l’archevêque de Bangui a répondu que, « en effet, ce n’est pas la première crise que traverse la Centrafrique : mais d’habitude, après un coup d’État, cela ne dure que deux ou trois jours et c’est très local. Cette fois, elle se prolonge depuis des semaines et elle touche l’ensemble du pays. C’est en ce sens que l’on peut dire que ce n’est du jamais vu chez nous ! ».
Quant à la dimension antichrétienne du conflit, Mgr Nzapalainga a répondu qu’il fallait éviter toute forme d’amalgame entre l’islam et l’attitude de la Séléka vis-à-vis des biens d’Église. « Mais, il faut que les responsables répondent des actes de leurs hommes », a-t-il précisé.
LAURENT LARCHER
Des chrétiens et musulmans cherchent à faire baisser les tensions confessionnelles en Centrafrique
L’arrivée au pouvoir de la Séléka a renforcé les suspicions.
Personne ne manquait. Les imams en boubou, les pasteurs en costume et les prêtres en soutane se sont assis les uns à côté des autres. Réunis à Bangui pour se former au règlement des conflits, les plus hautes autorités religieuses du pays ont prié d’une seule voix. Leur message de paix a été retransmis sur les ondes. « Attaquer les chrétiens est de nature à jeter le trouble », a insisté l’imam Oumar Kobine Layama qui craint les dérapages entre croyants.
Les tensions interconfessionnelles se sont exacerbées en Centrafrique avec la prise de pouvoir par la Séléka, une rébellion largement composée de musulmans partis des campagnes du Nord-Est. Les chrétiens et la hiérarchie de l’Église reprochent le pillage de paroisses, la profanation de lieux de culte, les tirs dans la cathédrale de Bangui…
Sans craindre l’exagération, ils affirment que les musulmans ont été épargnés par les razzias. En ces heures troublées, tous s’observent en chiens de faïence.
PEUR D’UN COMPLOT ISLAMISTE
La Centrafrique a déjà connu des heurts entre religions dans le passé. Une dizaine de mosquées avaient été brûlées en 2010 à Bangui en représailles après la mort d’un enfant retrouvé dans la voiture d’un musulman.
« En Centrafrique, des Églises du Réveil ont prospéré dès les années 1980 en tenant un discours anti-musulman », rappelle Roland Marchal, chercheur au CNRS. Dans une tentative désespérée de sauver son régime à la fin 2012, le président François Bozizé avait aussi attisé les braises en brandissant la menace du péril islamiste.
Après le coup d’État et les abus qui l’ont suivi, s’est répandue la peur d’un complot islamiste ourdi de l’étranger. Une peur avivée par la présence de mercenaires soudanais et tchadiens parmi la Séléka.
LE PRÉSIDENT DIT SON ATTACHEMENT À LA LAÏCITÉ
« Ils se comportent en conquérants », s’énerve l’archevêque Dieudonné Nzapalainga qui se dépeint en sentinelle de la laïcité. « Pourquoi les rebelles ont-ils brûlé tous les actes de naissance lors du sac de Bangui ? Pourquoi avoir consacré une journée de prière à la mort du Prophète ? Il n’y a pas de fumée sans feu. »
Un texte attribué au nouveau président Michel Djotodia nourrit la suspicion. Dans ce document adressé à l’Organisation de la coopération islamique en 2012, l’ancien rebelle aurait affirmé sa volonté d’instaurer la charia. L’intéressé a beau parler de faux, le mal est fait.
« Ma mère est chrétienne, mon père est musulman, précise à La Croix Michel Djotodia. J’ai moi-même été au petit séminaire. Je suis musulman, je ne suis pas islamiste. La Centrafrique est laïque et le restera. »
Olivier Tallès, à BANGUI
Peurs et pillages dans la Centrafrique ignorée
Trois mois après le coup d’État, les anciens rebelles de la Séléka continuent de voler, brûler et tuer, en toute impunité.
Reportage au nord de Bangui, où l’administration est à l’agonie et les paysans livrés à eux-mêmes.
La chèvre s’est enfuie par les ruines de l’église calcinée. Le hameau de Yangoumara se fige. Les minutes défilent dans un silence de cimetière. Au bout d’une heure de patience, un paysan sort timidement des fourrés. Puis un deuxième, un troisième. Ils approchent à pas lents, s’assurant qu’aucun homme en armes ne se tient dans les parages.
Ils parlent entre eux en sango, principale langue de la Centrafrique. Prenant son courage à deux mains, François Sodji (1) raconte l’attaque qui a dévasté son village isolé dans le Nord, à une longue journée de route de la capitale, Bangui.
Les soldats ont surgi le 2 juin par la piste cabossée. C’étaient des hommes de la Séléka, la rébellion qui a renversé le régime du président Bozizé le 24 mars. Ils arrivaient de la ville de Bouca et cherchaient du bétail. Mitraillant les alentours, les porteurs d’armes ont blessé un paysan et chassé les habitants apeurés.
LA CENTRAFRIQUE ENCHAÎNE LES DICTATURES
À la sortie du village, une balle partie d’on ne sait où a mortellement fauché l’officier du petit groupe de pillards. En représailles, les soudards ont passé les maisons à la torche, une par une, n’épargnant ni l’école, ni les lieux de culte. Sur le chemin du retour, ils ont tiré sur une femme qui vendait son manioc au bord de la piste. L’herbe a déjà recouvert sa tombe.
« On ne pouvait pas confondre cette femme avec un rebelle ou un braconnier », s’étonne encore François Sodji. Trois semaines après le drame, les villageois refusent de quitter leur cachette en forêt malgré les moustiques qui transmettent le paludisme, la pluie qui transperce les abris de fortune, l’humidité qui ronge les bronches des enfants. Bientôt, les maladies emporteront des nouveau-nés, des femmes enceintes, des grands-pères affaiblis. Mais au cœur des campagnes, personne ne vous entend mourir.
Quand les paysans essaient de retracer l’histoire des rébellions de la Centrafrique, ils se perdent dans les noms et les dates. Le pays de l’ancien empereur Bokassa enchaîne les coups d’État et les dictatures depuis son indépendance en 1960. Les mutineries des années 1990 ont mis les provinces à genoux.
LA SÉLÉKA, « ARMÉE D’OCCUPATION »
Après sa prise de pouvoir par les armes en 2003, le général François Bozizé s’est transformé en dictateur, régnant sur Bangui et une petite moitié du pays. Il n’a guère trouvé de Centrafricains pour regretter son renversement par la coalition Séléka. Mais c’était avant les pillages.
Trois mois après leur coup d’État, « les “Séléka” se comportent comme une armée d’occupation régnant par la terreur », résume un diplomate. Mercenaires soudanais ou tchadiens aguerris, coupeurs de routes reconvertis, combattants musulmans originaires du nord du pays : la troupe cantonnée en province sévit en toute impunité.
« Selon nos recherches sur le terrain, les éléments de la Séléka continuent de tuer des civils, de piller les biens privés et de brûler des villages. Le commandement de la Séléka à Bangui ne contrôle pas ces éléments ou est complice de cette violence », déclare Jean–Marie Fardeau, de Human Rights Watch.
DES GROUPES ARMÉS PROFITENT DU CHAOS
Pas une ville, pas un village sans victime d’exactions. Dans la commune de Ouendago, des hommes en treillis se sont abattus comme la foudre à la tombée du jour. Ils cherchaient des femmes, maison par maison. Après s’être concertées, six d’entre elles acceptent de raconter leur calvaire.
Jeanine dit avoir été violée par trois hommes. Laissée sans soins, elle se plaint de douleurs au ventre et son mari menace de la renvoyer. Agnès a été entraînée par cinq hommes dans une auberge. Marie-Noëlle, enceinte durant l’agression, craint pour son bébé… Leur forfait accompli, les soldats ont pris la route du Nord sans être inquiétés.
Profitant du chaos, d’autres porteurs de kalachnikovs se sont mis en ordre de pillage : les Mbararas. Au retour du mois de décembre, ces éleveurs descendent du Tchad vers les pâturages de la Centrafrique, en poussant leurs troupeaux de bœufs à côté des villages et des champs des cultivateurs. Pendant des décennies, les incidents entre paysans nomades et sédentaires se sont négociés par des systèmes de compensation.
Les accrochages ont dégénéré en violences vers la fin des années 2000 quand le gouvernement de Bozizé a renoncé de fait à exercer son autorité sur le Nord.
VIOLENCES ENTRES CULTIVATEURS ET ÉLEVEURS
Au cours des derniers mois, la carte de la transhumance a pris des couleurs de cendre. Combien de hameaux brûlés derrière eux ? Combien d’années de labeur réduites en miettes ? Il y a longtemps que l’État ne tient plus le registre des victimes de la rivalité entre cultivateurs et éleveurs.
Mais les habitants de la région assurent n’avoir jamais vécu un tel déchaînement de violence. Le long de la piste qui mène de Bouca à Batangafo, les Mbararas ont ainsi livré aux flammes huit communes, en guise de représailles après la mort d’un des leurs.
Entre deux maisons calcinées, un cultivateur trempé par l’orage essaie de mettre la main sur des chèvres. La faim le tenaille, lancinante, comme chez beaucoup de déracinés de la région. Les chiffres de la malnutrition récoltés dans les rares hôpitaux en état de marche ont doublé par rapport à 2012.
Les habitants devraient prospérer grâce à la richesse du pays : manioc, haricots, bananes poussent en abondance. « Mais les Mbararas ont volé nos semences et nos bœufs qui nous servent à tirer la charrue, rappelle le fermier François Palouka. Ils disent que la brousse est à eux désormais. Si on résiste, ils appellent les “Séléka” à l’aide. »
LES TRACES DES PILLAGES NE SONT PAS EFFACÉES
Les éleveurs nomades sont du bon côté du fusil. Ils profitent de la passivité, voire de la complicité des nouveaux maîtres du pays, dont ils partagent la langue, l’arabe, et la religion, l’islam, dans une Centrafrique aux trois quarts chrétienne. Cinq paysans ont ainsi été fusillés par la Séléka à Ouin, un hameau près de Batangafo, pour avoir tué un Mbarara durant un accrochage.
« On sortira de la brousse quand les “Séléka” seront désarmés », précise Jean-Philippe Yavélé, l’un des villageois qui ont échappé aux représailles. Juchés sur une moto, des soldats se rapprochent du hameau. Aussitôt, les rescapés de Ouin se dispersent dans les broussailles.
Après la campagne, la ville. Là aussi, les regards accusateurs sont braqués sur les hommes de la Séléka. « Ils se sont comportés comme des criquets, dévastant tout sur leur passage », reconnaît un ministre du nouveau gouvernement Séléka.
Sous-préfecture, gendarmerie, mairie, bureaux d’ONG : à Batangafo, les bâtiments en dur ont été désossés minutieusement par les rebelles ou des citadins profitant de l’aubaine. Les vandales ont arraché les portes, les câbles électriques, les rideaux, les plafonniers. On ne trouve plus une chaise. La plupart des fonctionnaires sont partis. L’administration est à l’agonie.
TENTATIVE DE REPRISE EN MAIN DES AUTORITÉS
Au centre de Batangafo, la soirée commence par le même rituel. Il y a le clic-clac des cadenas. On s’enferme. On guette les bruits. Des coups de feu éclatent ? Ce sont sans doute des militaires qui tirent en l’air en buvant des bières. Les enfants de l’orphelinat Le Bercail préfèrent en rire sous le regard bienveillant du pasteur Timoléon et de sa femme.
Ici, les rebelles ont emporté les motos, une voiture, tout l’argent. Le couple prend ce coup du sort avec philosophie. « Cela fait tant d’années que les Centrafricains subissent la loi des armes », rappelle le pasteur Timoléon.
Ces dernières semaines, les autorités de Bangui tentent de reprendre en main la région. Accompagné d’une escorte lourdement armée, le général Mahamat Haroun est venu rétablir « l’ordre » à Batangafo,« sermonner » la troupe, et « arrêter les pillages ». « Il y a eu des troubles ici il y a deux jours », reconnaît-il pudiquement.
LES MERCENAIRES SONT OUBLIÉS
La colère gronde en effet parmi les habitants. La veille, un père de famille qui avait eu le malheur de s’élever contre la brutalité d’un soldat est mort par étouffement, pendant son incarcération. Le drame est survenu sous les yeux de son fils. « Nous n’avons pas pu récupérer le corps », lâche sa fille en larmes.
En ce jour d’inspection, le général Haroun a cherché à rassurer les villageois. Les « fauteurs de troubles », eux, ne seront ni jugés ni emprisonnés. « Ils seront remplacés par des “vrais Séléka” », promet-il. Des coupons de nourriture seront également distribués à la troupe.
Un semblant d’ordre reviendra pendant une semaine, deux peut-être, puis les exactions reprendront comme cela s’est vu ailleurs. Les mercenaires soudanais et tchadiens, les jeunes recrues à peine sorties de l’enfance et les combattants venus du Nord musulman et oublié ne désarmeront pas avec de belles paroles.
OLIVIER TALLÈS