
PARIS (AFP) - mardi 23 février 2010 - 18h51 - Nicolas Sarkozy fait son retour mercredi en pour tourner la page, seize ans après le génocide, du lourd contentieux qui a empoisonné les relations entre la France et le Rwanda et apporter son onction au "nouveau" Gabon du fils d'Omar Bongo.
Une journée à Franceville et Libreville, trois heures à Kigali... A l'image des précédentes, la nouvelle virée africaine du chef de l'Etat tient du grand écart. Un pied dans le "pré carré" pour conforter les vieilles amitiés, l'autre en terre anglophone pour illustrer la rupture, en résumé d'une politique qui hésite toujours à trancher le lien avec la "Françafrique".
Même symbolique, le premier séjour jeudi d'un président français au Rwanda depuis le génocide constitue le point d'orgue de cette tournée. Nicolas Sarkozy vient y enterrer trois ans de brouille diplomatique et judiciaire avec le régime de Paul Kagamé, nouvelle étape de l'effort de "réconciliation" lancé en 2007 pour solder les contentieux de la France en Afrique.
Le Rwanda a coupé les ponts fin 2006, après l'émission par le juge Jean-Louis Bruguière de mandats d'arrêt contre neuf proches du président rwandais, soupçonnés d'avoir fomenté l'attentat qui a coûté la vie en 1994 à son prédécesseur, Juvenal Habyarimana, et marqué le coup d'envoi d'un génocide qui a fait 800.000 morts, en grande majorité d'ethnie tutsie.
Cet incident a relancé de plus belle le procès instruit depuis 1994 par le régime de Kigali, aux mains des tutsis, contre Paris, accusé d'avoir aidé les génocidaires. Ce que la France, soutien du régime Habyarimana contre le guérillero Kagamé, a toujours farouchement nié.
Malgré cette escalade, les fils du dialogue renoué par Nicolas Sarkozy en entrant à l'Elysée n'ont jamais été rompus. Deux entretiens "francs et directs" avec Paul Kagamé en 2007 puis 2008 ont remis le différend à plat.
Avant qu'une série de péripéties judiciaires opportunes ne dégage la voie à une reprise des relations, à la faveur d'une visite éclair à Kigali en novembre dernier du numéro 2 de l'Elysée, Claude Guéant.
Couronnement de ce chemin tortueux, Nicolas Sarkozy débarque donc dans l'ex-colonie belge avec la satisfaction d'avoir retiré une grosse épine du pied de la France. Et l'ambition de la réinstaller dans l'Afrique des Grands lacs, à la frontière du Kivu congolais au sous-sol riche en minerais.
"Cette réconciliation avec le Rwanda fait disparaître un irritant majeur qui, à cause des accusations de complicité de génocide, nuisait à l'image de la France sur l'ensemble du continent", se réjouit-on à Paris.
Les deux camps assurent avoir "tourné la page" mais le climat de la visite du président reste lourd. Ses gestes et ses mots y seront observés à la loupe. Car à Kigali, les victimes du génocide continuent à exiger des "excuses" françaises. Et à Paris, politiques et militaires s'inquiètent à mots couverts du prix de ces retrouvailles.
Il y a deux ans, Nicolas Sarkozy, que l'on sait réservé sur la repentance, avait évoqué "les faiblesses ou les erreurs" de la France. "Il dira des choses fortes", prévient son entourage, "mais pas d'excuses".
Le chemin qui conduit mercredi le président Sarkozy au Gabon pour la troisième fois depuis son élection, s'annonce moins risqué.
Huit mois après la mort du "doyen" Omar Bongo, considéré comme le gardien des secrets de la France en Afrique, Paris veut faire du Gabon de son fils Ali, dont l'élection a été contestée par l'opposition, l'appartement témoin de sa nouvelle diplomatie africaine. "Le modèle d'une politique plus moderne et débarrassée des soupçons du passés", jure l'Elysée.
Nicolas Sarkozy signera donc à Libreville un accord de défense rénové avec le fils. Mais ira aussi s'incliner sur la tombe du père.
Gabon: le président Sarkozy n'est pas "le bienvenu"
LIBREVILLE - Deux des plus célèbres membres de la société civile gabonaise, Marc Ona, lauréat du Prix Goldman 2009, ainsi que Grégory Mintsa, estiment dans une lettre ouverte mardi à la veille de l'arrivée au Gabon du président français que Nicolas Sarkozy n'est pas "le bienvenu".
"M. le Président (...) votre ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, votre secrétaire aux colonies Alain Joyandet et votre ami Robert Bourgi sont désormais indésirables au Gabon et vous n'êtes pas le bienvenu" écrivent les deux membres de la société civile dans une lettre remise à l'AFP par Marc Ona.
Marc Ona Essangui, principal porte-parole de la société civile, est le coordinateur de Publiez ce que vous payez (PCQVP), Brainforest et Environnement Gabon alors que Gregory Ngbwa Mintsa est partie civile dans la plainte "Bien mal acquis" contre les chefs d'Etats africains accusés d'avoir détourné de l'argent public.
"Il nous est difficile de comprendre que vous perpétuiez les mêmes relations France-Gabon depuis que Bouët-Willaumez (fondateur du comptoir de Libreville) s'est emparé de nos terres et de nos richesses contre des bibelots", écrivent les auteurs.
"Comme vos prédécesseurs vous continuez à maintenir à la tête de notre pays des traîtres à la Nation dont aucun Gabonais sincère ne veut plus depuis des décennies. Nous comprenons, que pour vous, les intérêts de vos amis de la bourgeoisie d'affaires française sont autrement supérieurs à la vie et au destin du peuple gabonais", estiment MM Ona et Mintsa.
"C'est pourquoi dans le sillage de tous vos déplacements vous emportez toujours la vermine, VRP d'Areva, de Bolloré, de Total et autres esclavagistes infâmes appuyés par la gouaille de Bernard Kouchner", poursuivent-ils.
"Vous fermez les yeux sur ces crimes économiques (...) En privilégiant l'intérêt des milieux affairistes par rapport à la vie des Gabonais, la Françafrique est coupable de crime contre l'humanité (...) La célébration du cinquantenaire que vos factotums s'apprêtent à célébrer est pour nous un moment de deuil".
Dans un mémorandum, le collectif des organisations libres de la Société civile, qui rassemble les principales ONG gabonaises, demande la "la révision intégrale des accords et traités régissant les relations franço-gabonaises (...) la réparation totale par les groupes Areva, Total, Rougier (bois), Comilog (Eramet) et autres de tous les types de dommages causés aux populations et à l'environnement dans les zones d'extraction (...) et l'arrêt de l'ingérence française dans le choix des dirigeants gabonais".
De son côté, l'ONG Croissance saine environnement juge "souhaitable de renégocier les contrats pétroliers, miniers et forestiers signés à une époque révolue".
(©AFP / 23 février 2010 21h39)