L’arrestation de Jean-Pierre Bemba a donné lieu à un déferlement de réactions et prises de position de beaucoup de donneurs de leçons de démocratie et pseudos spécialistes de respect des droits de l’homme de tout acabit, dont la haine contre le président Patassé n’avait d’égal que leur volonté mal dissimulée à absoudre le chef rebelle Bozizé et ses hordes à côtés desquels les éléments du MLC étaient sans nul doute des enfants de coeur. La noble cause des droits de l’homme ne doit pas être utilisée dans des manœuvres politiciennes visant à affaiblir une des parties dans la situation de belligérance qu’avait connue la République centrafricaine depuis le coup d’Etat manqué revendiqué par le général André Kolingba en passant par les deux autres tentatives également ratées de François Bozizé de novembre 2001 et du 25 octobre 2002.
L’appui des forces du rebelle congolais Jean-Pierre Bemba (de si triste réputation), venues à la rescousse de Patassé lors des combats avec les forces de Bozizé a été dénoncé, la FIDH allant jusqu’à instruire une plainte à la Cour pénale internationale (CPI) contre l’ex-président centrafricain et Bemba, pour «crimes contre l’humanité». Il n’est un secret pour personne que l’hostilité, voire la haine que vouaient certaines personnalités de l’opposition politique d’alors au régime du président Patassé, les a conduits à faire feu de tout bois et à tenter de renverser coûte que coûte son pouvoir. Il faut croire que depuis le retrait des troupes du MLC, il n’y a plus eu de viol de femmes ni quelques exactions que ce soit en Centrafrique. Depuis un peu plus de cinq ans que le président Patassé n’est plus à la tête des affaires de la RCA, tout baigne coté droit de l’homme dans ce pays.
De ce point de vue, l’affaire de l’appui apporté par les troupes du MLC était pain béni car tombant à point nommé. La section centrafricaine de la FIDH que dirigeait Me Nicolas Tiangaye a saisi l’occasion pour régler les comptes du président Patassé par une exploitation politicienne des exactions commises par les éléments du MLC lors de leur intervention et lui en faire porter la responsabilité morale ainsi qu’à Jean-Pierre Bemba. La LCDH et la FIDH en ont profité pour roder la fonctionnalité de la toute fraîche cour pénale internationale dont le président Patassé lui-même avait pourtant incité et encouragé l’assemblée nationale à ratifier les textes de la convention de Rome qui l’a portée sur les fonds baptismaux. Dès lors, il fallait diaboliser au maximum Patassé et son régime, tandis que de l’autre côté, Bozizé et sa rébellion aux conséquences plus ravageuses, pourtant adeptes des mêmes pratiques qui sont dénoncées par ailleurs et ayant abouti à la saisine de la CPI, étaient absout et avaient le droit de poursuivre leurs actions jusqu’ à s’emparer et s’installer au pouvoir.
Mais cette présence massive de zakawa n’a pas suffi pas à stabiliser le pays, même si elle protège jusqu’ici le régime. C’est jusqu’à seulement un passé récent que certaines ONG comme Human Right Watch et Amnesty International ont eu à dénoncer le drame qui se déroulait silencieusement dans les régions du nord ouest, centre nord et nord est du pays. Des violations massives des droits de l’homme se sont multipliées dans un silence international quasi total jusqu’à ce jour, opérées par des «libérateurs» constitués de proche parents de Bozizé tel que le tristement célèbre capitaine Eugène Ngaikoisset, ou les chiens de guerre souvent venus directement de l’armée tchadienne, ou encore issus des bandes de coupeurs de route qui prospèrent et écument depuis un «no man’s land» aux confins du Tchad, de la Centrafrique et du Cameroun.
Le prétexte et la logique de la responsabilité morale invoqués par la LCDH et la FIDH pour saisir la CPI conduisent
inévitablement à se poser des questions sur le degré de politisation de ces organes. Si on doit retenir ce raisonnement, à quand un procès par la CPI des états et dirigeant d’alors, français,
belge, portugais, espagnol, allemand et autres et du roi des Belges...moralement responsables d'atrocités et d'horreurs commis dans leurs ex-colonies aux 19e et 20e siècles ?
A quand le procès de la Reine d’Angleterre et des dirigeants britanniques tout aussi moralement responsables pour les crimes commis par leur pays en Afrique et dans leur vaste empire
colonial ? A quand le procès par la CPI des secrétaires généraux des Nations Unies dont certains casques bleus commettent fréquemment ça et là des exactions, notamment et surtout des viols
de jeunes filles et de femmes en RDC, Côte d’Ivoire et à Haïti ? Il n’est jamais venu à l’esprit de qui que ce soit de demander la traduction devant la CPI de Kofi Annan ou Ban Ki Moon parce
qu’ils seraient moralement responsables de ces forfaitures. Des soldats français ont volé des billets de banque dans des agences de BCEAO qu’ils étaient chargés de garder en Côte d’Ivoire.
Personne n’a songé à en rendre responsable ni moralement ni pénalement le président Jacques Chirac à l’époque.
L’évidente et scandaleuse implication tchadienne en Centrafrique des éléments de la garde présidentielle de Déby dans l’arrivée au pouvoir de Bozizé le 15 mars 2003 n’a été admise à demi-mot que parce Patassé a été renversé et contraint d’aller encore en exil. La CEMAC, les USA et la France avaient exigé à cor et à cri le départ des militaires libyens qui assuraient sa sécurité. C’était en fait pour mieux faciliter l’entrée des mercenaires de Bozizé. La force d’interposition de la CEMAC, installée dans le pays à la suite de l’accord de Libreville du 2 octobre 2002 pour défendre «les institutions républicaines», s’est vite défilée, quand les rebelles du général Bozizé ont attaqué Bangui en l’absence du président Patassé. Le problème de fond est que les forces armées, composées de soldats en haillons, non formés aux règles républicaines est complètement déstructurée.
Les viols collectifs, les exécutions sommaires, les incendies délibérés de villages par des «libérateurs» aux allures de conquérants qui se croient tout permis ont cours jusqu’aujourd’hui. A tel point que les évêques centrafricains se sont sentis obligés entre temps de sortir de leur silence. «Dans les villes, sur les routes, dans l’arrière-pays, des hommes armés et en tenue imposent leur loi (…) Avec vous, nous avons pensé que les violences et les exactions subies pendant les événements qui ont précédé et accompagné le changement de régime allaient cesser. Hélas, nous devons tous et tous les jours, faire face à de multiples tracasseries, sinon à de graves dangers. Il est temps d’ouvrir le pays à un avenir meilleur, quant à la sécurité, au développement intégral, au sens de la Nation, et à l’engagement civique»,
Les Centrafricains qui ont signé le 7 décembre 2002 à Gonesse, ignoraient-ils que leur signature équivalait à un permis délivré à Idriss Déby pour envahir et coloniser leur propre pays ? Les signataires de ce «Munich» du 7 décembre 2002 savaient-ils donc tous que des forces d’occupation entreraient en République centrafricaine, y installeraient par le sang et l’airain, un pouvoir fantoche au nom duquel elles pilleraient nos ressources, profaneraient nos tombes et couperaient les têtes qui tenteraient de dépasser ? Ainsi se résume depuis le 15 mars 2003 le quotidien du Centrafricain dans son propre pays, tandis que ces démocrates rétifs au verdict des urnes ont occupé, en reconnaissance des services rendus à Bozizé et l’occupant, des fonctions honorifiques à la présidence, au gouvernement, au Conseil national de Transition ou au sein des forces de sécurité.
En Centrafrique, faut-il malheureusement rappeler que c’étaient les partis politiques de l’opposition qui avaient appelé au coup d’Etat qu’ils ont présenté comme un « sursaut patriotique », et sanctifié la prise du pouvoir de Bozizé et de ses alliés tchadiens. Mais au fil du temps, ils ont été progressivement marginalisés. Après avoir servi de «caution démocratique» au général Bozizé, Abel Goumba, le «doyen» de la classe politique, prétendu modèle d’intégrité, a été «viré» de la Primature, et a occupe un moment le poste de vice-président, puis actuellement médiateur de la République sans aucun pouvoir décisionnel réel. Plusieurs autres piliers de son pouvoir dit de transition sont pour la plupart, devenus au fil des années, des exilés politiques volontaires à Paris. Bozizé, qui veut désormais s’installer durablement au pouvoir, après avoir promis et juré de ne pas imiter son frère d’armes l’ivoirien Robert Guéï, voit derrière chaque leader de parti politique centrafricain, un dangereux rival.
L’hypocrisie de la communauté internationale dont la CPI est un appendice est telle que le droit et l’absolution sont nécessairement du côté du vainqueur. Malheur aux vaincus en quelque sorte. Arrivé au pouvoir par les canons, Bozizé peut se permettre aujourd’hui de crier victoire mais s’il avait perdu la guerre qu’il a portée en Centrafrique avec l’aide des mercenaires zakawa, il en serait advenu autrement de son sort.