Ursula Soares RFI mercredi 19 décembre 2012
Après avoir, ces derniers jours, pris plusieurs localités comme Ndélé et Bria en République centrafricaine (RCA), les rebelles de la coalition Seleka ont poursuivi leur progression en prenant, ce mercredi 19 décembre, la localité de Kabo, située à 350 km au nord de Bangui. Cependant, le président François Bozizé a été renforcé par l’arrivée, mardi, de troupes tchadiennes qui ont réussi à stopper l’avancée rebelle. Entretemps, le gouvernement tchadien se prépare à accueillir, dans les prochains jours, autour d’une table de négociations, les belligérants et le gouvernement centrafricain, à Ndjamena.
Selon plusieurs observateurs, l’intervention militaire et diplomatique du Tchad est en train de changer la donne et devrait empêcher les rebelles de s’approcher de la capitale. Depuis mardi, une colonne de soldats tchadiens campe dans la ville de Sibut – à 100 km au nord de Bangui - et sécurise l’accès à la capitale centrafricaine.
Des pourparlers en vue
Le gouvernement tchadien assure que ses forces armées, en RCA, ne visent pas à protéger un camp plutôt qu’un autre. Ils sont là pour s’interposer et non pas pour s’opposer aux forces rebelles. « C’est une mission de sécurisation de la population ; une mission d’interposition pour que les hostilités sur le terrain s’arrêtent et que le langage de la paix, du dialogue prenne le dessus sur le langage des armes », affirme Hassan Sylla, porte-parole du gouvernement tchadien, joint par RFI. Et il ajoute que les rebelles et le gouvernement se préparent à aller à Ndjamena pour négocier.
« Les rebelles veulent négocier à N’Djamena avec les forces loyalistes et le gouvernement centrafricain ».
HASSAN SYLLA Porte-parole du gouvernement tchadien
Du côté du gouvernement, le parti présidentiel KNK appelle à la répression militaire contre « des aventuriers » tout en proposant une réconciliation nationale. Joint par RFI, Cyriaque Gonda, ancien négociateur avec les groupes rebelles, actuellement responsable du parti présidentiel, salue la présence de l’armée tchadienne et précise que le chef de l’Etat, François Bozizé prône, lui aussi, le dialogue.
« Le dialogue est déjà accepté par le chef de l’Etat. »
Cyriaque Gonda Responsable du parti présidentiel PNCN
Du côté de l’opposition centrafricaine, on appelle au cessez-le-feu et au dialogue politique pour sortir durablement de la crise en Centrafrique. « Tous les soubresauts que connaît notre pays sont la conséquence du non-respect, par Bozizé, des accords de paix », estiment neuf partis d’opposition qui ont signé, ce mercredi 19 décembre, une déclaration commune.
Joint par RFI, Maître Nicolas Tiangaye, président de la Convention républicaine pour le progrès social (CRPS) considère que l’opposition doit également participer aux pourparlers de Ndjamena.
« Nous pensons qu’il faut qu’il y ait un dialogue global pour régler, de façon définitive, l’ensemble des crises auxquelles notre pays est aujourd’hui confronté ».
Maître Nicolas Tiangaye Président de la Convention républicaine pour le progrès social (CRPS)
Du côté des rebelles, Michel Djotodia, président de l’UFDR - principale composante de l’alliance Séléka -, joint par RFI, affirme que les Tchadiens lui ont demandé de patienter. Il se dit prêt à négocier et à aller à Ndjamena pour des pourparlers mais il attend d’être officiellement invité.
La France, ex-puissance coloniale, a dénoncé « un recours à la violence inacceptable », souligné l’importance de la mise en place d’un « large dialogue national » en Centrafrique et se dit prête à « favoriser le bon déroulement de ce dialogue avec les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne et tous les partenaires internationaux », a déclaré le porte-parole des Affaires étrangères, Philippe Lalliot.
Le choix du Tchad
Cette fois-ci, le Tchad ne semble pas choisir l’option des armes pour régler ce nouveau conflit politico-militaire en Centrafrique. Les troupes tchadiennes jouent l'interposition ; elles ne sont présentes que sur l'axe nord-sud pour verrouiller l'accès à Bangui.
Ainsi, les militaires tchadiens assurent une présence mais ne semblent pas vouloir se lancer dans la traque aux rebelles qui ont continué leur progression. Le dispositif tchadien empêche certes la prise de la capitale centrafricaine par la rébellion mais maintient la pression militaire sur le pouvoir centrafricain.
Cela signifie-t-il que Ndjamena veut obliger le président Bozizé à négocier ? En mai dernier, son homologue tchadien, Idriss Deby, en visite à Bangui, avait recommandé l'ouverture d'un dialogue entre Centrafricains. Le pouvoir tchadien - qui a volé au secours du régime de Bangui à plusieurs reprises – juge-t-il, aujourd'hui, que François Bozizé est devenu trop impopulaire pour bénéficier encore de son soutien ? En Centrafrique, les crises à répétition (conséquences d'accords de paix non respectés et d'absence de dialogue) ont-elles fini par lasser le voisin tchadien préoccupé par le risque d'une instabilité chronique à sa frontière sud ?
Autant d'éléments qui pourraient expliquer que Ndjamena choisisse, cette fois, de défendre l'option du dialogue pour régler la crise centrafricaine.
Qui sont les rebelles ?
La coalition rebelle, créée au mois d'aout dernier, s'est constituée sur la base de factions dissidentes de l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) et de la Convention des patriotes du salut et du kodro (CPSK). C'est Michel Djiotodia qui a repris les rênes de l'UFDR à son neveu, Zakaria Damane. Il apparait aujourd'hui comme l'homme fort de la Seleka, l'alliance rebelle. L'actuelle CPJP, originellement créée par le colonel Charles Massi - arrêté et disparu dans des conditions troubles - est dirigée par Noureldine Adam qui serait en fait d'origine tchadienne. Enfin, à la tête du CPSK figure Dhaffane Mohamed-Moussa, emprisonné au Tchad après l'arrestation de Charles Massi, dont il était proche. Dhaffane est, aujourd’hui encore, en résidence surveillée à Ndjamena. Il y a quatre mois, le CPJP et le CPSK ont signé un accord militaire stratégique auquel a adhéré l'UFDR. L'alliance a mené, dès le mois de septembre, ses premières incursions dans des localités centrafricaines. Et depuis deux semaines, les rebelles ont pris Ndele, Kabo, Ouadda, au nord, et ont progressé jusqu'à Bria, ville minière située au centre du pays. La rébellion semble bien armée et équipée de véhicules probablement volés aux forces armées centrafricaines (FACA). Pour se financer, les rebelles tireraient profit du diamant et bénéficieraient de ressources, via des réseaux étrangers. Le chef de l'UFDR a par exemple, dans le passé, occupé le poste de consul au Soudan. La Seleka accueille également des combattants de diverses nationalités : Tchadiens, Soudanais et peut-être même Nigérians.