Les prêtres diocésains de Centrafrique se sont mis en grève suite à la démission d’un évêque. En jeu : le sentiment d’être mal considérés par leur hiérarchie, et une rivalité avec les
missionnaires.
par Jérôme Anciberro TEMOIGNGE CHRETIEN
Le mode d’action est original, voire inédit. Des prêtres diocésains centrafricains ont lancé le 27 mai une grève des messes publiques et des sacrements au lendemain de l’annonce officielle de la démission de Mgr Paulin Podomino, l’archevêque de Bangui, et de la nomination par le Vatican d’un administrateur apostolique pour assurer l’intérim. Un arrêt de « travail » de courte durée : la consigne a été levée dès le lendemain. Si l’on en croit leurs déclarations, les prêtres frondeurs n’ont rien à reprocher au Père Dieudonné Nzapalainga, le nouvel administrateur apostolique (spiritain), si ce n’est que sa nomination aurait eu lieu sans que le clergé centrafricain ne soit consulté.
Crise profonde
Cette fronde d’une partie du clergé n’est que le signe d’une crise
profonde que traverse l’Église catholique centrafricaine depuis plusieurs années et qui s’est aggravée ces derniers mois. La question des mœurs de certains prêtres est au centre de la polémique.
Au mois de janvier, un visiteur apostolique envoyé par Rome, Mgr Robert Sarah, secrétaire de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples,
est venu se rendre compte de la situation. Apparemment, cette visite a lancé une sorte de grand ménage, coordonné par le nonce apostolique auprès de la République centrafricaine, Mgr Thaddeus Okolo. Selon une image volontiers utilisée localement, un grand vent est en train de souffler. Dans le collimateur romain : tous les prêtres
soupçonnés de contrevenir à leur vœux de célibat et, plus largement, de ne pas satisfaire aux exigences morales de leur sacerdoce, notamment en matière d’argent.
Si les prêtres protestataires ne nient pas que ces questions puissent « déranger la vie de
l’Église » et qu’il faille y « mettre un peu d’ordre », selon les mots d’un
acteur du conflit interrogé par TC, ils se montrent surtout très agacés par ce qu’ils considèrent comme une obsession romaine, alimentée par des dénonciations peu scrupuleuses. « Nous sommes fatigués de ces campagnes de dénigrements basées uniquement sur le célibat consacré. Il y a pire sous
d’autres cieux », écrivent-ils dans une lettre véhémente adressée au nonce apostolique et datée du 14 avril. « De grâce, parlez-nous aussi de la pastorale et de la catéchèse avec la même ardeur. » Lors d’une rencontre entre le nonce et le clergé local,
le 27 avril à Bangui, un prêtre appelait à ne pas confondre la « correction fraternelle »
et « l’humiliation fraternelle ». Le Père G., un Centrafricain résidant en France et qui
soutient ses collègues tout en appelant au calme, va plus loin : « On se permet tout avec les Africains, qui
sont considérés comme de grands enfants par une bonne partie des missionnaires et de l’épiscopat. Du coup, n’importe quelle dénonciation est prise au sérieux. » Aux accusations des
uns répondent les contre-accusations des autres. Des listes circulent. L’ambiance est évidemment détestable.
Complexe de supériorité
Sur les neuf évêques en poste en Centrafrique, trois seulement sont centrafricains. Les six autres sont étrangers… et blancs. « L’Église est universelle », poursuit le Père G. « Que les évêques soient Blancs ou Noirs, cela devrait n’avoir aucune importance. Mais notre Église a plus d’un siècle, le nombre de prêtres centrafricains augmente et cela ne change pratiquement rien : les leviers de contrôle sont entre les mains des missionnaires. On ne fait pas confiance aux Centrafricains, c’est évident. » D’autres évoquent « un complexe de supériorité spirituelle » des missionnaires face aux prêtres diocésains. Une expression revient dans les lettres et les textes qui circulent en Centrafrique et dans la diaspora : « néocolonialisme ecclésial ». Un prêtre spiritain (donc missionnaire) centrafricain, qui exerce lui aussi son sacerdoce en France, réplique que l’expérience missionnaire est parfois indispensable : « Certains diocèses sont récents, comme celui d’Alindao (créé en 2004). On ne peut pas nommer d’emblée un prêtre diocésain local sur un tel poste. Parfois, la jalousie entre aussi en jeu. Du coup, on choisit la solution de facilité : on nomme un Européen. Rien n’est simple. » Pour autant, concède notre interlocuteur, le déséquilibre est bien plus marqué en Centrafrique que dans les pays voisins.
La situation matérielle précaire d’une bonne part du clergé local rend encore plus délicate la situation. « Le clergé diocésain ne bénéficie pas du soutien des congrégations religieuses dans la même mesure que les missionnaires », explique le Père G.
« Des programmes et des financements sont supprimés ou réduits sous prétexte que de l’argent serait détourné
par les prêtres pour entretenir leurs familles. Les intentions de messe et l’argent qui va avec diminuent. Les prêtres exercent leur sacerdoce dans des conditions déplorables. Au moindre faux
pas, on oublie tout ce qu’ils font de bien. »