(Le Phare 10/06/2008)
La Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt provisoire contre Jean-Pierre Bemba, arrêté à Bruxelles le 24 mai 2008 et poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité
commis, entre le 25 octobre et le 15 mars 2003, sur le territoire de la République centrafricaine. Le gouvernement centrafricain avait saisi la CPI en décembre 2004. En dépit du forcing exercé
par ses avocats devant la justice belge, l’ex-chef rebelle congolais et ancien vice-président de la République démocratique du Congo (2003-2006) reste en prison. Il reste en détention et la CPI
pourra, dans l’hypothèse du rejet de la liberté, émettre un mandat d’arrêt définitif.
La chambre du conseil belge a reconnu la conformité de la procédure de l’arrestation du suspect, après que la chambre de mise en
accusation ait rejeté la demande de mise en liberté provisoire sous caution sollicitée par son Conseil. Détenu en Belgique comme Etat d’extradition, les règles de la CPI disposent, dans ce cas,
que l’accusé doit être déféré sans délai à l’autorité judiciaire compétente de l’Etat dans lequel il a été arrêté, laquelle doit vérifier que ses droits ont été respectés. Les avocats du prévenu
ont saisi à cet effet la chambre de cassation pour obtenir sa liberté provisoire.
A l’analyse du mandat !
Dans le mandat d’arrêt émis par la CPI contre Bemba, la chambre considère qu’il existe des « motifs raisonnables de croire que M.
Jean-Pierre Bemba a mis à exécution sa décision de retrait des troupes du MLC (Ndlr : Mouvement de libération du Congo, rébellion qu’il dirigeait) ; ce retrait a marqué la fin des actes criminels
sur les civils par les troupes du MLC ainsi que celle du maintien au pouvoir de M. Ange-Félix Patassé ». La même instance de la CPI estime, par ailleurs, que pour les raisons susmentionnées, il y
a des motifs raisonnables de croire que « M. Jean-Pierre Bemba est pénalement responsable, conjointement avec une autre personne ou par intermédiaire d’autres personnes », se fondant ainsi sur
une disposition des règles de la CPI. Pour des juristes congolais interrogés, cette précision donne clairement à penser que la CPI devrait avoir lancé, sous scellés, d’autres mandats d’arrêt,
notamment contre l’ancien président centrafricain, Patassé en se fondant sur le point 17 du mandat.
Le point 17 affirme que « la chambre estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il existait un plan commun entre M.
Jean-Pierre Bemba et M. Ange-Félix Patassé et que ce plan reposait sur l’engagement mutuel pour Ange Patassé, de bénéficier de l’assistance militaire de M. Jean-Pierre Bemba afin d’assurer son
maintien au pouvoir (…) ». Des responsables des Ong de défense des droits de l’homme ainsi que des juristes affirment que la responsabilité du président François Bozize, ancien chef d’Etat-major
des forces armées de la RCA et ancien chef rebelle au même titre que Bemba, est totalement engagée. La CPI affirme que Patassé s’était confronté à un mouvement de rébellion mené par Bozize. Quand
bien même le mandat d’arrêt reconnaît que d’autres forces armées étrangères auraient pris part au conflit, en citant, notamment la Brigade anti-zaraguina menée par Abdoulaye Miskine, des
analystes estiment qu’autant Patassé est impliqué, le président Bozize, arrivé à la faveur d’un coup d’Etat, est explicitement co-responsables des crimes imputés à Bemba.
Les archives rappellent que Patassé avait appelé en renfort des forces alliées venues de la RD Congo avec Jean-Pierre Bemba, du Tchad avec Miskine et de Libye pour contrer les rebelles de Bozize.
L’actuel président centrafricain n’est pas couvert par les immunités liées à ses fonctions. La Cour n’exclut pas la responsabilité pénale d’un suspect du fait de sa fonction officielle, en vertu
de l’article 27 des règles qui commandent le fonctionnement de la CPI.
Dès lors, des analystes notent que la CPI, en levant les scellés dans l’affaire Bemba, devrait logiquement cheminer dans la voie de la mise en accusation de François Bozize.
2008-06-10 (Désiré-Israël Kazadi)
© Copyright Le Phare
Quel avenir pour la justice internationale en Afrique
?
(AgoraVox 10/06/2008)
L’actualité africaine est marquée ces derniers temps par les péripéties de la justice internationale sous ses différentes
formes : le modèle judiciaire international (tribunal pénal international pour Rwanda), le modèle judiciaire hybride (le tribunal spécial international pour la Sierra Leone) et le modèle
(quasi-) universel (la cour pénale internationale)[1].
En effet, dans le cadre du tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), Charles Taylor, l’ancien président du Liberia (1997-2003) comparaît depuis le 7 janvier 2008 sous l’accusation de crimes
de guerre et contre l’humanité commis en Sierra Leone.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), censé achever ses procès de première instance d’ici fin 2008 et ses travaux en 2010[2], tente de transférer ses propres dossiers vers des
juridictions nationales. Aussi, le prêtre rwandais Wenceslas Munyeshaka et l’ex-préfet Laurent Bucyibaruta, réfugiés en France et poursuivis pour leur participation présumée au génocide
rwandais de 1994 devront être jugés par la cour d’assises en France[3] alors qu’un ancien sous-préfet Dominique Ntawukuriryayo accusé de génocide, vient d’être transféré au TPIR par les
autorités françaises le 5 juin dernier faisant courir le risque de voir son procès bâclé en raison du délai précité.
Quant à la Cour pénale internationale (CPI), elle vient de réaliser un grand coup en procédant à l’arrestation de Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo interpellé
le 24 mai dernier en Belgique, pour crimes de guerre commis en Centrafrique.
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
Au Rwanda, à la suite du génocide de 1994, un tribunal pénal international ayant pour siège Arusha (Tanzanie) a été institué par la résolution 955 du conseil de sécurité de l’ONU. Il est «
chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés
responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 »[4]
Sans nous livrer à un bilan exhaustif des activités de ce tribunal international, il faut juste mentionner qu’à ce jour il a prononcé 30 condamnations et 5 acquittements. Mais aucun dirigeant
du FPR (Front patriotique rwandais), l’ancienne rébellion, au pouvoir n’a été mis en accusation.
Un accord signé le 4 mars 2008 entre le Rwanda et les Nations unies prévoit le transfert au Rwanda de personnes poursuivies ou condamnées pour génocide (notamment) par ledit tribunal[5]. Mais
dans un arrêt de principe rendu le 28 mai dernier, le TPIR refuse de confier à la justice rwandaise, la tâche de juger Yussuf Munyakazi, accusé de génocide au motif qu’elle ne correspond pas
aux normes internationales[6].
Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
En Sierra Leone, c’est le modèle hybride qui a été mis en œuvre avec la création du tribunal international pour la Sierra Leone. On parle de tribunal internationalisé pour désigner cette
juridiction hybride ou mixte, à la fois interne et internationale.
Il s’agit d’organe juridictionnel créé par accord entre l’ONU et l’Etat sur le territoire duquel les crimes ont été commis[7]. Il est indépendant de l’ordre juridique interne[8] avec une mixité
dans sa composition (juges internes et juges internationaux).
Dans le conflit de la Sierra Leone, l’accord de paix de Lomé (Togo) signé en juillet 1999 entre Fodey Sankoh leader du Front révolutionnaire uni (RUF) et le président Ahmed Tejan Kabbah,
prévoyait un gouvernement de coalition avec les deux acteurs dans lequel ce dernier est président et le chef rebelle est devenu vice-président et ministre des mines. Mais, suite à la violation
en mai 2000 dudit accord par le RUF qui a pris en otage 500 casques bleus et à l’intervention des soldats britanniques, Fodey Sankoh a été arrêté le 17 mai 2000. Le Conseil de sécurité des
Nations unies a décidé la création d’un Tribunal spécial, siégeant à Freetown et composé de magistrats internationaux et sierra-léonais pour le juger.
La création de ce tribunal a été faite à la demande du président Kabbah. Dans la lettre adressée au Conseil de sécurité, il est dit « le mandat du Tribunal spécial pourrait être conçu de façon
restrictive afin de poursuivre les personnes qui portent les responsabilités les plus importantes et les dirigeants du Front révolutionnaire uni. Ceci devrait avoir pour conséquence de limiter
le nombre à une douzaine de personnes. Ceci permettrait aussi au tribunal spécial d’être rapide et efficace dans sa tâche de rendre la justice tout en brisant en même temps la structure de
commandement de l’organisation responsable de la violence »[9]
En ce qui concerne Charles Taylor, alors qu’il participait aux négociations de paix initiées par la médiation ouest-africaine avec les chefs rebelles visant à mettre fin au conflit interne
libérien, il a été accusé par le TSSL d’avoir financé et encouragé la sanglante rébellion du RUF et de « porter la plus grande responsabilité » dans les crimes commis au cours du conflit en
Sierra Leone. Les 17 chefs d’inculpation pesant contre lui, sont répartis en trois catégories juridiques. La première regroupe les crimes contre l’humanité, notamment les assassinats, les viols
et « des actes inhumains » ; la deuxième catégorie concerne les crimes de guerre, parmi lesquels les outrages à la dignité humaine, le pillage, le terrorisme et la troisième, réunit les
violations des lois internationales, dont l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés.
Un marché conclu entre la CEDEAO lui a permis de s’exiler au Nigéria en abandonnant le pouvoir le 11 août 2003 au Libéria. Mais il sera extradé (arrêté le 29 mars 2006 alors qu’il tentait de
fuir son exil nigérian) et son procès délocalisé pour raison de sécurité a été ouvert à La Haye (Pays-Bas).
En ce qui concerne le bilan du Tribunal sur la Sierra Leone, 13 personnes ont pu être inculpées dont Charles Taylor. Mais il faut déplorer la non-comparution des chefs rebelles San Bockarie et
Foday Sankoh décédés en 2003.
La Cour pénale internationale
A l’inverse des tribunaux pénaux internationaux ad hoc qui sont des organes subsidiaires du conseil de sécurité, créés en vertu du chapitre VII de la Charte, la Cour pénale internationale (CPI)
est juridiquement distincte des structures onusiennes. Elle possède sa propre personnalité juridique et repose fondamentalement sur un traité international (traité de Rome). En effet, en 1998,
le traité qui proclamait la création de la CPI a été adopté lors d’une conférence organisée sous l’égide de l’ONU. Ayant fait l’objet des ratifications nécessaires, il est entré en vigueur en
avril 2002. La CPI a pour compétence de juger les crimes de génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre et crimes d’agression commis sur le territoire ou par le ressortissant d’un Etat
partie au Statut. Elle peut être saisie par un Etat partie ou par le conseil de sécurité, conformément au chapitre VII de la Charte des Nations unies, si des crimes ont été commis dans des
circonstances mettant en danger la paix et la sécurité internationale ou y portant atteinte.
Les premières assignations de la Cour ont été faites dans les conflits internes en Afrique subsaharienne : République démocratique du Congo (RDC), Soudan, Centrafrique, Ouganda.
Dans le conflit en RDC, la CPI a rendu publique sa décision du 10 février 2006 de délivrer son premier mandat d’arrêt dans le cadre de l’enquête en RDC à l’encontre de Thomas Lubanga, chef de
l’Union des patriotes congolais (UPC), mouvement politique issu de l’ethnie Héma et qui sévissait dans l’Ituri (nord-est de la RDC). Le mandat d’arrêt retient à son encontre l’accusation de
crime de guerre pour le recrutement à grande échelle, et l’utilisation dans le cadre des hostilités d’enfants soldats, dans la région de l’Ituri entre juillet 2002 et décembre 2003.
Il a été arrêté le 19 mars 2005 par les autorités congolaises, remis à la CPI, le 17 mars 2006, et inculpé le 28 août 2006. Le 29 janvier 2007, la chambre préliminaire I de la Cour a confirmé
la charge retenue contre lui. Il est au vu des éléments de preuve, responsable en qualité de coauteur de chefs d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les
avoir fait participer activement à des hostilités en RDC au sens des articles 8 et 25 du Statut de Rome[10] et renvoyé devant une chambre de première instance pour y être jugée.
Un autre chef de milices en RDC à être poursuivi par la CPI est Germain Katanga, ancien chef des Forces de résistance patriotiques en Ituri (FRPI), accusé de crime de guerre, de crime contre
l’humanité et d’enrôlement d’enfants.
Dans le conflit ougandais, en octobre 2005, face à l’enlisement de la médiation internationale, la CPI, saisie par le président ougandais Musseveni, a lancé des mandats d’arrestation contre
Joseph Kony et quatre autres responsables l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le nord de l’Ouganda.
Mais un accord partiel est intervenu en février 2008 entre les rebelles de la LRA et le gouvernement ougandais sur le jugement des combattants de la LRA avec la création d’une division spéciale
de la Haute cour d’Ouganda pour juger les crimes graves et des institutions traditionnelles pour traiter les crimes de moindre importance. Il semble que le mandat d’arrêt international contre
les dirigeants de la LRA soit le principal obstacle à la signature d’un accord de paix global[11].
En ce qui concerne Jean-Pierre Bemba qui vient d’être arrêté, on lui reproche des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, commis sous ses ordres non pas en RDC, mais en République
centrafricaine (RCA), entre octobre 2002 et mars 2003. Au centre de l’accusation : une campagne massive de viols « menée avec une brutalité sans nom ». Ses hommes étaient intervenus à la
demande de l’ex-président de la République Patassé (réfugié au Togo actuellement), pour contrer la rébellion du général Bozizé, aujourd’hui au pouvoir. Le procureur de la CPI, l’Argentin Luis
Moreno-Ocampo, avait été saisi de l’affaire en 2004 par les autorités de la RCA. L’enquête formelle n’a été ouverte qu’en 2007.
Repenser la justice internationale
Au regard du bilan de la pratique de la justice internationale en Afrique, tout porte à croire qu’elle est devenue la « justice des vainqueurs » hormis le cas soudanais où le gouvernement
refuse de coopérer en livrant à la CPI (saisie par le conseil de sécurité) deux dignitaires (Ahmad Harin ministre d’Etat à l’action humanitaire et Ali Kushaybo, le chef des milices janjawid)
pour « crime de guerre »[12].
La justice internationale se révèle incapable de donner satisfaction aux survivants et de contribuer à la pacification des sociétés[13] malgré son coût élevé. Un milliard de dollars pour le
TPIR, un budget de 56,8 millions de dollars pour le TSSL avec 100 000 dollars par mois pour les frais de défense de Taylor. Elle serait devenue un mécanisme de règlement des conflits internes
en Afrique (par voie pénale internationale), venant pallier ou corriger a posteriori l’échec de la médiation internationale dans ces conflits.
Aussi subit-elle des nombreuses critiques. Ainsi pour Michael Johnson, ancien juge au sein du tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, l’impact des tribunaux internationaux sont limités
voire médiocre en termes de réconciliation. Il propose de créer des « tribunaux hybrides » où les juges internationaux côtoieraient une sélection des juges nationaux pour qu’un tel mélange
rende le verdict plus légitime au sein de la population locale et partant de là former et assister la justice locale pour la rendre capable d’administrer lui-même les procès.[14]
La France, à l’instar d’autres pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark, qui ont leur propre « cellule crimes de guerre », souhaite la mise en place d’un « pôle crimes de
guerre » sur le modèle du pôle antiterroriste et du pôle financier, « chargé d’enquêter, instruire et poursuivre les infractions les plus graves au droit international humanitaire telles que le
génocide, les crimes contre l’humanité » et composé de trois juges d’instruction, d’enquêteurs, d’experts et d’interprètes
[15]. Il y a donc un risque que la justice internationale se nationalise au profit des puissances. Il faut rappeler que les juges Jean-Louis Bruguière (France) et Andreu Merelles (Espagne)
avaient délivré des mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs membres de l’entourage du président Kagamé au pouvoir au Rwanda, sans suite. Ce qui a amené ce dernier à stigmatiser «
l’arrogance » des tribunaux occidentaux s’arrogeant le droit d’accuser les ressortissants de « nations faibles ».[16]
Il importe donc de repenser la justice internationale pour qu’elle ne soit pas uniquement « la justice des vainqueurs » et qu’elle soit plus dissuasive pour prévenir les conflits
internes en Afrique tout en évitant que les dirigeants africains violeurs des droits de l’homme ne s’éternisent au pouvoir de peur d’être traînés devant elle.
Me Komi TSAKADI