Outre les classes politiques du Gabon son pays, de plusieurs pays d’Afrique son continent, de la France qui l’a placé en orbite et pour laquelle il a tant fait, la classe politique centrafricaine
à travers la plupart de ses leaders, Omar Bongo Ondimba laisse également orpheline, la presque totalité des responsables politiques centrafricains, si habitués à faire recours à lui pour un oui
ou un non, que ce soit ceux qui sont au pouvoir à Bangui que leurs opposants. L’exemple qui donne la mesure de cette situation qui, il faut vraiment l’espérer, doit prendre fin avec la
disparition de feu le président du Gabon, est le témoignage rendu sur radio France Internationale par l’ancien premier ministre de Ange Félix
Patassé, Jean-Paul Ngoupandé et actuellement conseiller spécial de Bozizé, qui a fait état des interventions de Bongo qu’il ne manquait de solliciter chaque fois qu’on l’empêchait de quitter ou
regagner Bangui. Le président d’un pays étranger transformé en garant de la liberté d’aller et venir des citoyens d’un autre pays sur le propre sol, voilà la ridicule situation à laquelle on
était parvenu avec Bongo. Certains fils de Centrafrique étaient malheureusement contraints par la bêtise d’autres compatriotes de lui faire jouer ce rôle qu’il acceptait volontiers quand bien
même cela lui faisait de la peine. Il a fini malgré lui, par accepter le renversement par Bozizé en 2003 de Patassé parce qu’il trouvait qu’il était très têtu et n’a point respecté les conseils
qu’il n’avait de cesse de lui prodiguer. Ses habitués lui prêtent d’avoir dit que Bozizé était encore plus sourd que Patassé. C’est à désespérer de ces deux personnages dont le premier a déjà
perdu le pouvoir et pour le second, cela finira bien par arriver un jour ou l’autre.
A la veille de la mascarade électorale de 2005, Bozizé avait artificiellement crée un blocage politique en faisant recaler pour des prétextes fallacieux par la cour constitutionnelle certains candidats à la présidentielle. Il a fallu l’énergique intervention de Bongo sollicitée comme par hasard par ceux-là mêmes comme Charles Massi qui étaient familiers de sa générosité financière, pour que presque toute la classe politique, tous les candidats à la présidentielle, les confessions religieuses et la société civile, puissent se retrouver à Libreville afin de trouver une solution au problème des candidatures recalées. De substantielles enveloppes avaient été distribuées notamment aux différents candidats aux élections présidentielles reparties de Libreville large sourire aux lèvres. Par dessus le marché, c’est aussi un aéronef du Gabon qui était venu chercher à Bangui tout ce beau monde et les y ramener ensuite.
Omar Bongo, il est vrai, se sentait aussi centrafricain donc particulièrement concerné par les conflits politico-militaires récurrents de ce pays ces dernières années. Il a fini par être désigné par ses pairs de la sous-région, médiateur chargé des questions centrafricaines dans l’espace CEMAC. C’est ainsi qu’il avait piloté des mois durant en 2008, les discussions de Libreville entre le gouvernement Bozizé et les chefs de certains mouvements rebelles qui ont abouti à la signature d’un accord global de paix, préalable à la tenue du dialogue politique inclusif du mois de décembre 2008. Même si beaucoup reste à dire sur l’efficacité de la méthode de règlement du conflit centrafricain utilisée par Bongo qui était très relative, l’investissement personnel de l’individu et de l’Etat étaient réels et loin d’être négligeables. Bozizé et certains de ses ministres comme Cyriaque Gonda qui a largement profité des fonds mis à sa disposition pour le dialogue, doivent quant à eux, détenir le record toutes catégories des allers-retours Bangui-Libreville. Ils avaient abusé de la générosité et de l’hospitalité de Bongo et donc doivent maintenant chercher un autre parrain et tuteur. Bozizé s’était même permis de déclarer dans son allocution lors de l’ouverture du dialogue politique inclusif en décembre 2008 , manquant totalement d’imagination pour illustrer le dévouement et l’abnégation d’Omar Bongo à la cause centrafricaine, que même en pyjama, il prenait toujours le téléphone s’il s’agissait d’un appel venant de Bangui.
L’amour de Bongo pour certains Centrafricains était réel. On se souviendra aussi par exemple que récemment encore, alors qu’on avait annoncé la suspension officielle de ses activités pour faire le deuil de sa défunte épouse et prendre un peu de repos, de son lit de l’hôpital catalan de Barcelone, il n’a pu s’empêcher d’adresser une lettre de condoléances au président Bozizé et aux Centrafricains lorsqu’il a appris la mort du Pr Abel Goumba. Il avait pour ce dernier une affection particulière qui remonte dit-on à Léon Mba, son prédécesseur et premier président du Gabon dont l’épouse était Centrafricaine, originaire de la même préfecture que Goumba de la Ouaka. Le sort du Pr Goumba a toujours été sa préoccupation constante. Il ne manquait de le recevoir chaque fois qu’il se rendait à Bangui ou le faisait venir souvent à Libreville. Après le brutal limogeage du Pr Goumba de la primature par Bozizé, c’est Bongo qui a imposé à celui-ci de faire occuper par le Pr, les fonctions honorifiques de vice-président de la République. Bongo rejoint Goumba dans l’au-delà un mois à peine seulement après la mort de ce dernier.
Les anciens présidents David Dacko, André Kolingba et Ange Félix Patassé, étaient aussi les heureux bénéficiaires de la générosité légendaire d’Omar Bongo. Avant de se déclarer candidat à la présidentielle de 2005, André Kolingba s’était préalablement assuré du soutien financier d’Omar Bongo qui l’avait comme par hasard reçu en audience à l’hôtel Meurice à Paris. A l’issue de la conférence de réconciliation nationale en 1997, Omar Bongo avait par exemple dépêché deux émissaires à Bangui pour remettre une enveloppe au président Dacko. Mais sans aucun doute, c’est surtout à Ange Félix Patassé que doit revenir la palme d’or de ceux qui avaient profité le plus des largesses du défunt président gabonais. En accédant à la magistrature suprême en octobre 1993, Patassé a été gratifié par Omar Bongo d’une coquette villa qui fut la résidence à Bangui de l’ambassadeur du Gabon ainsi que d’une somptueuse limousine américaine de marque Lincoln. C’est dans cette villa qu’a habité Patassé (André Kolingba son prédécesseur ayant laissé la résidence du camp de Roux dans un état inhabitable) jusqu’à son renversement par Bozizé le 15 mars 2003. Ayant passé un peu plus de neuf ans au pouvoir sans disposer d’un aéronef, c’est souvent dans des avions généreusement mis à sa disposition par Omar Bongo que Patassé a eu à effectuer la plupart de ses déplacements hors de son pays, même après le coup d’Etat qui l’a renversé. Faut-il rappeler que c’est encore à bord d’un avion dépêché par Bongo qu’il s’était rendu à Bangui pour participer au dialogue politique inclusif de décembre 2008 et ensuite retourner à Lomé son lieu d’exil. Bongo était resté attentif aux conditions d’exil de Patassé et sa famille au Togo en se manifestant par des soutiens multiformes notamment lorsque Patassé avait perdu son épouse en décembre 2007.
La classe politique centrafricaine, tellement habituée au lien quasi ombilical avec Bongo, doit dorénavant apprendre à se passer de lui en se prenant maintenant en charge et en mains pour assumer ses responsabilités, ses faiblesses, ses erreurs et ses fautes. Elle doit aussi en finir avec cette infantile propension à s’en remettre systématiquement et automatiquement à Omar Bongo pour trancher toutes les questions, y compris les plus futiles, qui se posaient à elle. Il est temps pour elle de grandir pour atteindre la maturité et s’assumer. Maintenant, la donne principale a changé. De ce point de vue, la disparition d’Omar Bongo, même si elle laisse réellement orpheline la classe politique centrafricaine - qui aura sans doute beaucoup de mal à s’en remettre - pourra lui rendre beaucoup service si elle sait en tirer profit pour faire preuve d’imagination en toute circonstance en comptant d’abord sur ses propres forces. Gageons que d’ici là, un Bongo bis ne fasse son apparition en Afrique centrale pour qu’on assiste encore à une fâcheuse récidive.