Le Monde.fr | 05.01.2013 à 11h23 05.01.2013 à 18h30
Propos recueillis par Hélène Sallon
La crise en Centrafrique devrait être au cœur de pourparlers dans les prochains jours à Libreville sous l'égide de la Communauté des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), qui a annoncé l'arrivée dimanche 6 janvier au Gabon d'une délégation de la rébellion. Ces discussions avaient été proposées la semaine dernière par le président centrafricain François Bozizé, suite à une médiation du président de l'Union africaine, le président béninois Thomas Boni Yayi. Les rebelles du Séléka se trouvaient alors, après une offensive éclair, à seulement 160 kilomètres de la capitale, Bangui, protégée par un verrou de la Force multinationale d'Afrique Centrale (FOMAC), composée en grande partie d'unités tchadiennes rompues au combat. Certaines composantes de la rébellion ont toutefois démenties l'envoi d'une délégation à Libreville, à l'instar d'Eric Massi, le porte-parole de la Séléka, qui a affirmé vendredi ne pas être au courant de négociations imminentes et a réitéré l'opposition de la rébellion à toute négociation avec le président Bozizé.
Roland Marchal, politologue au Centre d'études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po) spécialiste de l'Afrique sub-saharienne, revient sur les incertitudes qui entourent la tenue de négociations à Libreville.
La rébellion semble divisée sur l'opportunité de discussions avec le président Bozizé à Libreville dimanche. Comment analyser les annonces et contre-annonces qui entourent la tenue de ces discussions ?
Les discussions de Libreville soulèvent de nombreuses questions. Une composante de la rébellion, la Convention patriotique pour le salut du Kodro (CPSK) de François Nelson Ndjadder, veut négocier. Les autres composantes sont plus ambiguës ou silencieuses. Il y a donc un problème de représentation au sein de la rébellion : il y a une représentation extérieure — dans laquelle on retrouve notamment son porte-parole Eric Massi et François Nelson Ndjadder — et des hommes qui, sur le terrain, ont d'autres priorités.
Se pose également le problème de légitimité d'un mouvement qui avait des ambitions limitées — conquérir le nord-est du pays et faire aboutir leurs revendications sur le programme DDR (Désarmement, Démobilisation et Réintégration) — et s'est retrouvé à la tête d'une entreprise militaire qui a rencontré des succès. Ils sont arrivés aux portes de Bangui sans avoir discuté entre eux de ce qu'ils voulaient.
Le deuxième problème pour la rébellion est la composition de la table de négociations à Libreville qui peut les mettre dans une situation minoritaire par rapport à d'autres partis politiques ou de nouveaux groupes dormants et diasporiques qui n'ont pris part à rien jusqu'à présent et sont invités aux négociations. Tout d'un coup, à l'annonce de négociations, beaucoup de nouvelles organisations sont apparues et des fronts armés qui menaient ici et là des petites actions se sont exprimés. On ne sait pas non plus qui va représenter la société civile, faiblement structurée.
Le président béninois a conclu un accord sympathique [donnant lieu à ces discussions] mais la difficulté est de savoir comment le mettre en musique. Il y a de nombreux choix à faire et on ne sait pas qui va les faire. Ni la CEEAC ni le président Bozizé ni les rebelles n'ont défini les critères de participation. La rébellion peut très bien se dire que c'est une usine à gaz et qu'elle ne veut pas être à Libreville. C'est une question de crédibilité pour elle.
Le président Bozizé a-t-il quant à lui un réel intérêt à négocier ?
Il y a un doute sur la volonté de Bangui de négocier. En voyant l'évolution de la situation sur le terrain, on peut penser que les négociations s'avèrent sans objectif. Au moment de la visite du président béninois, pour négocier un accord, le président Bozizé n'avait aucune assurance sur l'aide que lui apporteraient des contingents de la CEEAC. Il était seul avec son armée donc il a fait un compromis.
Mais, il y a eu un changement majeur avec l'arrivée de deux cents soldats sud-africains envoyés, avec du matériel, par le président Jacob Zuma, certainement en échange de contrats miniers importants. Cela signifie que le président centrafricain s'organise pour une contre-offensive. Ces soldats vont certainementaider à organiser l'armée centrafricaine pour attaquer les rebelles. Bozizé sait désormais qu'il peut aller aux négociations et mobiliser l'aide internationale, tout en préparant la contre-offensive. Il est en train de reprendre la main. On a pu voir ça à Bangui ces derniers jours avec la remobilisation et le contrôle des quartiers musulmans.
De leur côté, les rebelles doivent décider si ils attaqueront les premiers ou tenir le choc contre la première offensive du pouvoir. Il y a désormais des Centrafricains qui disent avoir vu les rebelles et avoir constaté qu'au final, ils ne sont pas si nombreux ni si fortement armés qu'on a pu le dire par le passé. La force de la Séléka a peut-être été un peu surévaluée. Si c'est le cas, dans une bataille frontale, les soldats sud-africains, bien que peu nombreux, pourront faire le ménage.
Le président Bozizé avait proposé la formation d'un gouvernement d'union nationale. Est-ce envisageable ? Comment expliquer par ailleurs sa décision de démettre son fils Jean-Francis Bozizé de ses fonctions de ministre délégué chargé de la défense, et de limoger le chef d'état-major ?
La proposition que le président Bozizé avait avancée de former un gouvernement d'union nationale a peu de chance de se concrétiser. Les gouvernements d'union nationale sont rarement une réussite. Par le passé, le président Bozizé a eu quelques difficultés à faire place à une plus grande indépendance de l'opposition, on peut imaginer qu'il change d'attitude mais c'est peu probable.
Il a limogé son fils, ministre délégué à la défense et le chef d'Etat-major pourmontrer qu'il prend acte des erreurs faites, notamment envers les officiers les plus professionnels de son armée. Mais, ce sont des changements symboliques, notamment en ce qui concerne son fils. La personnalité pressentie pour remplacer le chef d'Etat-major appartient à son cabinet personnel, ce ne serait donc pas une ouverture aux yeux de la population ni de l'armée professionnelle.
Comment peut évoluer la situation dans les prochains jours ?
On est dans une période de pause qui peut peut-être se prolonger un peu mais aucune des parties n'a intérêt à ce que cela dure trop longtemps. Pour les rebelles, plus le temps passe plus leurs fractures apparaissent. Le président Bozizé sait que si le conflit dure, sa faiblesse pourrait apparaître plus structurelle que conjoncturelle.
La question se pose de savoir ce que vont faire les forces de la CEEAC, notamment les Tchadiens et Congolais qui avaient assuré l'immunité au président Bozizé ? Il y a le risque pour eux que le président Bozizé reprenne la main sur la rébellion sans eux, avec l'aide de l'Afrique du sud. Quel est le rôle de la Force multinationale d'Afrique centrale (FOMAC) si elle n'est pas capable de geler le renforcement du pouvoir militaire à Bangui ? Quel est le rôle de l'Union africaine, dirigée par Nkozasana Dlamini-Zuma, la femme du président sud-africain, alors même que ce dernier envoie des troupes en Centrafrique ?
Comme dans tous les conflits, c'est la population qui va payer le prix le plus fort dans sa chair et par les pillages. On a pu observer un comportement très inquiétant et problématique des armées étrangères, avec des cas de viols notamment. L'Etat centrafricain doit rétablir l'autorité de l'armée. On peutcomprendre qu'il veuille contrôler les quartiers musulmans, jugés hostiles aupouvoir, mais il doit le faire dans les règles. Du côté des rebelles, il y a peu de témoignages civils dans les zones conquises car les rebelles coupent les bornes téléphoniques et téléphones satellitaires. Mais, certains témoignages font état d'une détérioration des relations entre les civils et les rebelles, qui pourraient s'être livrés à des pillages et des assassinats.
Propos recueillis par Hélène Sallon
Les rebelles prennent deux nouvelles villes avant les négociations
Les rebelles centrafricains de l'alliance Séléka ont pris deux nouvelles villes samedi 5 janvier alors que les préparatifs pour des négociations réunissant le pouvoir, la rébellion et l'opposition politique à Libreville la semaine prochaine s'accélèrent.
Alindao, une ville de 40 000 à 50 000 habitants, est située à une centaine de kilomètres au sud-est de Bambari, tandis que Kouango, ville plus petite, se trouve à une centaine de km au sud de Bambari, dans un cul-de-sac routier se terminant sur le fleuve Oubangui qui marque la frontière avec la République démocratique du Congo.
Il s'agit sans doute d'une démonstration de force du Séléka avant les négociations, l'intérêt stratégique de ces deux villes éloignées de Bangui semblant faible dans l'optique d'une éventuelle attaque de la capitale. (AFP)