
Dernières Nouvelles d’Alsace Édition du Jeu 11 juin 2009
Plusieurs radios de Centrafrique ouvrent leur antenne aux citoyens qui peuvent ainsi dénoncer abus ou injustices. Des accusations souvent utiles, mais parfois dangereuses quand elles sont mensongères.
Bangui.- Correspondance Syfia Centrafrique
Les locaux de la radio Ndékè-Luka à Bangui, en Centrafrique, grouillent de monde. Ali Silas,
animateur de l'émission Lissoro (causerie, en langue locale), reçoit un à un des auditeurs
mécontents.
« Je suis ici pour dénoncer le comportement de mon ex-époux. Il a brûlé le ventre de notre fille de
douze ans, qu'il accusait d'avoir volé mille francs CFA (1,5 euro) », sanglote Angèle, assise sur le banc réservé aux visiteurs.
A côté d'elle, François dit sa reconnaissance. « Le reportage a mis fin aux agressions verbales dont j'étais victime » : ses voisins ont cessé de l'invectiver après avoir entendu les réactions indignées des auditeurs.
Georges espère que la diffusion de son témoignage alertera l'opinion sur le cas
d'une fille qui a été bastonnée par des hommes en treillis à Boy-rabé (un quartier de la capitale).
De nombreuses radios de Centrafrique donnent ainsi la parole à des auditeurs qui dénoncent, parfois en direct, des détournements d'argent public, des sévices infligés à des enfants, des
tracasseries. En principe, les journalistes vont sur le terrain pour vérifier les faits, les recouper, interroger les parties en présence. Cette liberté d'expression était inimaginable il y a
quatre ans, quand le pays était encore la proie de rébellions.
Ces émissions ont souvent des effets immédiats. Un militaire a libéré la jeune
fille qu'il séquestrait. Une mère et ses cinq enfants ont pu regagner la maison que le père avait vendue en douce et dont ils avaient été expulsés (le ministère des Affaires sociales a annulé la
vente).
Il arrive que des personnalités mises en cause s'en prennent à la radio. Des militaires ayant commis des bavures et dont le nom avait été cité à l'antenne ont tenté de s'en prendre à des
journalistes pour les intimider.
Ces mises sur la place publique des litiges ont souvent des issues plus rapides que la procédure judiciaire, qui suppose aussi de l'argent. Au Parquet de Bangui, l'introduction d'une plainte est subordonnée au versement de 2 000 francs CFA (3 euros). Et plusieurs mois passent avant le procès.
La tentation de régler ses comptes en public
Ces émissions passionnées ne vont pas sans dérives. Jules Bossolo, expert en communication, souligne que « le public peut être tenté de transformer ces radios en arène pour régler des comptes ». Les journalistes doivent rappeler à l'ordre les auditeurs qui se laissent emporter par leur querelle. « Il nous arrive de déceler de faux témoignages. Des auditeurs tentent de se servir de nous pour créer des problèmes à leurs ennemis ou leurs rivaux », regrette le journaliste Magloire Issa.
Mais Léonie Tomandji, fonctionnaire au ministère des Affaires sociales, se félicite de la collaboration avec
Ndékè-Luka qui a permis de venir en aide à des enfants abandonnés.
Jules Yanganda