Lu pour vous
https://information.tv5monde.com/ 03 SEP 2022 Mise à jour 03.09.2022 à 13:35 par Salim Sijelmassi
Ce mercredi 31 août, des diplomates ont annoncé la création d’une association française des diplomates de métier. Comment comprendre ce rassemblement inédit des acteurs du Quai d’Orsay, d’ordinaire si discrets ? Quels sont les objectifs de cette association ? Éléments de réponse avec son président Benjamin Weisz.
TV5MONDE : Qu’est-ce que "l’association française des diplomates de métier" ?
Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier :
"L’association française des diplomates de métier" est une association née le 31 août dernier. Cette association vise à faire connaitre et à faire comprendre le métier de diplomate. Récemment, nous avons réalisé que la méconnaissance du métier de diplomate peut amener à des décisions qui ne sont peut-être pas les meilleures.
Cette association vise à défendre l’idée qu’être diplomate c’est une vocation. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Cette association vise donc à défendre l’idée qu’être diplomate c’est une vocation, c’est un métier, c’est quelque chose qui se construit sur la base d’une expertise. Pour ces raisons, naturellement l’association se veut en protestation contre la réforme de la haute fonction publique qui supprime le métier de diplomate.
Qu'est-ce que la réforme de la haute fonction publique ?
Cette réforme, voulue par Emmanuel Macron, crée un nouveau corps d'administrateurs de l'État et
détache les hauts fonctionnaires d'une administration spécifique pour les inviter à en changer régulièrement tout au long de leur carrière.
Pour les diplomates français, cela se traduit par une fusion puis "mise en extinction" progressive d'ici à 2023 des deux corps historiques de la diplomatie française, ministres plénipotentiaires (ambassadeurs) et conseillers des affaires étrangères. Nombre de ces diplomates dénoncent une réforme qui acte "la fin de la diplomatie professionnelle" française.
Le 2 juin 2022, six syndicats et un collectif de 500 jeunes diplomates ont ainsi lancés un mouvement de grève, événement extrêmement rare au Quai d'Orsay. Plus symptomatique encore, des dizaines de diplomates de haut rang ont soutenu ce mouvement sur Twitter sous le hashtag #diplo2metier.
À lire : France : les discrets diplomates français laissent éclater leur "malaise"
L’opposition à la réforme de la Haute fonction publique n’est évidemment pas notre seul sujet. Notre objectif est également de mieux faire comprendre le métier de diplomate. Il s'agit de présenter ce métier aux Français, aux responsables politiques aux journalistes, aux milieux associatifs, aux milieux académiques, à tous ceux que la diplomatie intéresse.
TV5MONDE : Qui compose cette association ?
Cette association rassemblera tous les acteurs du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la base de la pyramide jusqu’au sommet. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Cette association a vocation à rassembler des diplomates de tous les niveaux et de tous les statuts. Elle rassemblera donc tous les acteurs du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de la base de la pyramide jusqu’au sommet.
L’ensemble de la chaîne hiérarchique doit y être présente et c’est important. Nous avons notamment une vice-présidente de catégorie C, c’est-à-dire issue du corps de la base de la pyramide.
Il est important de rappeler que le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères n'est pas composé que de cadres, ce sont aussi toutes les fonctions et notamment les fonctions supports, les fonctions consulaires. Il n’y aurait pas de diplomatie française sans tous ces gens qui font vivre la diplomatie française.
Il existe également un "statut associé" pour les conjoints d’agents, Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
S’agissant des statuts, et je voudrais insister là-dessus, l’association est inclusive. Elle comprend des personnes travaillant pour la diplomatie française sans être membre du ministère. Il peut s’agir de contractuels, de CDD, de CDI… Il existe également un "statut associé" pour les conjoints d’agents parce que ces conjoints font vivre la diplomatie.
TV5MONDE : Le président de la République a eu des mots durs hier à l’occasion de la conférence des Ambassadeurs. Il a demandé aux diplomates de "s’approprier" la réforme de la haute fonction publique avant d’ajouter : "défendre un métier n'a jamais signifié défendre un corps". Comment comprenez-vous cette déclaration ?
À lire : Conférence des Ambassadeurs : Emmanuel Macron expose ses stratégies diplomatiques
Ce que la réforme de la haute fonction publique met en danger, ce n’est pas juste un corps, c’est un métier. Quiconque a regardé dans le détail la manière dont cette réforme va fonctionner comprendra que le résultat se sera une diplomatie exercée par des "intermittents". Des gens exerceront le métier de diplomate pendant quelques années et partiront.
La réforme de la haute fonction publique attaque la colonne vertébrale de la diplomatie, c’est-à-dire le cœur des gens dont c’est le métier. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Être diplomate c’est une vocation, il faut des années pour apprendre son métier. Lorsque vous allez voir votre dermatologue vous vous attendez à ce qu’il ait des années d’expérience en dermatologie. Si votre dermatologue est dermatologue depuis un an, qu’il était cardiologue par le passé et dans un an devient psychiatre, vous allez vous inquiéter.
Nous ne sommes pas fermés vis-à-vis de l’extérieur. Lorsque l’on travaille en ambassade on travaille avec des acteurs du ministère de l’Économie, du ministère des Armées, des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, de l’Agriculture… C’est formidable, ça marche très bien et c’est la richesse de notre travail. Mais la réforme de la haute fonction publique attaque la colonne vertébrale c’est-à-dire le cœur des gens dont c’est le métier.
Nous ne défendons pas un pré carré, nous défendons un service public qui est celui de la diplomatie et que nous devons aux générations futures. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Aussi, nous ne défendons pas un pré carré, nous défendons un service public qui est celui de la diplomatie et que nous devons aux générations futures. Le danger de cette réforme c’est qu’elle met en danger l’avenir de la diplomatie. Les conséquences seront très longues à voir, mais à terme c’est la politique étrangère de nos enfants que nous sommes en train de mettre en danger.
TV5MONDE : Quels peuvent être les moyens mises en œuvre par l’association pour s’opposer à la réforme de la haute fonction publique ?
Nous allons faire porter la parole des diplomates de métier auprès de toutes les personnes qui s’intéressent à la diplomatie. Nous allons expliquer ce qu’est l’association et ce qu’est notre métier.
Nous allons expliquer pourquoi la diplomatie a besoin de gens dont c'est le métier. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Nous allons expliquer pourquoi la diplomatie a besoin de des gens dont c’est le métier. Nous allons expliquer pourquoi dans nos ministères il doit y avoir à la fois des spécialistes venant de l’extérieur, mais surtout des diplomates professionnels.
Nous allons démontrer ce point par A plus B auprès de toutes les personnes qui s’intéressent au sujet. Et en matérialisant cette réalité, sans doute trop abstraite pour beaucoup de gens, nous arriverons à une conclusion collective qui s’impose d’elle-même "il faut absolument préserver une diplomatie de métier".
S’agissant des actions, nous cherchons déjà à rassembler tous les diplomates dans l’association. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
TV5MONDE : Après les grèves de juin dernier, de nouvelles actions de ce type peuvent-elles survenir ?
Il est un peu tôt pour le dire. L’association a quelques heures seulement. S’agissant des actions, nous cherchons déjà à rassembler tous les diplomates. Il y a déjà un enthousiasme immense pour l’association.
Nous avons noté l’annonce du président de la République actant la création de nouveaux États généraux. Nous attendons un calendrier car pour l’instant les dates ne sont pas précisées. [NDLR, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna doit lancer prochainement des États généraux de la diplomatie dans le but d'"enrichir" la réforme].
La diplomatie n’a jamais été autant en danger. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
Nous attendons les échéances de ces États généraux avec un état d’esprit constructif mais exigent et vigilant. Exigent et vigilant parce que la diplomatie n’a jamais été autant en danger.
Nous allons engager ce dialogue puis nous en tirerons les conclusions. Évidemment si les résultats ne sont pas au rendez-vous, tous les modes d’actions sont possibles, y compris celui de la grève, mais nous ne sommes pas encore là.
Les professionnelles de la diplomatie ne découvrent pas complétement l'agilité. Benjamin Weisz, président de l'association des diplomates de métier
TV5MONDE : Le président a également demandé à la diplomatie française d'être"plus agile, plus experte, plus forte" notamment sur "les réseaux sociaux, les techniques et l'épidémiologie". Quelle est votre stratégie pour répondre à ces demandes présidentielles ?
En tant que diplomate, je suis soucieux, et je pense que mes collègues le sont aussi, de toujours réformer notre ministère. Le monde avance vite et il faut bien sûr que la diplomatie suive cette avancée. Évidemment il faut être agile dans notre monde et on est toujours prêt à discuter de la meilleure manière d’être plus agile. Nous diplomates, nous servons la parole présidentielle et si c’est une instruction du président nous allons bien sûr la mettre en œuvre.
Simplement, je constate que les professionnels de la diplomatie circulent d’un bout du monde à l’autre tous les trois ou quatre ans. Ces professionnels échangent avec des autorités de pays étrangers qui sont parfois un peu difficiles à aborder. Ils doivent déjà lutter contre des fausses rumeurs sur les réseaux sociaux. À priori donc, les professionnelles de la diplomatie ne découvrent pas complètement l’agilité.
Je ne dis pas que tout est parfait, le président nous a demandé de travailler sur ce sujet nous allons évidemment le faire, mais simplement je ne suis pas sûr que le Quai d’Orsay soit l’administration la moins agile en France.