www.quotidien.mutations-multimedia.com Jeudi 19 avril 2012 19:28
Les candidats de la droite et de la gauche jurent de bousculer l’ordre établi, avec pour le premier un bilan colorié de désillusions.
Que cherche Laurent Fabius sur le continent africain ? Entre décembre 2011 et février dernier, révèle l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique (J.A), l’ancien Premier ministre français s’est rendu au Bénin, au Togo et au Gabon où il a rencontré les trois chefs d’Etat de ces pays. Ces visites successives (l’on annonce une autre en Côte d’Ivoire) qui interviennent en pleine campagne électorale en vue de la présidentielle 2012 en France ne sont certainement pas fortuites. En effet, ainsi que l’indique l’association « Survie », très active dans la lutte pour la mise à mort de la Françafrique, «si Laurent Fabius n’est pas officiellement dans l’organigramme de campagne du candidat socialiste, il a néanmoins été missionné pour préparer le programme des «cent jours» de gouvernement de François Hollande», au cas où ce dernier est déclaré élu le 6 mai prochain.
Le changement ne semble donc pas être pour maintenant, voire pour demain dans la relation franco-africaine. Même si, le choc de mots et le poids des idées du favori des sondages, François Hollande, peuvent laisser entrevoir un électrochoc. En effet, dans son discours d’investiture le 22 octobre dernier à la Halle Freyssinet, l’ancien premier secrétaire du PS affirmait: «Notre République portera également, c’est son honneur comme son intérêt, une nouvelle politique à l’égard de l’Afrique. Ce continent, est en passe de jouer un rôle décisif. La France répudiera sans regret les miasmes de ce qu’on appelle la Françafrique. Elle jouera la carte du co-développement, comme le commandent avec autant de force le cœur et la raison».
Plus tôt, François Hollande, qui a pour conseiller Afrique l’ancien secrétaire d’Etat français Koffi Yamgnane (d’origine togolaise), s'engageait aussi à ne pas tenir « de discours comme ceux, profondément blessants, sur l'Homme africain de Nicolas Sarkozy ». En tout état de cause, le principal axe de ce qui pourrait être la politique africaine de la France sous l’ère Hollande est contenu dans ces propos de Thomas Mélonio, responsable de l'Afrique au Parti socialiste, propos tirés de son essai paru en juin 2011 et titré « Quelle politique africaine pour la France en 2012 ?» : «Sur le plan de la démocratie et des droits humains, la France doit être capable de repenser son rôle d'accompagnement des mouvements de démocratisation sans pour autant renouer avec les ingérences coupables du passé. La France a trop souvent pris acte de coups d'Etat ou failli à manifester ses réserves quant aux régimes en place. Le respect des droits de l'Homme et l'existence d'un Etat de droit doivent devenir des préalables indispensables à toute intervention. Pour continuer d'aider les populations des pays dont nous questionnons la gouvernance, il serait utile de développer la coopération avec les organisations non gouvernementales. Leur savoir-faire, leur connaissance du terrain et leur réactivité méritent qu'on leur accorde un plus grand rôle dans les dispositifs d'aide au développement dès lors que leur légitimité est avérée. Les fondations politiques pourraient quant à elle se voir apporter un soutien plus grand des pouvoirs publics français dans leur démarche d'aide à la démocratisation ».
Cet économiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement précise, dans l’ouvrage sus évoqué, que «les politiques françaises développées en Afrique méritent également d'être reconsidérées, notamment leur versant militaire : il est nécessaire d'intégrer de plus en plus ces dispositifs dans les cadres de l'Union européenne, non seulement pour mutualiser les coûts qu'ils impliquent, mais aussi afin de diminuer le caractère sensible des interventions militaires françaises dans d'anciennes colonies. La coopération traditionnelle doit, enfin, laisser place à des formes de partenariats plus modernes et plus lisibles. Les objectifs assignés doivent être clarifiés et les canaux de l'aide plus transparents, la relation de partenariat technique doit évoluer dans sa formulation et répondre à une exigence de gestion plus collective des politiques de coopération internationale ».
Promesses
Quant à Nicolas Sarkozy, il a assuré en janvier dernier avoir mis fin à l'utilisation de «réseaux occultes» et d' «intermédiaires douteux» entre la France et l'Afrique, dans une interview accordée à la revue « Politique internationale ». Un bilan que lui conteste nombre d’observateurs, français ou non. Jean François Bayart, directeur de recherche en France, percevait ainsi, sous Sarkozy, en septembre 2010 dans la revue « Sciences politiques comparées», une « régression de la politique africaine de la France à des relations clientélistes avec des capitales subsahariennes, relations dont l’asymétrie n’est pas toujours celle à laquelle on pense spontanément».
Diffusé en décembre 2010, le documentaire de Patrick Benquet, «La Françafrique», est venu rappeler que la «rupture» proclamée par Nicolas Sarkozy en 2007 n’était qu’un slogan. On y a notamment vu comment l’Elysée a manœuvré pour imposer Ali Bongo comme président du Gabon, au détriment de Mba Obame, au terme d’une élection fort disputée. Le dernier livre du journaliste d’investigation Charles Onana, intitulé « Côte d’Ivoire, le coup d’Etat », qui met gravement en cause le président Sarkozy dans la chute de Laurent Gbagbo, a achevé de démontrer que le bilan africain du candidat de l’Ump n’est pas flamboyant. De quoi affirmer avec le journaliste suisse Gilles Labarthe, dans son ouvrage «Sarko l’africain», paru en 2011, que Nicolas Sarkozy s’est contenté depuis 2007 « de réchauffer une vieille soupe de la « France-à-fric » en rallongeant juste le manche de la casserole par peur des éclaboussures ».
L’association « Survie » renchérit que «tous les pires régimes d’Afrique ont été reçus ou visités par l’Elysée depuis mai 2007 : Omar puis Ali Bongo (Gabon), Denis Sassou Nguesso (Congo-B), Paul Biya (Cameroun), François Bozizé (Centrafrique), Ismaël Omar Guelleh (Djibouti), Faure Gnassingbé (Togo), Mouammar Kadhafi (Libye), Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Ben Ali (Tunisie), etc. A chacune de ces visites officielles, les atteintes aux droits de l’Homme ont été systématiquement reléguées au second plan ou passées sous silence (…) Lors de la visite officielle de Paul Biya en juillet 2009, pas un mot sur la modification de la Constitution au Cameroun, sur les nombreuses atteintes aux droits de l’Homme dans ce pays, en particulier les massacres de février 2008 ». C’est donc dire que les promesses de campagne n’engagent que ceux qui y croient…
Georges Alain Boyomo