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La Nouvelle Tribune Léonce Gamaï 4 avril 2013
Difficile de croire que Michel Djotodia, le président autoproclamé, changera les mœurs d’un pays condamné aux coups d’Etat.
Les engagements du nouveau président centrafricain, Michel Djotodia, ses premiers actes et l’histoire de la succession au pouvoir en Centrafrique ne rassurent guère quant à l’avenir du pays, avec la Séléka aux commandes.
Quelle sera la suite des événements ? C’est la question qui taraude les esprits depuis que, dimanche 24 mars 2013,
les rebelles de la Séléka ont mis fin au régime du désormais ex-président François Bozizé. Mais l’analyse de la situation suscite beaucoup de réserves et alimente même le
pessimisme. Les premiers pas du nouvel homme fort du pays, l’ambiguïté de son discours et un regard rétrospectif sur l’histoire politique de la Centrafrique fondent ce pessimisme. Ce n’est
sans doute pas demain qu’un nouveau jour plein d’espoir se lèvera en Centrafrique, pour le bonheur de tous les Centrafricains.
D’une pseudo-démocratie à une transition autocratique. Ainsi peut-on qualifier la Centrafrique dans son état actuel.
François Bozizé, arrivé au pouvoir en 2003 après avoir renversé le régime d’Ange-Félix Patassé, ne pratiquait depuis qu’un simulacre de démocratie, avec à la clé
une gestion patrimoniale du pouvoir. Sa gouvernance n’a pu permettre au pays de sortir de la misère, malgré ses ressources minières, notamment en uranium. Quant aux différentes élections
présidentielles et législatives, on sait les conditions dans lesquelles il les a remportées. Michel Djotodia, qui a mis fin à cette pseudo-démocratie de
Bozizé, instaure, lui, une autocratie. Et ses premières décisions en témoignent. Comme tous les putschistes africains, Djotodia a décidé de suspendre la
Constitution et de dissoudre le Parlement. Conséquence : il veut désormais légiférer, et ce jusqu’à la fin de la transition, dans trois ans, par décrets et ordonnances dans la conduite des
affaires du pays. Quel bon élève ! Djotodia a appliqué malheureusement avec succès le mode opératoire des putschistes africains une fois qu’ils ont pris le pouvoir. Ainsi,
pendant les trois prochaines années, les Centrafricains devront vivre selon les humeurs, les caprices et les lubies de Djotodia et des autres hommes forts de la Séléka, cette
nébuleuse qui n’a visiblement pas encore livré tous ses secrets.
Dichotomies
Trois contradictions entre les paroles de Djotodia et ses actes interpellent. Primo. “Nous nous engageons à conduire désormais les destinées du peuple centrafricain pendant
cette période de transition consensuelle de trois ans, conformément aux accords politiques de Libreville.” C’est en substance ce qu’a affirmé le putschiste et président autoproclamé lors
d’un discours à la presse, lundi dernier. C’est ce qui justifie d’ailleurs le fait qu’il ait maintenu Nicolas Tiangaye, nommé Premier ministre dans le cadre des accords de
Libreville, à son poste. Ce vœu de voir les accords de Libreville mis en application par la Séléka, Martin Ziguélé, leader du plus grand parti politique centrafricain, l’a
exprimé dans une interview qu’il a accordée à RFI mardi 26 mars. Mais les accords de Libreville que Djotodia s’engage à respecter, il les a déjà violés en suspendant la
Constitution du pays.
Secundo. Michel Djotodia a promis une “transition consensuelle”. Cela suppose que toutes les
forces du pays (politiques et civiles) soient associées à la prise des importantes décisions. Mais on n’a pas vu la classe politique et la société civile associées à la décision de suspendre la
Constitution et de légiférer par décrets et ordonnances.
Tertio. Les accords défendent aux acteurs de la transition d’être candidats à la présidentielle de 2016. Pourtant, à
ce propos, l’interview de Djotodia à RFI lundi 25 mars dit tout sur ses véritables ambitions. “Je n’ai pas dit que dans trois ans je remettrais le pouvoir.
J’ai dit que d’ici trois ans nous allions organiser des élections libres et transparentes avec le concours de tous les acteurs.” Ainsi a répondu Djotodia
lorsque notre confrère a voulu savoir si dans trois ans la Séléka allait organiser les élections et remettre le pouvoir.
Frustrations
Djotodia est donc venu pour aller à l’école de Patassé et de Bozizé. Prendre le pouvoir par les armes, organiser des simulacres d’élections et se faire élire
président de la République. S’ensuivra alors une gouvernance pour contenter non pas les Centrafricains, mais plutôt ses proches et ses acolytes.
Au finish, les acteurs politiques, la société civile et le peuple se feront berner. Bonjour aux frustrations. Recours encore
aux armes. On a des raisons d’être réservé quant à leur capacité à réunir tous les acteurs autour des vrais problèmes de la Centrafrique afin de trouver à ceux-ci des solutions durables. Et,
sans être trop prétentieux, on peut affirmer que le régime putschiste de Djotodia ne pourra pas mettre fin au “centrafrico-pessimisme” d’une bonne
partie des observateurs. La Centrafrique n’est pas sortie de l’auberge.
CONTEXTE — La Séléka, rébellion composite
●●● Depuis le coup d’Etat de 2003 qui a vu l’arrivée au pouvoir du général Bozizé, de nombreux mouvements rebelles ont régulièrement pris les armes en Centrafrique. Parmi eux, l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) et la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP). En 2011, après une élection présidentielle qui a vu la reconduction de Bozizé à la tête du pays, ces deux groupes rebelles ont signé un accord de paix avec le gouvernement. Mais, le 10 décembre 2012, plusieurs factions dissidentes ont pris les armes, considérant que les accords de 2011 n’étaient pas respectés : la Séléka (“Alliance” en langue sango) était née. Son objectif : la chute du président Bozizé. A sa tête, Michel Djotodia, ancien diplomate et fondateur de l’UFDR. Entre décembre et janvier dernier, la rébellion parvient à contrôler les trois quarts du territoire. De nouveaux accords de paix sont signés à Libreville (Gabon) le 11 janvier 2013. Un gouvernement d’union nationale est formé, incluant plusieurs personnalités de la Séléka. Mais les rebelles reprennent les armes le mercredi 20 mars, jusqu’à l’assaut contre le palais présidentiel à Bangui le dimanche 24 mars.