Par Claude
ANGELI : « Le Canard Enchaîné » du mercredi 4 juillet 2012 (page 3)
LE 15 juillet, Laurent Fabius, nouveau ministre des Affaires étrangères, doit se rendre à Alger. Accompagné sans doute de quelques officiers, il compte évoquer avec les dirigeants du pays la situation au Nord-Mali et dans plusieurs États voisins. Dès cette semaine, Jean Felix-Paganon, récemment nommé «représentant spécial pour le Sahel», lui aura remis le premier compte rendu de ses contacts dans différentes capitales africaines. En clair, cet ancien patron, au Quai d'Orsay, du département Afrique du Nord et Moyen-Orient s'est déjà rendu chez tous les dirigeants inquiets de la présence d'islamistes radicaux non loin de leurs frontières. À en croire ses collaborateurs, Fabius veut inciter ses interlocuteurs algériens, «avec toute la courtoisie requise», à ne pas rester les bras croisés face à « l’Afghanistan africain» qui s'installe à leur porte. Mais cette «puissance régionale incontournable», comme disent de l'Algérie les militaires français, n'est pas très chaude pour intervenir et craint les «retours de bâton terroristes» à domicile. De plus, l'équipe Bouteflika se dit hostile à toute ingérence étrangère, et notamment française, aux confins de « son» Sahara. «Ce sont les nouveaux "Embarras de Paris"», s'amuse un diplomate. Et, dans le même esprit, la France souhaitant que le Conseil de sécurité vote une résolution politique - et non militaire... - sur la conquête du Nord-Mali par les islamistes, un autre diplomate ironise «Ça ne mange pas de pain.» Exact, et, comme on n'ose pas le dire à l'Elysée : que peut-on faire d'autre?
Centre d'accueil salafiste
Jusqu'à présent, la diplomatie n'a donné aucun résultat appréciable, et les solutions militaires ne sont encore que de vagues projets. Les chefs de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), qui ont fait appel à l'ONU, voudraient bien chasser les envahisseurs du Nord-Mali, mais ils hésitent à mobiliser 3000 combattants sans la promesse d'une assistance aérienne et terrestre fournie par la France ou par quelque autre puissance occidentale. Mieux, certains dirigeants africains soupçonnent leur collègue président Blaise Campaoré d'« inertie suspecte » à l'égard des islamistes, qu'il espère voir épargner son pays, le Burkina, et s'intéresser plutôt au Niger...
Résultat de ces embarras africains, les groupes armés salafistes installent leur pouvoir au Nord-Mali et reçoivent des renforts. Accueillis avec enthousiasme : djihadistes algériens ou libyens, Touareg fanatiques de la charia, Nigérians de la secte Boko Haram, Yéménites, Somaliens, Pakistanais et autres chercheurs d'emploi au Sahara. Tous ces braves viennent d'assister à la destruction, par les fous de Dieu d'Aqmi et d'Ansar Dine, d'une grande mosquée et de plusieurs mausolées sacrés des « saints » de l'islam enterrés à Tombouctou. Profanations effectuées au nom de leur conception barbare d'une religion qui ne tolèrerait aucun « intermédiaire » entre Allah et les croyants.
Américains pas tranquilles
Un document américain sur les menaces terroristes a été transmis à Paris par les attachés militaires français en poste à Washington. Daté du 14 juin et rédigé par les services du Pentagone et les généraux de l'Africom (commandement US pour l'Afrique), il recense les principaux risques déjà connus. En Somalie, au Yémen, en Afrique sahélienne et australe (Ouganda, Soudan du Sud, etc.), et au Nigeria. Rien de bien surprenant, si ce n'est la description de cet immense continent où, de l'Atlantique à l'océan Indien en passant par le Sahara, des djihadistes se promènent et cherchent à déstabiliser plusieurs Etats. Une mention spéciale pour le rôle tenu par l'émirat du Qatar dans cette «Afrique très compliquée », à en croire, un diplomate européen effaré. Le document américain évite le sujet. Explication possible : ce minuscule Etat sunnite, qui déborde de richesses pétrolières, entretient d'excellentes relations avec Washington et Paris. Il a participé à la guerre de Libye, financé les révoltes en. Tunisie puis en Egypte. Aujourd'hui, il livre, en compagnie des Saoudiens, armes et dollars aux rebelles sunnites syriens en guerre contre Bachar. Et il agit de même avec les islamistes radicaux du Nord-Mali et du Sahel... Il faudra peut-être, un jour, que dirigeants américains et français s'expliquent sur le comportement ambigu de cet ami indocile. Un partenaire souvent apprécié, mais tout aussi capable de fournir le nerf de la guerre à des groupes terroristes.
Claude Angeli
dans « Le Canard Enchaîné » du mercredi 4 juillet 2012 page 3