(Mutations 27/08/2010)
L’institution de Bretton Woods vient de lever la sanction portant suspension de ses
décaissements en faveur des Etats de la Cemac.
«Le Fonds monétaire international (Fmi) a repris hier [jeudi 26 août 2010] ses décaissements en faveur des pays de la Cemac». Telle est la quintessence d’un message parvenu à Mutations hier jeudi, 26 août 2010, en provenance de la cellule de communication de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac).
A l’appui de cette annonce, ce service de la banque centrale indique que pour
matérialiser la levée effective de la suspension décidée le 28 mai dernier par le Fmi, «l’institution de Bretton Woods a en effet procédé à la revue du programme économique de la République
centrafricaine qui est appuyé par la Facilité Elargie de Crédit (Fec), et approuvé un décaissement de 13.1 millions de dollars américains [soit environ 5,8 milliards de Fcfa]».
Et la cellule de communication de la Beac de poursuivre: «Cette décision du Conseil d'administration du Fmi […] est importante pour l'ensemble des pays de la Cemac. En effet, suite à une mission
de haut niveau de la Cemac auprès du directeur général du Fmi demandée par les chefs d'Etat à l'issue de leur sommet de Brazzaville les 6 et 7 juin 2010, cette décision […] est la résultante
immédiate de la bonne exécution à ce jour par la Beac du plan d'action arrêté d'un commun accord entre les deux institutions en décembre 2009». Un avis que ne partageait en tout cas pas le Fmi au
moment où, par correspondance datée du 28 mai 2010 et adressée à Albert Besse, le président du comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac); la directrice Afrique du Fmi,
la libérienne Antoinette Sayeh, faisait savoir aux autorités monétaires de la zone Cemac que le Fmi suspend ses décaissements en faveur des six Etats de la Cemac qui sont généralement effectués
via la Beac, à cause du «non respect par la Beac du plan de retour à la crédibilité conclu à la fin de décembre 2009 avec le Fmi».
Négociations
Cette institution reprochait par ailleurs à la Beac le manque de transparence dans la gestion, en dénonçant, par exemple,
«l’absence de justificatifs pour des opérations totalisant près de 5 milliards d’euros [environ… 3275 milliards de Fcfa], le déficit de contrôle par le siège de la Beac des opérations de change
engagées par les directions nationales». En tout cas, souligne la cellule de communication de la Beac, «la reprise des décaissements en faveur des pays de la Cemac ramène en tout état de cause la
sérénité dans les relations entre le Fmi et la Beac, en même temps qu'elle rassure la communauté internationale sur l'exécution du plan d'action ainsi que sur la pertinence des choix stratégiques
de la Beac pour restaurer sa crédibilité».
Plan d’action
Au demeurant, la nouvelle lune de miel décrétée par le Fmi dans ses rapports avec la Beac signifie-t-elle que la banque centrale des Etats de la Cemac est redevenue «un dépositaire sûr et crédible des réserves des pays membres de la Cemac» comme le souhaitait l’institution de Bretton Woods ; ou alors le Fmi a simplement plié face aux différentes démarches entreprises au plan diplomatique pour reconquérir la confiance de l’institution que dirige Dominique Strauss-Khan ? En effet, dès l’annonce de la suspension décidée par le Fmi, et eu égard aux conséquences induites sur des pays tels que le Congo et la République centrafricaine notamment (lire article ci-dessous), les dirigeants de la Beac ont non seulement pris un certain nombre de décisions visant à rassurer le Fmi, mais aussi entrepris des négociations directes avec cette institution financière internationale.
C’est ainsi qu’au sortir de la session du conseil d’administration de la Beac tenue à
Douala le 24 juin dernier, indique le communiqué final de ces assises, les membres ont convenu du «renforcement et de l’indépendance du contrôle interne» de la banque, «d’accélérer la mise en œuvre du plan d’action de la Beac, d’en améliorer le suivi» dans l’optique
«de permettre une reprise rapide des revues des programmes des Etats de la Cemac» avec le Fmi. Bien plus, le
comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac), réuni le 25 juin dans la capitale économique du Cameroun, après avoir «une nouvelle fois manifesté sa préoccupation devant
l’évolution des relations entre le Fmi et la Beac» ; avait arrêté la composition d’une délégation de la Cemac devant «se rendre prochainement à Washington pour rencontrer le directeur général du Fmi». Cette délégation n’est visiblement pas rentrée bredouille.
Le mal a déjà été fait
Avec la levée de la suspension des décaissements du Fmi en faveur des Etats de la
Cemac, les autorités congolaises ne peuvent se réjouir qu’à moitié. Parce qu’il y a, d’une part, retour à la normale dans les rapports avec le Fmi et, d’autre part, parce que les prévisions de
développement de ce pays vont connaître un retard certain du fait du gel des décaissements du Fmi. En effet, le pays de Sassou Nguesso va
difficilement atteindre cette année le taux de croissance économique de 13%, tel que projeté par la Beac en début d’année.
Et pour cause, pour réaliser les nombreux projets à caractère économique devant tirer la croissance du pays jusqu’à 13% en 2010, le gouvernement congolais comptait sur la constatation par le Fmi
des progrès réalisés dans son programme avec cette institution financière internationale. Ce constat devait se faire au terme de la revue dudit programme prévue au mois de mai dernier, mais qui
n’a pas pu avoir lieu à cause du coup de massue du Fmi du 28 mai 2010. Pourtant, cette revue, soutenaient les autorités congolaises, devait aboutir à des remises de dettes substantielles pour le
pays, et catalyser ainsi l’investissement public.
La République centrafricaine, autre victime de la suspension des décaissements du Fmi, est certainement mieux loti que le Congo. A peine la mesure de suspension levée, le pays de François Bozizé
a pu obtenir un prêt d’un peu plus de 5 milliards de Fcfa. Ce qui pourrait ne pas couvrir ses besoins au regard de l’agenda politique du pays. En effet, apprend-on, dans la perspective de
l’élection présidentielle, et avant même la décision du Fmi de suspendre ses décaissements en direction des pays de la Cemac, la République centrafricaine comptait sur un décaissement au Fmi de
plus de 10 milliards de Fcfa. C’est à dire seulement la moitié de ce que l’institution de Bretton Woods vient de lui octroyer.
Le retour de la collaboration entre le Fmi et la Beac est plutôt une bonne nouvelle pour les pays tels que le Cameroun, le Tchad et le Gabon.
Car, la suspension des décaissements restreignait la marge de manœuvre de ces pays qui, pour des besoins d’investissements, ne pouvaient pas solliciter des tirages au Fmi, dont les taux d’intérêts concessionnels sont jugés préférentiels par rapport à ceux servis par la Beac, par exemple. Après la lune de fiel de trois mois (juin-août) entre la Beac et le Fmi, et l’amorce d’une nouvelle lune de miel depuis quelques jours seulement, la voie est désormais ouverte pour des emprunts des pays de la Cemac auprès du Fmi.
Brice R. Mbodiam
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