Eric Breteau

Recueilli par MARIA MALAGARDIS
Quotidien Libération mercredi 30 avril 2008
«Gr acié mais toujours pas blanchi», Eric Breteau repart à l’attaque. Le patron de l’Arche de Zoé publie cette semaine un livre (L’Arche de Zoé : les dessous de l’affaire d’Etats, Ed.Plon), écrit en cinq semaines pendant son emprisonnement à Fresnes. Très critique vis-à-vis des autorités françaises et notamment de la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, il défend bec et ongles le bien-fondé d’une opération, dénaturée selon lui par les «mensonges politiques» et la «manipulation des images». Et si le livre laisse encore quelques zones d’ombre, Eric Breteau promet de futurs rebondissements, dans l’arène judiciaire.
Vous persistez à dénoncer une manipulation politique, alors que l’échec de votre opération au Tchad a été souvent perçu comme le symbole d’une dérive de l’humanitaire. Mais qui profite de ce fiasco ?
Le Tchad a gagné beaucoup d’argent en monnayant la libération de mon équipe mais aussi du pilote belge et de l’équipage espagnol de notre avion. Tous les pays concernés ont payé pour leurs ressortissants. A l’origine de notre arrestation le 25 octobre, il y a justement ce Boeing 727 qui devait nous ramener en France : on sait que le gouverneur de la région d’Abéché, notre lieu de départ dans l’est du Tchad voulait se l’approprier, comme un seigneur de guerre. Mais qui a réellement déclenché notre arrestation ? Rama Yade a affirmé devant le Parlement que c’était elle ! En tout cas, dès le lendemain de notre arrestation, ses déclarations intempestives, condamnant d’emblée toute l’opération, ont offert un sésame aux Tchadiens qui ont pu faire monter les enchères. Puis Sarkozy a proclamé qu’il nous ramènerait coûte que coûte en France et nous avons eu des émeutes à N’Djaména.
La gestion des autorités françaises a été calamiteuse dans cette affaire. Je pense qu’avec Jacques Chirac qui connaissait bien l’Afrique, on aurait tout de suite été libérés. Le changement de présidence a provoqué un flottement entre Paris et N’Djaména. Aujourd’hui, la France soutient le président Déby tout en livrant des armes aux rebelles qui le combattent, c’est de notoriété publique au Tchad. Mais quand François Fillon affirme que la France ne payera pas les 6 millions d’euros dus par l’Arche de Zoé suite à notre condamnation au Tchad en décembre, il sait bien que ce ne sera pas nécessaire : la France a déjà payé, en offrant du matériel militaire à Déby fin février, comme l’a révélé le Canard Enchainé le 5 mars.
Vous avez toujours affirmé avoir bénéficié du soutien de personnes haut placées… Plusieurs noms ont circulé : le frère du président Sarkozy, son ex-épouse, des conseillers...
Pour François Sarkozy, c’est n’importe quoi. Il n’a rien à voir avec notre opération. En revanche, je maintiens avoir reçu un soutien discret de la part du conseiller politique de Bernard Kouchner, lequel est resté étonnement silencieux dans cette affaire. De même que j’ai été encouragé à transmettre un dossier à Cécilia Sarkozy par l’intermédiaire de l’assistant de Catherine Pégard qui fait partie des conseillers politiques de l’Elysée. Mais il y en a d’autres... Rachida Dati prétend qu’elle ne me connaît pas ? On montrera en temps utile qu’elle aussi a eu notre dossier entre ses mains. Mais dans l’immédiat, je ne peux pas en dire plus, car il y a encore des procédures judiciaires en cours ici en France sur cette affaire.
J’ai déposé plainte contre certaines personnalités, dont Rama Yade. La justice est au courant, c’est aux juges de décider quand faire connaître les autres noms.
Mais vous avez tenté d’amener en France des enfants qui n’étaient peut-être ni orphelins, ni du Darfour ! N’avez-vous pas l’impression d’avoir contribué à ternir l’image de l’humanitaire ?
Les enfants sont orphelins et bien du Darfour, j’en reste convaincu. Les soi-disant parents qui les ont réclamé étaient téléguidés par le président Déby. Avec le soutien de l’Unicef qui vingt-quater heures après notre arrestation prétendra que tous les enfants sont tchadiens ! L’Unicef a ensuite promis un rapport, mais vient d’annoncer qu’il a été remis aux autorités tchadiennes mais restera finalement confidentiel. Pour le reste, l’opinion a été trompée par des reportages qui ont donné lieu à d’incroyables manipulations d’images. Surtout celui effectué pour France 3 par Marie-Agnès Peleran. Mais on a retrouvé tous les rushs et on prépare un documentaire qui soulignera l’aspect malveillant de certains montages où plusieurs images différentes ont été juxtaposées. Je vais me battre, surtout pour mes camarades qui ont souffert d’être ainsi calomniés. Depuis mercredi dernier, le juge d’instruction m’a autorisé à reprendre contact avec eux... Cette histoire est loin d’être finie.