Les cartes sont-elles jouées ?
Il ne serait plus superflu aujourd’hui d’affirmer que dans le paysage structurel des corridors de transit en Afrique Centrale, les choses ne seront plus comme avant. Car, les nouvelles
cartes se dessinent, les jeux de rôle et les enjeux stratégiques se précisent. En effet, les pays de la sous région qui disposent d’une façade maritime et qui cherchent à la
revaloriser, se repositionnent fortement sur l’échiquier international et dans le processus global de redynamisation du transport maritime dans la sous région. C’est ce qui semble allègrement se
justifier par l’implantation et la mise en place d’importants projets d’infrastructures de transport et la construction des ports modernes offrant de grandes capacités d’accueil dans cette partie
du continent.
Quelle émulation dans le développement de ce sous secteur !!! Mais pour quel impact dans les économies de la sous région ? Car, s’il est vrai que ces importants investissements vont
permettre à l’Afrique Centrale de présenter un nouveau visage au monde, il est peut-être aussi utile de se poser la question de savoir à qui profitera véritablement au bout du compte ce
volume considérable de capitaux investis. Cette question doit être prise en compte en permanence dans le processus de prise de décision des nations impliquées dans cette mouvance surtout en cette
période cruciale marquée particulièrement par la crise économique et financière afin que, des mesures d’accompagnement indispensables puissent être prises dans le cadre de l’amélioration du
climat des affaires et la facilitation des échanges. Dans tous les cas, il va fatalement se passer une nouvelle redistribution des cartes et un nouveau repositionnement stratégique dans la
sous région. Désormais, de nouveaux axes compétitifs de transit vont se réactiver et faire apparaître de nouveaux enjeux dans l’environnement et l’évolution des
corridors.
L’on peut même, sans fausse modestie, confirmer que la course au leadership dans
le sous secteur maritime et portuaire est désormais lancée dans la cuvette du Golfe de Guinée. La géographie des échanges se reprécise et chaque Etat va se repositionner face aux enjeux et aux
exigences de la mondialisation. C’est ainsi qu’au cours des prochaines décennies, une nouvelle cartographie des mouvements et des flux des marchandises va automatiquement se tisser ainsi que de
nouveaux rôles dans le processus de développement des corridors de transit.
En effet, si depuis des années, l’on a pu constater que le Cameroun à travers
ses espaces portuaires de Kribi et de Douala, est toujours apparu comme un grand pays de transit, ce qui s’est matérialisé et fortement prouvé non seulement par la mise en œuvre du projet
Pipeline Tchad-Cameroun mais aussi par les corridors Douala-Ndjamena et Douala-Bangui ou corridors de la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), il n’en demeure pas moins
aujourd’hui que, face aux contraintes du monde moderne, aux profondes mutations observées dans le transport maritime et aux exigences de compétitivité, l’offre et la demande dans ce mode de
transport obéissent plus que jamais aux besoins d’efficacité et de rentabilité. Ainsi, cette rente naturelle considérée autrefois par le Cameroun comme un acquis indéniable et indiscutable,
devrait faire face à une nouvelle concurrence inattendue qu’il devra désormais intégrer dans ses choix stratégiques de développement. A ce titre, cette nouvelle donne interpelle au plus
haut point les autorités en charge de la planification des transports et de la gestion des corridors à plus d’ingéniosité et de créativité pour faire face à la nouvelle évolution qui
s’annonce.
En effet, bien que considérés comme les seuls axes incontournables et
indispensables pour les flux et les mouvements des marchandises en partance et en provenance du Tchad et de la RCA, les corridors CEMAC n’ont pas toujours offert des conditions de transport et de
fluidité idoines, capables d’asseoir non seulement leur crédibilité mais aussi leur efficacité. Malgré la reforme portuaire engagée au Cameroun, qui s’est particulièrement appesantie sur la
réduction des coûts et des délais de passage portuaire, il est regrettable de constater que, globalement, ces corridors, offrent toujours les coûts de transport les plus élevés d’Afrique et par
conséquent, restent les moins compétitifs du continent. Les raisons d’un tel dysfonctionnement sont multiples. L’on peut citer entre autres, le mauvais état des infrastructures et équipements de
transport, la multiplicité des intervenants dans le circuit de prise en charge des marchandises, les multiples barrières physiques et non physiques, les mauvaises conditions de transport des
marchandises etc. Ce qui nécessite une fois de plus, une importante réflexion en profondeur afin de lever tous ces obstacles.
Une telle situation ne saurait favoriser le développement des affaires dans un pays comme le Cameroun qui dispose d’un potentiel énorme et des capacités nécessaires pour se maintenir au
peloton de tête tout en demeurant un grand pays de transit de cette sous région. En effet, s’il faut continuer à attirer les investisseurs dans le pays et asseoir une croissance durable et
équilibrée, il faut pouvoir réguler les mouvements des échanges et mettre en place un cadre approprié capable d’assurer la transparence et garantir un coût d’opportunité minimum acceptable aux
détenteurs des capitaux flottants en quête de projets. Car, au-delà des contraintes d’efficacité et de rentabilité, les investisseurs cherchent aussi un terrain propice et favorable pour le
développement de leurs activités. Ce qui semble peut-être bien expliquer le choix stratégique du Groupe Bolloré aujourd’hui « Africa Logistics » pour l’exploitation et la modernisation du Port en
eau profonde de Pointe Noire au Congo.
Au-delà de ces raisons non négligeables, l’on peut, à première vue, toujours s’interroger et se demander ce qui a bien pu motiver le choix de ce port dans le Golfe de Guinée alors que le Congo représente le quart de la population du Cameroun et par conséquent un marché assez réduit. Mais, pour bien comprendre les enjeux, il suffit de constater que d’importants projets d’infrastructures vont se réaliser au Congo. Non seulement la liaison terrestre Pointe Noire-Brazzaville est en cours d’achèvement mais aussi, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) vient de confirmer la construction d’un pont rail-route sur le fleuve Congo. Ouvrage qui a été autrefois longuement combattu et dont l’absence atteste bien pourquoi les liaisons entre les deux villes se font jusqu’à ce jour principalement par voie d’eau d’une rive à l’autre dans des conditions très peu sécurisées.
En tout état de cause, avec la réalisation de cet ouvrage, le projet du Groupe
Bolloré trouve toute sa raison d’être. Car, ce port permettra de desservir non seulement le Congo mais aussi la République Démocratique du Congo (RDC). Par ailleurs, une fois le pont lancé, le
corridor Pointe Noire-Brazzaville-Kinshasa-Bangui-Ndjamena va se renforcer et prendre une nouvelle dimension.
En définitive, si l’on peut louer une telle initiative pour le développement du continent, il n’en demeure pas moins vrai que celle–ci viendrait bouleverser certains équilibres naturels dont
l’impact ne saurait être négligé et non pris en compte dans le développement harmonieux du commerce international dans la sous région. En fait, il s’agit là d’une évolution assez significative et
d’une opportunité à saisir pour les pays enclavés de la sous région qui disposeront désormais d’une nouvelle voix concurrentielle pour les mouvements de leurs
marchandises.
Cependant, l’on peut également noter des désagréments que celle-ci pourrait entraîner sur les ports de Douala au Cameroun et de Matadi en RDC. En effet, avec le faible titrant d’eau qu’offre le
Port de Douala d’une part, et d’autre part le niveau de délabrement et de vétusté assez avancé des équipements et infrastructures portuaires actuels observés au niveau du port de
Matadi, le risque de voir le port de Pointe Noire leur ravir la vedette n’est pas à exclure. Surtout que le Groupe Bolloré s’est donné pour mission de multiplier par cinq le volume de
traitement des conteneurs dans ce nouveau port moderne qu’il se pose de construire à Pointe-Noire au cours de la prochaine décennie. Il envisage même à la longue de lui faire jouer le rôle de
port d’éclatement pour la sous région. Il s’agit là d’un challenge énorme et un défi important à relever pour les autres ports…
Le Cameroun devra alors tenir compte de cette nouvelle orientation stratégique qui se pointe à l’horizon et intégrer cette évolution dans une vision macroéconomique globale de son développement
en général mais aussi et surtout de son système des transports en particulier. Ceci ne pourra se réaliser qu’à travers une véritable modélisation et modernisation des ses infrastructures de
transport en vue d’une amélioration conséquente des conditions de transport dans les corridors CEMAC. Ce qui suppose la conjugaison des deux actions indispensables ci-après : (1) envisager très
rapidement une nouvelle restructuration et une réorganisation des corridors de transit.
La finalité étant de pouvoir se doter d’un régime de transit plus souple et plus
efficace qui définisse non seulement de nouveaux instruments de facilitation et de transit mais aussi créer des mécanismes de contrôle mieux adaptés au monde actuel qui s’insèrent parfaitement et
à souhait dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication ; (2) engager une véritable politique visant à mettre en place une infrastructure de qualité tant au niveau
routier que ferroviaire afin de réduire les délais de route et offrir les meilleurs conditions de transport. Cette dernière action pourrait bien voir le jour à travers un système de financement
très répandu aujourd’hui de part le monde qui est le « Built Operate and Transfert ».
Tout est alors une question de choix et de volonté pour permettre au Cameroun de continuer à jouer pleinement son rôle et à se maintenir dans le leadership de cette sous
région.
Daniel EKWALLA E. BOUMA
Expert, Economiste des Transports
Senior
Source : Icicemac