
Edito du Monde | 04.09.09 | 14h54 • Mis à jour le 04.09.09 | 14h54
Après
quarante-deux ans de règne de l'autocrate Omar Bongo, les Gabonais méritaient d'élire librement son successeur. L'annonce, jeudi 3 septembre, de la victoire de son fils Ali n'est une bonne
nouvelle ni pour eux ni pour la démocratie en Afrique.
Tout porte à croire que le score de 41,73 % attribué à M. Bongo junior ne reflète nullement le véritable verdict des urnes de cette élection à tour unique. Alors que, dans ce petit pays assis sur une nappe de pétrole, les résultats auraient normalement dû être connus dans la soirée de dimanche, jour du vote, il aura fallu trois longs jours de tractations entre les tendances du clan Bongo pour rendre public un score à la fois sans appel et considéré comme présentable.
De bout en bout, le processus électoral aura montré à quel point le Gabon reste marqué par les travers de l'ère Bongo. Médias publics accaparés par le "candidat Ali", disparité abyssale des moyens financiers, listes électorales gonflées, achat des voix : rien n'aura été négligé pour que rien ne change dans le système de captation des richesses du pays, qui, avec la bénédiction de la France, maintient les habitants de cet "émirat pétrolier" dans la misère depuis un demi-siècle.
Certes, les adversaires d'Ali Bongo, incapables de dépasser leurs querelles d'ego, de s'unir et de présenter une plateforme commune en faveur du développement, ont facilité l'avènement de ce qu'ils prétendaient combattre : une succession quasi monarchique, sous couvert de processus électoral. Certes, la démocratie ne peut surgir spontanément dans un pays qui ne l'a jamais connue, surtout après quatre décennies de système Bongo : celui-ci a perverti profondément le débat politique en pratiquant, à grande échelle et avec succès, l'achat des opposants, leur offrant postes, revenus et honneurs pour les soumettre et les faire taire. Malheureusement, l'intronisation de Bongo II et les proclamations simultanées de victoire de ses deux challengers confortent l'opinion répandue selon laquelle l'Afrique n'est pas mûre, voire pas faite, pour la démocratie.
La France, officiellement neutre, a oeuvré pour obtenir le résultat proclamé jeudi, au nom de la préservation de la stabilité. Une occasion de mettre en oeuvre les nouveaux rapports avec l'Afrique revendiqués par Nicolas Sarkozy a été manquée, et le régime gabonais, qui symbolise caricaturalement la "Françafrique", va donc perdurer. Pour combien de temps ?
Article paru dans l'édition du 05.09.09
Formé en France, Ali Bongo l’héritier, est "africain dans l'âme" selon un de ses proches
LE MONDE | 04.09.09 | 11h44
Libreville, envoyé spécial
Omar
Bongo s'était bien gardé de désigner publiquement un dauphin. Depuis des lustres, méthodiquement, il n'avait pourtant rien négligé pour que son
fils aîné, Ali, prenne sa suite.
Dans sa corbeille d'enfant gâté, l'héritier avait trouvé le poste de ministre des affaires étrangères alors qu'il n'avait pas atteint la trentaine.
Pour ses quarante ans, il avait reçu le très stratégique ministère de la défense, qu'il a conservé jusqu'à ces dernières semaines. Jeune quinquagénaire, il vient d'être élu président du Gabon.
Son père avait soigné les détails : un mandat de député dans le berceau paternel de Bongoville, un poste dirigeant au sein de l'ultradominant Parti démocratique gabonais (PDG). Sans oublier une rencontre avec Nicolas Sarkozy à l'Elysée, en décembre 2008, perçue comme un adoubement.
Lorsqu’Ali Bongo entame ce parcours rectiligne, il ne se prénomme pas Ali mais Alain, prénom qu'il abandonnera en se convertissant à l'islam, en même temps que son père, en 1973.
Né le 9 février 1959 à Brazzaville (Congo), il a hérité de sa mère, Patience Dabany, chanteuse de talent, un goût prononcé pour la musique. Formé entièrement en France – une école protestante à Alès, le collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, puis le droit à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) –, il esquisse une carrière musicale, enregistre quelques disques et acquiert une réputation de fêtard, avant de rentrer dans le rang en intégrant le cabinet de son père comme "représentant personnel".
PROCHE DE MOHAMMED VI
Avec son ami André Mba Obame, son rival à l'élection présidentielle, il fait partie des jeunes loups, les "rénovateurs" chargés par Omar Bongo de renouveler les cadres du PDG.
Attiré à la fois par le monde arabe – il est proche depuis longtemps du roi du Maroc Mohammed VI – et par les Etats-Unis – il a organisé le passage de Michael Jackson au Gabon –, Ali Bongo est présenté par l'un de ses proches comme "un personnage cultivé mais austère, de culture française mais africain dans l'âme".
Longtemps, nombre de Gabonais ont estimé que son manque de charisme, son ignorance des langues locales et son impopularité lui laisseraient peu de chance d'accéder à la magistrature suprême. La dispendieuse campagne électorale qu'il vient de mener – un budget de 90 millions d'euros est évoqué – a révélé un homme qui, derrière une image pataude, sait mener un meeting et répondre à ses adversaires.
L'avenir dira si la population gabonaise, en pleine paupérisation, parviendra à s'identifier à un homme qui, d'après l'enquête sur les "biens mal acquis" menée par la police française en 2008, possède un appartement avenue Foch, à Paris, et deux Ferrari.
Peu avare de promesses, il a juré, pendant la campagne présidentielle, de "mettre fin définitivement au règne de l'impunité, du laxisme, du laisser-aller, de la paresse, des magouilles, des combines" et de construire "un Gabon où les fruits de nos richesses communes sont partagés entre tous équitablement".
Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 05.09.09