
Un an après son élection, seuls 28% des personnes s’affirment satisfaites de l’action du Président, selon un sondage pour «Paris-Match».
AFP LIBERATION.FR : mardi 22 avril 2008
72% des Français se disent mécontents du bilan de Nicolas Sarkozy, contre 28% qui s'affirment satisfaits, un an après son élection à la présidence de la République le 6 mai 2007, selon un sondage Ifop-Fiducial pour Paris-Match à paraître jeudi. Ce chiffre vient amplifier celui de notre propre sondage publié lundi, dans lequel 59 % des personnes considèrent que cette première période du quinquennat est «plutôt un échec».
Le chef de l'Etat fait beaucoup moins bien que son prédécesseur à l'Elysée Jacques Chirac qui, en avril 2003, un an après sa réelection, recueillait 58% de jugements positifs sur son action. Les Français ne sont en outre que 35% à considérer que Nicolas Sarkozy a tenu, durant l'année écoulée, les engagements qu'il avait pris durant sa campagne présidentielle, 65% étant d'un avis inverse. La façon de présider du chef de l'Etat n'est jugée meilleure que celle de ses prédécesseurs que par 17% de Français (et seulement 42% des sympathisants UMP), 35% la trouvant «moins bonne» et 48% «ni meilleure ni moins bonne». Quant à son projet pour la France, s'il est jugé «ambitieux» par 62%, 50% l'estiment «peu crédible», tandis que 40% pensent qu'il «va dans la bonne direction» et qu'il est «clair».
Ce jugement sévère se double d'un fort pessimisme pour l'avenir, notamment sur le plan économique. 6% seulement pensent
que la situation économique s'est plutôt améliorée durant la première année de mandat de Nicolas Sarkozy, contre 48% qui considèrent qu'elle s'est détériorée et 46% qu'elle n'a pas changé. En
outre, la mise en place d'un plan de rigueur est jugée inéluctable par 80% des personnes interrogées, contre 19% d'un avis opposé. Un an après son élection, 58% des Français disent ne pas faire
confiance au Président pour «mettre en place les réformes nécessaires» contre 42% qui lui font toujours confiance.
Sondage réalisé par téléphone les 17 et 18 avril auprès d'un échantillon national de 956 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas). Notice détaillée à
la Commission des sondages.
Coopération : "Nicolas Sarkozy entre mercantilisme et militarisme",
Quotidien Mutations 22 Avr 2008
Analyses des rapports entre la France et l'Afrique depuis l'arrivée il y a près d'un an d'un nouveau locataire à l'Elysée.
Par Achille Mbembe*
En visite en Afrique du Sud où la France souhaite décrocher de très juteux contrats dans les domaines de l'énergie
électrique et nucléaire, Nicolas Sarkozy a prononcé, le 28 février dernier, un discours devant le Parlement sud-africain réuni au Cap. L'an dernier à Dakar, il s'était fait rabrouer par
l'intelligentsia africaine et certains milieux intellectuels français à la suite d'une péroraison sur " l'homme noir " aux relents racistes et colonialistes.
Le handicap français
Le poids des liens commerciaux entre la France et l'Afrique du Sud aidant, le chef de l'État français a cette fois été un invité plus
courtois, ce qui lui a valu quelque bienveillance de la part de ses hôtes. Malgré ces progrès en matière de bienséance, force est de constater que la méfiance, le scepticisme et, dans certains
cas, l'opposition à la politique française en Afrique persistent.
Exaspération, gêne et fatigue ont progressivement gagné et les élites intellectuelles et politiques, et les milieux
d'affaires, et la jeunesse africaines. Nombreux sont désormais ceux pour qui la manière dont la France se comporte sur le continent depuis l'époque coloniale et le traitement réservé aux
Africains en situation irrégulière ont largement érodé le peu de crédit moral dont elle pouvait encore se prévaloir. Il faudra donc sans doute plus que des mots pour convaincre l'opinion
africaine qu'un changement radical est en cours.
Malgré l'ampleur de la défection, deux points du discours de Sarkozy valent pourtant la peine que l'on s'y arrête. Il y a d'abord l'intention proclamée de "refonder" les relations entre la France
et l'Afrique par le biais, entre autres, d'une révision des accords militaires signés à la veille des indépendances. Il y a, d'autre part, les considérations sur l'immigration et, entre les deux,
l'annonce d'une initiative de deux milliards et demi d'euros en cinq ans comportant la création d'un fonds d'investissement et d'un fonds de garantie dotés chacun de 250 millions d'euros, et le
doublement de l'activité de l'Agence Française de Développement en faveur du secteur privé.
À supposer que cette dernière initiative prenne effectivement corps (alors que l'État français est à peu près en faillite), les sommes en jeu sont simplement dérisoires lorsqu'on les compare aux
dizaines de milliards d'euros qu'Alsthom et le consortium dirigé par Areva engrangeront d'ici l'an 2025 en Afrique du Sud. Elles sont, en outre, largement inférieures aux ressources financières
mobilisées par la Chine en Afrique au cours de la même période.
Les échanges commerciaux entre l'Afrique et la Chine s'élèvent désormais à plus de 50 milliards de dollars par an. Avant la fin de la décennie, cette somme sera multipliée par deux. Dans la
nouvelle course vers les richesses de l'Afrique qui marquera les cinquante prochaines années, le handicap français reste donc lourd.
Des réformes en trompe-l'oeil
L'intention de refonder les rapports franco-africains n'est, quant à elle, guère originale. Chaque nouveau chef d'État
français, de Pompidou à Giscard d'Estaing, Mitterrand et Chirac, s'est fendu d'une telle proclamation en arrivant au pouvoir. On sait ce qui est arrivé par la suite. Par ailleurs, sur le plan
symbolique, cette proclamation aurait sans doute eu un bien plus puissant éclat si elle avait été faite dans une capitale du " pré carré ", royaumes de satrapes nègres que la France n'a eu cesse
de soutenir aveuglément depuis la décolonisation. C'est en très grande partie à cause de ce soutien que la plupart de ces pays sont aujourd'hui au bord de la ruine et de la guerre civile, tandis
que l'essentiel de leurs jeunesses et de leurs forces vives n'a plus en tête que de s'en aller ailleurs. À la vérité, en appelant à refonder les relations franco-africaines, Sarkozy cherche
surtout à neutraliser une revendication qui risque de servir de cri de ralliement à l'opposition africaine contre la France dans les décennies qui viennent. Il s'inscrit dans la logique des
"petites réformes " inaugurée par De Gaulle lors du discours de Brazzaville en 1944.
L'on sait aujourd'hui que la décolonisation à la française a ressemblé, en bien des points, aux traités inégaux que l'on impose aux pays vaincus lors des guerres. Les accords signés par la France
et les nouveaux dirigeants africains au moment des indépendances avaient été rédigés dans le secret le plus absolu. Ils ne légalisaient pas seulement le régime de capitations qui avait permis le
pillage des richesses africaines par les firmes françaises au milieu du XIXème siècle.
L'un des aspects les plus scandaleux de ces traités est celui qui octroie à des soldats français stationnés dans des bases militaires en Afrique le droit de tirer sur des citoyens africains lors
de dissensions internes ou au cas où la France jugerait ses intérêts menacés en Afrique. Depuis presque 50 ans, les mouvements africains d'émancipation exigent l'abrogation de ces traités de la
honte. Nicolas Sarkozy dit maintenant vouloir les " adapter aux réalités du temps présent ". On l'y encourage et on le jugera sur les faits.
Les dangers d'un nouvel interventionnisme
Pour le moment et comme cela a souvent été le cas dans le passé, le contraste entre le discours et la réalité est saisissant. Un
nouvel interventionnisme français en Afrique se dessine. Il combine mercantilisme et militarisme tout en sacrifiant verbalement à l'humanitaire, cette vieille piété du XIXème siècle dépoussiérée
et remise au goût du jour par les croisés du " droit d'ingérence ".
Le Tchad, où la France est impliquée dans des guerres intestines depuis l'époque coloniale est, pour l'instant, le lieu privilégié d'expérimentation de ce nouvel interventionnisme, et pour cause.
Avec la Centrafrique et Djibouti, il n'est pas seulement un immense terrain d'entraînement pour les armées de la république et un dépotoir pour toutes sortes de déchets militaires. Il fait aussi
partie du ventre mou de ce cordon pétrolier africain qui va désormais du Golfe de Guinée à l'extrémité orientale du Sahara et jusqu'aux confins nilotiques.
Dans son intervention dans cette région, la France a réussi à s'abriter sous le parapluie européen. Après ce qui est arrivé au Rwanda, elle compte ainsi externaliser les risques, dans cette
poudrière où un cycle de massacres est en cours au Darfour. Contrairement à l'hécatombe rwandaise du siècle dernier, le génocide au Darfour n'est pas sans lien avec le nouveau cycle de la
prédation des richesses africaines engagé par les puissances externes (Chine, États-Unis) pour le contrôle des ressources pétrolières, sur fonds de guerre contre le terrorisme.
Au demeurant, il n'est pas exclu que d'autres régimes soutenus par la France et faisant partie de cet arc pétrolier
soient, dans un avenir pas tout à fait lointain, aspirés par le tourbillon de conflits liés à ce nouveau cycle de la prédation. C'est notamment le cas du Cameroun où l'autocrate local s'efforce
de changer la Constitution afin de pouvoir régner à vie. Pour leur reproduction, de tels conflits dépendent généralement de la constitution de véritables marchés militaires liés à, et soutenus
par, des réseaux internationaux.
Sarkozy veut également associer le Parlement français aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique. Viendrait-elle à se réaliser, cette initiative constituerait sans doute,
sous certaines conditions, une belle avancée démocratique. Car sous la Vème République, la politique africaine fait partie du domaine éminent du Prince qui la conçoit, la dirige et la conduit à
la manière d'un fief, dans le secret le plus total. L'opacité qui entoure cette politique, sa quasi-privatisation par les présidents français successifs et l'absence totale de transparence qui la
caractérise ont largement contribué à en faire une arme absolue de violence et de corruption.
Immigration et xénophobie d'État
La partie sans doute la plus démagogique du discours de Sarkozy avait trait à l'immigration. Il va de soi que chaque État a le droit
de déterminer librement sa politique dans ce domaine. Encore faut-il que cette politique soit en accord avec les droits humains fondamentaux et, pour ce qui nous concerne, qu'elle ne soit le
prétexte ni à l'instauration d'une xénophobie d'État, ni à une réactualisation des formes de racisme que la colonisation avait largement utilisé. Or, on sait qu'en France, cette ligne est
aujourd'hui des plus ténues. Sarkozy suggère que la France et l'Afrique ont un même intérêt à une meilleure régulation de la mondialisation. Or, l'une des contradictions de la mondialisation est
de favoriser l'ouverture économique et financière tout en durcissant le cloisonnement du marché international du travail. Le résultat est la multiplication des empêchements à la circulation des
gens et la normalisation des conditions liminales dans lesquelles sont enfermées les populations jugées indésirables au nom de la raison d'État.
En France en particulier, l'on a assisté au cours des dix dernières années à une formidable expansion et miniaturisation des logiques policières, judiciaires et pénitentiaires ayant trait à la
police et l'administration des étrangers. Sarkozy lui-même a contribué à mettre en place des dispositifs juridiques et réglementaires visant non seulement à produire chaque fois un nombre
considérable de " sans-papiers ", mais aussi à justifier les pratiques d'entreposage, de rétention, d'incarcération, de cantonnement dans des camps, de rafles et d'expulsions des étrangers en
situation irrégulière.
Il en a résulté non seulement une prolifération sans précédent de zones de non droit au coeur de l'État de droit, mais
aussi l'institution d'un clivage d'un genre nouveau entre les citoyens auxquels l'on s'efforce d'assurer protection et sécurité d'une part, et d'autre part une somme de gens, pour la plupart des
Noirs d'Afrique, littéralement privés de tout droit, livrés à une radicale insécurité et ne jouissant d'aucune existence juridique.
Toutes proportions gardées, l'institutionnalisation, l'extension et le renforcement d'un état permanent d'exception vis-à-vis des étrangers est en passe de devenir pour la France ce que
Guantanamo est pour les États-Unis. Dans les deux cas, il s'agit de priver l'étranger ou le présumé terroriste de tout droit, y compris ceux qui leur sont officiellement reconnus par les
conventions internationales.
C'est ce racisme d'État qui fait de son discours sur l'immigration un exemple de démagogie. Or, tant que perdure cette xénophobie d'État, il sera difficile de convaincre les Africains qu'une
refonte radicale des relations franco-africaines est en cours.
La volonté d'ignorance
Pour le reste, la connaissance que Sarkozy a des dynamiques des sociétés africaines sur le temps long reste très
superficielle. L'histoire du continent est réduite à deux moments traumatiques : l'esclavage dont il reconnaît qu'il fut un crime, et la colonisation dont il continue de penser qu'elle ne fut
qu'une " faute ".
D'autre part, il continue d'en percevoir les réalités à travers les clichés traditionnels - les paysans, les " chefs " et les " anciens ", ces poncifs de l'ethnologie africaine du dimanche. Il a
encore beaucoup de peine à ouvrir les yeux sur les dimensions modernes, urbaines, diasporiques et cosmopolites du Continent - l'Afrique des méga-villes, des jeunes éduqués et sans emplois
formels, des intellectuels, écrivains, artistes, entrepreneurs, juristes et avocats, des gens qui bougent, inventent, créent, et sont très largement au fait des mutations du monde de notre temps.
Certes, il admet la distension de la relation franco-africaine mais en propose une analyse escamotée. Que les intentions du gouvernement français en Afrique fassent en permanence l'objet de
suspicions découle d'une longue tradition de duplicité qui consiste à faire un éloge rhétorique des valeurs universelles tout en soutenant aveuglément des tyrans brutaux et corrompus qui ont
causé la ruine de leurs pays.
Par ailleurs, la perception selon laquelle la France se ferme sur elle-même n'est pas une illusion d'optique. Il suffit de se rendre dans n'importe quel consulat de France sur le continent pour
se rendre compte de l'indignité à laquelle sont exposés les demandeurs de visas, les professionnels y compris. Il faut, affirme-t-il, " changer le modèle des relations entre la France et
l'Afrique si l'on veut regarder l'avenir ensemble ". Le point de départ de la refondation des rapports franco-africains ne saurait se limiter, comme l'indique Sarkozy, à la reconnaissance par la
France de ses intérêts et au fait de les assumer. Le point de départ, c'est la recherche d'un point d'équilibre entre ses intérêts et ceux des peuples africains.
*Professeur de sciences politique à l'université du Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud.