LE MONDE | 24.03.2012 à 11h12
C'est un des scandales sanitaires de ce début de siècle: la tuberculose a tué 1,4 million de personnes en 2010, dont l'immense majorité résidait dans un pays pauvre. D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il s'agit du niveau de mortalité le plus bas enregistré ces dix dernières années. Mais cette évolution positive cache une réalité inquiétante: le bacille de Koch devient de plus en plus résistant aux traitements existants, au point de constituer, dans certaines régions du monde, un problème de santé publique majeur. A l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose, samedi 24mars, médecins et chercheurs lancent un appel à l'aide internationale pour sortir de cette impasse thérapeutique.
Obsolescence des outils de diagnostic et des médicaments, pénurie de moyens, difficultés pour les patients à suivre leur traitement, désintérêt du secteur pharmaceutique: partout dans le monde, les soignants sont confrontés aux mêmes obstacles dans la prise en charge des malades. Mais alors que les pays développés parviennent à maintenir l'incidence de la maladie à bas niveau, les pays pauvres ont d'énormes problèmes d'accès au diagnostic et aux traitements.
SITUATION INEXTRICABLE
Et la situation devient inextricable quand les patients se révèlent "multirésistants", c'est-à-dire infectés par une souche résistante à l'action des deux antibiotiques majeurs (rifampicine et isoniazide) constituant le traitement standard, dit de "première ligne". Au cours des dix dernières années, cette tuberculose multirésistante aurait, selon l'OMS, entraîné le décès de 1,5 million de personnes dans le monde. Et 450 000 nouveaux cas sont recensés chaque année, qui obligent - quand c'est possible - à recourir à un traitement de "seconde ligne".Des médicaments moins efficaces, entraînant de graves effets secondaires, qui nécessitent d'être administrés pendant près de deux ans et coûtent une fortune: au minimum 10 000 euros par personne dans les pays en développement (les tarifs étant négociés par les ONG), quand le coût du traitement d'une tuberculose simple n'excède pas 15 euros.
Résultat: alors qu'environ 5 millions de cas de tuberculose multirésistante ont été recensés depuis l'an 2000, l'OMS estime que 50 000 seulement de ces patients, soit 1%, ont bénéficié d'un traitement dont la qualité respecte les recommandations internationales.
La situation est particulièrement grave en Afriquesubsaharienne, où la forte prévalence du sidaa favorisé la croissance exponentielle des cas de tuberculose - chacun des deux agents infectieux augmentant la gravité et la vitesse d'évolution de l'autre. Le nombre de nouveaux cas de tuberculose y est parmi les plus élevés du monde (plus de 300 pour 100000personnes) et, parmi eux, figure une proportion inquiétante de multirésistants. Voire d'"ultrarésistants", ne répondant aux traitements ni de première ni de seconde lignes.
ABANDON DE LA RECHERCHE
"Dans les pays de l'ex-Union soviétique, l'incidence globale de la tuberculose est bien moindre qu'en Afrique.Mais dans certaines régions, les cas de multirésistance n'en atteignent pas moins des taux alarmants: dans le Caucase (plus de 10%) et plus encore en Ouzbékistan (de 40 % à 50 %)", précise le docteur Francis Varaine, directeur du groupe de travail international sur la tuberculose à Médecins sans frontières (MSF).
En toile de fond de ce bilan mondial consternant, le quasi-abandon, depuis des décennies, de la recherche-développement dans le champ de la tuberculose. A tous les niveaux. Celui du diagnostic, fondé comme il y a plus d'un siècle sur le recueil et la mise en culture des crachats, méthode longue et ne permettant de détecter que la moitié des cas. Celui des médicaments, mal adaptés aux souches multirésistantes et plus encore aux ultrarésistantes. Celui du vaccin, l'antique BCG, dont l'efficacité a toujours été limitée et qui n'est plus obligatoire en Francedepuis l'été 2007.
Dans tous ces domaines, le marché pour la production et le développement de nouvelles molécules demeurant peu attractif, les investissements stagnent.
Depuis peu, pourtant, quelques pistes de recherche se font timidement jour. Fin 2010, un nouveau test de diagnostic, capable de détecter dans les crachats non seulement le bacille tuberculeux mais également son ADN, a ainsi été approuvé par l'OMS. Il est aujourd'hui mis à l'épreuve du terrain par près de trente pays. Et deux nouveaux médicaments, en stade final de développement, sont testés depuis un an en "protocole compassionnel" (pour des malades n'ayant plus d'autre recours thérapeutique).
Mais ces fragiles avancées demandent toutes à être confirmées, donc financées. Alors que le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme s'est vu contraint d'annuler en décembre2011, sur fond de crise interne et de crise économique mondiale, son onzième appel à projets, le pari est loin d'être gagné.
Catherine Vincent