
Avant de vaporiser notre armée en croisades planétaires, grenouille aux talons du bœuf américain lancé aux trousses d’une prétendue barbarie censée menacer la civilisation du bien (celle qui entretient Guantanamo sans piper ?), pourrait-on envisager de recentrer ses missions sur la protection de ressortissants et d’intérêts français qui semblent de plus en plus visés ?
Le Ponant capturé en haute mer... Pschitt ! Le plan « pirate mer » aussitôt déclenché. On s’indigne, on typhone à tous les étages, on s’alliotmarise... La France fera tout pour récupérer l’équipage du navire subtilisé par une poignée de gueux au nez et à la barbe de l’armada chargée de la sécurité de la navigation commerciale dans le nord de l’océan Indien. Pensez !
Je plains les malheureux marins du Ponant et leurs familles... Mes amis, à vos amulettes, aux trèfles ! Et vous, pirates, tremblez ! En haut lieu, on étudie toutes les options, envoyer nos commandos de marine, le GIGN, Rambo et Steven Seagal si ça ne suffit pas... Et pourquoi pas le Kop Boulogne du PSG, le groupe Indochine (Nicola Sirkis jle kif grav il me fé tro tripé ptdr) ou Tokio Hotel (Danke das war mal wieder echt’n geiler tag). De grâce ! N’en jetez plus !
Bien que des vies humaines soient exposées, la tentation est forte de redorer le blason militaire français à bon compte, sur le dos d’une poignée de brigands. Et ainsi de régler par l’épée ce que nous avons été parfaitement incapables de prévenir par l’épée. Ah quel formidable coup médiatique cela ferait, dans un contexte où l’emploi de notre armée fait débat. N’y cédons surtout pas et prions pour que cette affaire finisse par une grosse valise de billets livrée par la DGSE à l’adresse indiquée par les pirates. Dans l’intérêt des otages, ce serait infiniment préférable.
Petit retour sur les faits et autres maritimes précisions (j’ai fait ce métier un temps). Au printemps, le Ponant, navire de croisière de l’armement français CMA-CGM, rallie sa base estivale de Méditerranée depuis celle, hivernale, des Seychelles, selon un rite aussi immuable que la migration de l’hirondelle. Lors de ce convoyage, il ne porte qu’un équipage réduit, aucun passager (ce n’est pas une croisière). La route normale depuis les Seychelles (un peu plus de 3 200 milles) le fait croiser au large des côtes somaliennes, traverser le golfe d’Aden puis remonter la mer Rouge avant d’embouquer le canal de Suez et atteindre Alexandrie où la première croisière commerciale débute le 21 avril (ceux qui en sont peuvent décommander).
Cependant, bien incapable, lui, de voler comme l’hirondelle, il est bien forcé de naviguer dans une zone où les attaques de piraterie sont fréquentes. Une zone sous contrôle de la Task Force 150. Ta Ta Ta ! Déployée dans le cadre du dispositif « Enduring Freedom » cette force maritime d’environ une douzaine de navires, hélicoptères et avions de patrouille maritime (Atlantique 2) a pour mission la surveillance et le contrôle de la navigation commerciale dans le golfe d’Aden et le nord de l’océan Indien.
Son commandement est assuré par le contre-amiral français Jean-Louis Kérignard qui a succédé, le 25 février 2008, au commodore pakistanais Khan Hasham Bin Saddique. Pour son baptême, il est servi.
Dans cette région, comme dans le détroit de Malacca, les navires français bénéficient du contrôle naval volontaire (ou CNV). Selon les recommandations du Quai-d’Orsay, ils doivent « éviter la trop grande proximité des côtes somaliennes » (au passage notons que les assurances maritimes ne couvrent pas le risque si le navire est attaqué à moins de 75 milles du littoral). Sur un plan pratique, tout navire français doit s’identifier auprès du dispositif de contrôle naval volontaire, communiquer sa position toutes les 12 heures et, en cas de besoin, faire immédiatement appel aux marines nationales de la TF 150.
Dans ces conditions, on peut s’étonner que de misérables pirates somaliens se risquent à aller chercher leur proie jusqu’à plus de 200 milles de leurs côtes. Certes, la zone est vaste et nécessité fait loi, mais tout de même... Rejoindre discrètement un navire comme le Ponant, y prendre pied, s’en assurer la maîtrise, puis le « rapatrier » sur plus de 150 milles jusqu’en eaux territoriales somaliennes... En dépit des patrouilles aériennes, des navires de guerre qui sillonnent la zone en permanence et des moyens de surveillance hyper-sophistiqués dont dispose la coalition alliée. C’est prestidigitateur... Lupinesque ! J’en vacille.
Peut-on seulement poser la question de la responsabilité de la Task Force 150 et de son commandement français dans cette affaire ? Où était-elle donc la cavalerie censée prévenir ce genre d’attaque ? C’était concours de boules, merguez et anisettes à gogo, le 4 avril, au camping de la TF 150 ? On repassait Pirates des Caraïbes sur écran géant ? Jack Sparrow contre le capitaine Nicolas Barbossa ?
Et où est-elle aujourd’hui ? Le Ponant fait route au sud le long des côtes du Puntland. Selon Hervé Morin « Il
est suivi dans les eaux somaliennes par le commandant Bouan, un aviso de la marine nationale, membre de la Task Force 150 ». Il avait été « survolé vendredi par un hélicoptère
militaire français pour s’assurer que des pirates étaient bien à bord, après avoir lancé son appel de détresse ». Soyons rassurés : les pirates étaient bien à bord. Et ils y sont
toujours. On en est sûrs. La situation est donc sous contrôle. Ouf !
Mais à quoi servent donc nos frégates, nos hélicoptères survoleurs, nos avisos suiveurs, tous ces épais blindages, avec d’énormes
hélices dehors et plein de missiles dedans, si cette gigantesque quincaillerie est incapable de bloquer une poignée de pirates avant qu’ils ne
passent à l’acte ?
Petit rappel : le coût des opérations extérieures (Opex) de la France battra cette année un record, selon le ministère de la
Défense : 850 millions d’euros, soit 390 millions de plus que les 460 millions prévus et inscrits au budget 2008 voté par les parlementaires.
Et, dans le même temps, notre déficit annoncé à 2,5 % du PIB (ce qui fait de la France le cancre de la classe euro) pourrait, selon les experts financiers, dépasser la barre fatidique des 3 % du
PIB.
Alors peut-on poser la question : elle file où notre caillasse militaire ? En bruits de belotes et rideaux de fumée
atlantistes ! Et notre armée ? Réintégrée en catimini au commandement intégré de l’Otan, postée aux intersections de l’infini, en Afghanistan, au Kosovo, au Tchad... Au Darfour et au
moulin ! Dévouée à lubrifier chaque rouage de l’axe du bien.
Ah scolopendres, vous voudriez la voir où elle serait plus utile à la protection des intérêts ou des ressortissants Français ? Niet ! Pour ça, faut plus compter sur elle. On organisera
une distribution de talismans à l’entrée du golfe d’Aden. Une patte de lapin par-ci, une racine de mandragore par-là... Question efficacité ça sera idem, en plus économe.
Aujourd’hui, la barbarie semble évoluer proportionnellement au nombre de militaires de l’« axe du bien » déployés pour la combattre.
L’Irak trempe dans un bain de sang permanent, en Afghanistan le taliban règne et le commerce de la drogue n’a jamais été aussi
prospère, le terrorisme est toujours bien présent, Ben Laden et mollah Omar aussi et dans le golfe d’Aden la piraterie progresse (selon le Centre d’information sur la piraterie du Bureau
maritime, en 2007, 154 personnes ont été prises en otages et 31 attaques recensées contre 10 l’année précédente). Mais à quoi donc, au fond, servent les militaires si la situation doit empirer
dès qu’ils interviennent ?
Dans ces conditions, on peut s’inquiéter quand on voit notre épée nationale prête à engager nos soldats aux quatre coins de l’univers habité, quand on l’entend apostropher les barbares, plus tutti frutti que jamais, laïusseur émérite d’un pays qui peut se vanter d’en posséder de fameux, bien engagé derrière les oreilles, œil de basilic et naseau fumant du dragon au saut du nid.
Mais à force de la brumiser en pet du cul amerloque, il en fera quoi de notre armée ? A quel prix et pour quels résultats ? Ruineuses déconfitures et piteux naufrages ? Des mètres cubes de vent... l’énergie dérisoire d’un tractopelle brassant le vide intersidéral nulle part entre la Grande Ourse et Sirius.
On en viendrait à regretter l’époque bling-bling et croisière sur le Nil, son lot de comédies mineures, de petites pitreries, aimables, bénignes, genre mondain, qui nous occupaient un temps, à moindres frais, et nous amusaient même, parfois. Pour l’heure, il ne nous reste plus qu’à être solidaires des marins du Ponant, jusqu’au bout du monde, en espérant un dénouement heureux à cette couillonnade en haute mer.
Agoravox 7 avril 2008