LE MONDE | 09.06.09 | 14h54 Edito du Monde
Avec le décès du président gabonais Omar Bongo, annoncé officiellement lundi 8 juin, c'est un chef d'Etat à la longévité politique exceptionnelle qui disparaît. Fils de cultivateur, il était
arrivé au pouvoir alors que le général de Gaulle se trouvait encore à l'Elysée. Il aura su s'y maintenir pendant plus de quarante ans, ce qui en fit le chef d'Etat en exercice le plus ancien, en
usant d'un clientélisme dont il avait fait, dans son pays, un mode de gouvernement et, à l'extérieur, un instrument d'influence.
Le clientélisme, il en a d'abord appliqué la recette chez lui. A la tête d'un pays très faiblement peuplé mais riche de ressources pétrolières, ce qui lui valut d'être surnommé à juste titre le
Koweït de l'Afrique, Omar Bongo n'a pas hésité à détourner la manne pétrolière pour acheter ses adversaires politiques. Tous ou presque ont fini par rentrer dans le rang, faisant des scrutins
électoraux organisés après la disparition du parti unique au début des années 1990 une vaste comédie. En contrepartie, le Gabon n'a pas connu de coup d'Etat.
Sur le continent africain aussi, le président Bongo a usé du clientélisme. Devenu, depuis la disparition du président ivoirien Houphouët-Boigny, le "vieux sage" que l'on venait consulter, il a
été le juge de paix, l'arbitre dont ses pairs sollicitaient l'avis lorsqu'une guerre civile menaçait ou qu'un putsch éclatait en Afrique francophone. Grâce à son aura, et encore plus grâce à
l'argent du pétrole qu'il n'hésitait pas à distribuer pour acheter les uns et apaiser les autres, des conflits ont été évités ou circonscrits, notamment en Côte d'Ivoire.
Mais c'est en France que le système Bongo a été le plus flamboyant. Le chef de l'Etat disparu incarnait la "Françafrique", cette mécanique complexe où s'entremêlent raison d'Etat et intérêts
commerciaux, connivences politiques et lobbies en tout genre. Que Nicolas Sarkozy, si sévère pendant la campagne présidentielle lorsqu'il s'agissait de dénoncer les compromissions africaines de
son prédécesseur, ait choisi, une fois élu, le Gabon, après le Sénégal, pour son premier déplacement sur le continent noir en dit long sur le réseau tissé par Omar Bongo au fil des décennies. Le
président gabonais disparu, la "Françafrique" va-t-elle lui survivre ? Le simple fait qu'Omar Bongo ait été hospitalisé en Espagne et non en France, où il était l'objet d'une plainte - comme
d'autres chefs d'Etat du continent noir - pour avoir, toujours et dans des proportions massives, confondu les caisses de l'Etat et ses biens propres, prouve qu'une page de l'histoire de la
"Françafrique" vient d'être tournée.