La Centrafrique est à nouveau au cœur de l’actualité avec l’attaque jeudi 28 février de la localité de Sido par une faction de la coalition rebelle Séléka.
Ce que l’on observe ces derniers temps et que mon ami et frère Éric Néris-Massi tente maladroitement de justifier en parlant d’un « simple incident » nourrit néanmoins la plus grande inquiétude et compromet dangereusement les chances de la paix.
D’autant que l’observateur de la vie publique centrafricaine que je suis, à qui l’on prête, à tort ou à raison, une antipathie fondamentale à l’égard de François Bozizé et une bienveillante indulgence pour les rebelles, est donc obligé de constater que la rébellion a, en quelques mois seulement, dilapidé le préjugé favorable dont elle bénéficiait au départ. Sa conception assez étrange de la légalité républicaine et son incohérence étalée au grand jour montrent clairement qu’elle n’est ni capable ni digne d’exercer le pouvoir de l’État dans un pays aussi meurtri que la République Centrafricaine.
Que faire d’elle ? Quelle attitude adopter à son égard et à l’égard de ses innombrables et peu crédibles patrons, dont certains ne peuvent pas, objectivement, se réclamer de la Centrafrique parce que tous Tchadiens ?
En quoi le refus du président Bozizé et de ses partisans, dont le seul horizon est d’occuper le pouvoir et de s’y maintenir, d’appliquer intégralement les accords de Libreville constitue une faute et sert de prétexte à la poursuite des hostilités donnant ainsi une piètre image du pays ? Quel danger le Tchad de Deby Itno fait-il courir à l’ensemble de la sous région CÉMAC en laissant ses compatriotes déstabiliser ainsi impunément la Centrafrique ?
Il ne s’agit pas, pour moi, de stigmatiser une partie au conflit quelle qu’elle soit. Il ne s’agit pas d’une affaire de personne. Il n’est pas affaire d’étiquettes politiques, de rivalité de pouvoir. C’est bien plus profond. Cela touche aux piliers, si tenté qu’il en reste, de notre maison commune. À mes yeux, il s’agit d’une question de survie. C’est l’avenir même du pays qui est en jeu.
C’est pourquoi, cela semble d’ailleurs être un impératif, il nous faut répondre le plus clairement possible à ces questions que l’on se pose de plus en plus mais qu’on se refuse d’aborder, par couardise, simplement.
Je sais, et beaucoup seront d’accord avec moi, que les entreprises politiques ne valent que par les personnalités qui les portent. Sans ce leadership crédible pour la porter, peut-être même pour la concevoir, une telle entreprise, aussi structurante soit-elle, n’aurait aucune chance de réaliser les objectifs fixés.
Telle semble hélas être le cas de l’improbable coalition Séléka née d’un ressentiment, animée par l’envie de revanche, conduite par le désir de vengeance, s’installant ainsi malheureusement du côté des passions tristes et de la pulsion de mort. De sorte que, si elle avait pu s’emparer du pouvoir de l’État, elle aurait produit le despotisme le plus inédit. Elle se réclame de la justice, de la liberté, de la souveraineté populaire, de la citoyenneté, mais son motif véritable se trouve ailleurs : dans la haine recuite, dans l’animosité entretenue depuis de longs mois, dans la méchanceté ravageant ses entrailles. Sinon, pourquoi tant d’exactions, de destructions, de pillages systématiques ? Pourquoi refuser, comme le fait l’une de ses factions, d’intégrer le processus de paix formalisé par les accords de Libreville du 11 janvier dernier ?
À l’évidence, ses objectifs sont ailleurs ! Pour preuve, le chef auto-proclamé de cette faction de la Séléka qui refuse le processus de paix, de son patronyme Noureddine Adam, ne peut pas logiquement se réclamer de la République Centrafricaine ! Non pas à cause de son patronyme musulman, loin d’en faut. Mais pour la simple et bonne raison que l’appartenance à une communauté, à un pays, comme c’est ici le cas, est le résultat d’une construction à la fois intellectuelle et historique. L’immigration forcée ou choisie, l’asile politique, les raisons économiques et le mercenariat, ne sauraient enfanter une histoire commune encore moins attribuer la nationalité centrafricaine à ceux, comme Noureddine Adam ou Abakar Sabone, nés au Tchad, n’ont découvert le pays qu’en tant que mercenaires.
Ces messieurs ne sont pas plus Centrafricains aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier avant la descente aux enfers du pays. Mais ils ont retenu, tout simplement, que la rébellion pouvait leur servir d’instrument de conquête du pouvoir. D’ailleurs, il n’est pas étonnant de voir les Noureddine Adam continuer à semer la désolation parmi les populations centrafricaines quand on sait qu’un obscur Tchadien comme Abakar Sabone, aussi inconnu dans son propre pays que grand seigneur à Bangui, siège, affront des affronts, au gouvernement d’union nationale.
Car, en réalité, ce qui choque, ce n’est pas tant le fait que de sombres étrangers réussissent à intégrer le cénacle de la République – c’est pas la première fois que cela arrive – mais c’est le fait que de « vrais Centrafricains », ceux que l’histoire a fait enraciner le parcours sur le sol national, qui ont fait des études et qui ont un certain niveau d’instruction, se prêtent à ce jeu dangereux dans le seul but d’assouvir leurs intérêts égoïstes. À preuve, les Gazam Betty et autres, qui feignent aujourd’hui de découvrir l’existence des Noureddine Adam, affirmant se désolidariser d’eux, sont ceux-là même qui, hier, servaient de têtes de pont à ces mystiques sanguinaires, grands criminels contre l’humanité et, leurs doivent en grande partie, leur accession à la mangeoire.
Alors, que faire de ces gens ?
La réponse à cette interrogation découle du constat que je viens d’esquisser : ces hors la loi ne prospèrent qu’à la faveur des divisions qui minent la classe politique centrafricaine, de la méfiance réciproque qu’elle entretienne et, surtout, du manque patent de confiance entre l’Armée centrafricaine et son chef suprême, qui voit dans tout militaire ou presque, un potentiel putschiste. Pour neutraliser Noureddine Adam et ses complices, il suffit de les isoler en mettant en place un front républicain pour le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national (FSTN). Ce front devra être au dessus des querelles politiciennes et rassembler l’ensemble de ceux qui entendent empêcher la République Centrafricaine de sombrer dans le chaos. Ce front républicain se traduira par la mise en place du conseil national de sécurité, présidé par le Premier ministre sous la supervision du chef de l’État et regroupant des officiers centrafricains de valeur qui auront à charge de repenser l’ensemble de la stratégie de défense nationale. Cela pourrait être en soi un accomplissement qui fera date, si et seulement si, les Forces armées centrafricaines (FACA) reviennent au centre du jeu et soient considérées comme le pivot de la nouvelle stratégie. Dotés en matériel adéquat, les valeureux soldats centrafricains jusqu’ici tenus à l’écart et humiliés, auront à cœur de lavé l’insupportable affront qui pèse sur leurs consciences. J’en suis convaincu.
Il faudra aussi, et c’est essentiel, renforcer l’axe Bangui-Brazzaville : l’objectif ici est de sortir du face-face avec le Tchad qui joue à un jeu assez trouble. En effet, le Tchad se décrète facilitateur que par habilité tactique, pour continuer à jouer les gendarmes en Centrafrique. En fait, les responsables tchadiens n’ont guère évolué sur la question centrafricaine. Les accords de Libreville ne leurs servent que de cache-sexe puisque, nul n’a entendu le Tchad condamner les agissements de Noureddine Adam qui, pourtant officiellement, est en résidence surveillée à N’Djamena. Or, le Tchad a été prompt, en revanche, à exiger le départ des troupes non-communautaires du sol centrafricain. Et qui veut s’en donner la peine, relève aisément les visées expansionnistes de ce pays sur son voisin centrafricain. C’est d’ailleurs pour cela que le gouvernement d’union nationale devra convoquer l’ambassadeur du Tchad à Bangui pour exiger des explications ou dépêcher une délégation à N’Djamena afin de signifier les préoccupations des autorités centrafricaines au sujet de l’utilisation du territoire tchadien comme base-arrière d’où viennent les attaques contre le pays. Car, si la Centrafrique sombre dans le chaos, l’ensemble de la sous région sombrera inévitablement avec elle.
Quoi qu’il en soit, le président Bozizé, que l’ont doit prendre au mot tout en restant vigilants afin de donner une chance à la paix, et qui s’est engagé à ne pas se présenter à la présidentielle de 2016, devrait de son côté, se souvenir de l’erreur qu’il a faite en s’obstinant trop longtemps à considérer les questions sécuritaires du pays comme relevant de sa sphère privée, au lieu d’y consacrer une vraie réflexion nationale. Il a désormais la possibilité de faire amende honorable dans le cadre du gouvernement d’union nationale se gardant de toute querelle avec l’équipe gouvernementale. C’est de l’avenir de la Centrafrique qu’il s’agit.
Adrien POUSSOU