
«En Afrique on n'organise pas une élection pour la perdre», dit-on à Libreville.
jeudi 3 septembre 2009
Quatre jours après la fermeture des bureaux de vote, le président de la Commission électorale a annoncé la
victoire d'Ali Bongo. Le temps où les présidents gabonais se
faisaient élire avec des scores soviétiques est bel et bien révolu, mais au final, le résultat reste le même: c'est toujours un Bongo qui est élu.
A la mort du patriarche, en juin 2009 dans un hôpital de Barcelone au pouvoir depuis 41 ans, beaucoup s'étaient
empressés d'enterrer la Françafrique dont Omar Bongo était devenu un symbole, sinon «le
symbole». Trois mois plus tard, le défunt ne se porte pas si mal. Nombre d'Africains considèrent même cette élection comme son triomphe.
«Sous le parapluie de la Françafrique», titre ainsi l'action républicaine de Parakou. Ce quotidien béninois n'est guère surpris: « Les Africains dans leur immense majorité ne se faisaient
pas trop d'illusions sur l'issue qui paraissait évidente, à savoir la victoire d'Ali Bongo. A la notable exception des démocrates gabonais et autres rêveurs d'une autre époque qui croyaient dur
comme fer en un véritable changement après la mort de Bongo.»
Si, fatalistes, à Libreville comme ailleurs, on persiste à répéter qu'«en Afrique on n'organise pas une
élection pour la perdre», la victoire d'Ali Bongo paraît d'autant plus étonnante qu'il est détesté par un grand nombre de Gabonais. Ministre de la défense de son père pendant dix ans, il
est devenu un symbole des errances du régime. Un régime qui aurait pu développer des infrastructures et qui est accusé d'avoir surtout enrichi ses comptes en banque.
Baby Zeus
Selon Paul Mba Abessole, ex Premier ministre, «la moitié du budget national est détournée».
«La spirale est encore implacable dans bien des régimes, poursuit le journal du jeudi: le pouvoir est synonyme d'accès aux richesses et les richesses sont synonymes d'accès au pouvoir. Le
Gabon, qui ne manque pas de sous-sols monnayables, a été généreux avec la famille Bongo que des organisations non gouvernementales internationales accusent de posséder tant de «biens mal acquis».
Le sigle du parti majoritaire, P.D.G., pouvait-il ne pas suggérer que l'exercice du pouvoir est aussi un business privé?».
Ali Bongo, surnommé «baby Zeus» est un piètre orateur. Il ne soulève pas l'enthousiasme des foules. Tout au long
de sa carrière, il a eu très peu de contacts avec les populations. Il est par ailleurs considéré par beaucoup comme trop occidentalisé. «Il ne parle aucune langue africaine. Même pas celle
de sa propre ethnie», s'emporte Alain, un juriste, qui s'exprime sous couvert d'anonymat, comme beaucoup de Gabonais et ne parle jamais politique au téléphone. Il est persuadé d'être sur
écoute, comme nombre de ses compatriotes influents. Drôle de démocratie... Même les journalistes locaux ont très souvent peur de parler.
A quelques jours de la mort d'Omar Bongo, une reporter de Libreville m'avait fait cette réponse étonnante à la
question: «Comment se porte votre Président?». «Ah bon, il est malade? Je n'en ai jamais entendu parler». «Beaucoup se méfient de Bongo parce qu'ils pensent
que ce n'est pas un vrai Gabonais, qu'il est d'origine biafraise. Et les Fangs, ethnie principale, ont voté pour des candidats de leur ethnie. Je ne comprends pas comment Ali Bongo a pu remporter
cette élection», m'affirme un journaliste sénégalais, qui revient du Gabon. Mais demande, lui aussi, à ne pas être cité: «Sinon, la prochaine fois, je n'aurai pas de
visa». Au Gabon, l'obtention des visas des journalistes est souvent une affaire d'Etat, étudiée au plus haut niveau.
«Les Français pourraient payer les pots cassés»
Officiellement la France ne soutenait pas de candidat. «Mais son appui à Ali Bongo est un secret de
polichinelle, explique un diplomate occidental. La famille Bongo, les Français la connaissent. Ils savent qu'ils peuvent travailler avec elle. D'autre part, cette famille détient beaucoup de
secrets sur la France, notamment sur le financement de la vie politique. Des secrets qui ne doivent pas tomber entre toutes les mains».
La France est toujours le principal partenaire économique du Gabon. Plus de 10.000 de ses ressortissants vivent
dans ce pays. Elle contrôle près de 30% de l'économie gabonaise. Libreville reste une des places fortes de la France sur le continent et la base militaire française - 800 hommes - est l'une des
plus importantes d'Afrique. «Les Français contrôlent encore la vie politique gabonaise, affirme l'écrivain Marcus Boni Teiga. Mais ce n'est pas à eux de mettre fin à la Françafrique, ils
n'y ont aucun intérêt. C'est aux Gabonais eux-mêmes de se battre pour obtenir leur indépendance. Seuls les Africains eux-mêmes ont le devoir de décapiter la Françafrique et de réaliser une
véritable indépendance économique et politique».
Mais cette victoire de la Françafrique est des plus fragiles. «On ne se laissera pas manipuler une fois de plus.
Nous allons descendre dans la rue et défendre nos droits. Et les Français, considérés comme complices, pourraient payer les pots cassés», s'emporte Joseph, un universitaire gabonais. Ali Bongo va
goûter au pouvoir absolu de la Présidence. Mais il n'est pas prêt d'égaler le record de longévité de son père et de savourer l'automne des patriarches. Car la rue n'a pas fini de faire entendre
sa voix...
Pierre Malet