International Crisis Group (Brussels)
24 Février 2011
Communiqué de presse
Le changement en République centrafricaine est une espèce fugace.
Les élections tant attendues, et désormais presque achevées, ne marqueront pas le début d’une nouvelle et brillante ère politique comme certains l’avaient espéré. Le président François Bozizé, ancien chef d’état-major des armées qui a pris le pouvoir par la force en 2003, devrait le conserver pour les cinq ans à venir. Il est donc temps de se pencher à nouveau sur les problèmes quotidiens et concrets de la Centrafrique, et sur les solutions qui pourraient leur être apportées.
Dans la région éloignée du Nord-est, des miliciens armés tirent profit de l’exploitation des diamants et dominent le populations alentours. Cela fera bientôt quatre ans que ces anciens rebelles, banalement prénommés l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), ont signé la paix avec Bozizé.
Ils avaient fini par réaliser, à l’époque, que leurs chances de s’emparer du pouvoir étaient quasi nulles, notamment en raison du soutien français aux troupes gouvernementales. Mais ils ont depuis lors refusé de rendre leurs armes : la vie en RCA s’avère être infiniment plus lucrative avec un AK-47 en bandoulière.
Sam Ouandja, près de la frontière avec le Soudan, est un village dont l’exploitation des diamants est l’unique raison d’être. En 2006, les rebelles en ont pris le contrôle et ne l’ont pas lâché depuis.
Quelques villageois vivent des subsides de leur ferme ou du commerce de produits achetés au Soudan, mais la plupart en sont venus à creuser dans l’espoir de mettre la main sur un joyau. Officiellement les miliciens de l’UFDR assurent leur sécurité. C’est vrai, ils n’hésitent pas à affronter les braconniers soudanais lourdement armés, et l’année dernière ils ont pourchassé un groupe de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) du sanguinaire Joseph Kony qui s’était aventuré sur leurs terres, tuant et kidnappant au passage. Mais les miliciens de l’UFDR ne sont pas des saints non plus, loin de là.
Exhibant leurs fusils comme moyen de persuasion, ils extorquent argent et diamants aux creuseurs et aux négociants, obligeant les mineurs qui ont mis la main sur un bon filon à leur céder la place. Après avoir pris le contrôle du site, ils paient leurs propres creuseurs, suffisamment pour les maintenir en vie, mais guère plus, et vendent les précieuses petites pierres à des acheteurs dans le village, empochant ainsi un coquet profit.
Les quelques négociants qui détiennent un permis envoient leurs diamants par avion à Bangui, d’où ils sont revendus en Belgique, Israël, ou à Dubaï. Mais d’autres diamants passent illégalement la frontière, direction Nyala au Darfour.
S’agit-il de diamants du sang ? Techniquement non. Le Processus de Kimberley est le club bien intentionné des pays (dont la RCA) producteurs et acheteurs de diamants, des diamantaires et des ONG qui œuvrent de concert pour s’assurer que le marché international du diamant soit « clean », qu’il n’absorbe pas des diamants dont la vente finance des conflits internes, comme au Liberia et en Sierra Leone dans les années 90. Le Processus de Kimberley définit les diamants de conflits comme ceux utilisés par des rebelles « pour financer les conflits qui visent à renverser des gouvernement légitimes ». L’UFDR ne revendique plus cet objectif. Ses diamants sont donc lavés de tout soupçon.
Mais l’UFDR n’a pas pour autant abandonné le maquis. Au contraire, le groupe est au centre de plusieurs interminables conflits interethniques.
A l’origine, déjà, la plupart des miliciens insatisfaits de l’UFDR appartenaient à la tribu Gula. Le temps passant, les Gula ont recruté de plus en plus des leurs, poussant les autres tribus dehors, chassant notamment les Runga des mines de diamants en 2008. Ces derniers ont donc formé leur propre milice, la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP). En 2009, le meurtre d’un garçon de l’ethnie Kara a déclenché des violences entre Gula et Kara qui firent 27 morts.
L’année dernière, des ministres ont invité les différents groupes ethniques du Nord-est à une cérémonie de réconciliation. Mais les peurs mutuelles et les suspicions sont profondes. Elles perdureront tant que l’UFDR pourra diriger les autres groupes du bout de son fusil et profiter illégalement des pierres de Sam Ouandja.
Pour que le Processus de Kimberley sauvegarde sa réputation et contribue à améliorer la vie des mineurs, il devrait se pencher de plus près sur le cas l’UFDR et la CPJP. La dernière est également accusée de banditisme dans les zones diamantifères de l’Est.
Il revient au gouvernement, cependant, de reconnaître la gravité de la situation. Il devrait agir au plus vite pour empêcher les rebelles d’écouler leurs diamants par les canaux légaux, formaliser les filières d’exploitation artisanales et s’assurer que les creuseurs gagnent un salaire décent dans des conditions dignes.
Les bailleurs ont aussi un rôle à jouer dans le renforcement des fragiles institutions de l’Etat. Les autorités minières ont désespérément besoin d’un soutien technique et financier afin de maximiser les recettes de l’Etat.
Maintenant que la fièvre des élections est presque retombée, il est temps pour les leaders politiques centrafricains de s’atteler aux vrais défis que sont l’insécurité chronique et la pauvreté écrasante. L’amélioration de la gouvernance du secteur minier constitue un jalon essentiel dans ce processus, afin de s’assurer que l’exploitation des diamants soit source de développement, non de violence.