Centrafrique: La contre-offensive s'amplifie à partir de Bangui
27 JANVIER 2021 Radio France Internationale Par Florence Morice
Les forces armées centrafricaines et leurs alliés, Minusca, Russes et Rwandais, ont entamé ces derniers jours une contre-offensive pour repousser la pression des forces rebelles autour de Bangui. Pour ce faire, des véhicules ont été réquisitionnés dans la capitale, parfois même ceux appartenant à des entreprises ou des particuliers. Le point sur la situation.
Lundi, les FACA et leurs alliés ont notamment repris la ville de Boda et tentent aussi de libérer l'axe qui mène au Cameroun pour contrer la tentative des rebelles d'asphyxier Bangui en empêchant le ravitaillement du pays en provenance du Cameroun. « Cette contre-offensive a pour but de stopper ou d'annihiler les bases arrières pour destructurer ces groupes armés », explique Ange Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement centrafricain.
La priorité est de libérer le corridor, jusqu'au Cameroun, jusqu'à la frontière afin que les marchandises puissent sortir et venir
Ange-Maxime Kazagui
C'est dans ce contexte que les autorités centrafricaines ont lancé lundi dernier une campagne de réquisitions de véhicules 4x4 à Bangui. L'opération a suscité des interrogations et des inquiétudes dans la capitale. L'objectif ? Transporter des troupes dans le cadre de la contre offensive lancée par les FACA et ses alliées pour tenter de faire reculer la rébellion CPC et ouvrir le corridor qui relie Bangui au Cameroun. Et cette opération n'est censée concerner que les véhicules des administrations publiques. Il s'agit, selon le porte-parole du gouvernement Ange-Maxime Kazagui, d'une nécessité.
Nous n'avons pas assez de véhicules, nous n'en avons jamais fait mystère. Heureusement que les amis, la Chine, les États-Unis nous ont dotés de véhicules. Mais nous n'avons pas toute la logistique qu'il faut pour monter en puissance.
En Centrafrique, Touadéra doit maintenant consolider une victoire fragile
https://www.rfi.fr/ 23/01/2021 - 12:08
Validée par la Cour constitutionnelle, la réélection du président est contestée par l'opposition. Pour la cour, comme pour la communauté internationale, c'est l'exercice du pouvoir qui redonnera au président réélu sa pleine légitimité.
« Le peuple a envoyé un message clair et fort à ceux qui le terrorisaient, à ceux qui lui disaient de ne pas aller voter et au monde entier. » En rendant hommage aux Centrafricains qui ont massivement voté dans les zones où ils ont pu le faire, la présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, a voulu souligner l'exaspération de tout un peuple devant une énième aventure militaire, et a au final validé la réélection du président Faustin Archange Touadéra, lors d'une audience qui s'est tenue lundi 18 janvier.
Depuis la mi-décembre, une nouvelle alliance de groupes armés autrefois ennemis, la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), a en effet fortement perturbé l'organisation du scrutin, se heurtant aux Forces armées centrafricaines (FACA), alliées à la Mission des Nations unies (Minusca) et à des renforts venus de Russie et du Rwanda. La situation sécuritaire s'est tellement dégradée, que seule la moitié des Centrafricains a pu voter librement. C'est ce qu'a tenu à rappeler la Cour, en divisant par deux le taux de participation officiel, pour le ramener à 35,74%. Pour la plateforme de l'opposition COD2020, « le président Touadéra a été déclaré vainqueur avec seulement 17% du corps électoral, ce qui lui ôte toute légitimité pour diriger notre pays. »
Pour la Cour constitutionnelle, le président réélu est légitime, mais la présidente de la Cour, Danièle Darlan, insiste sur le fait que l'élection ne fait pas tout et rappelle que « la légitimité doit être conquise et maintenue au quotidien par l'exercice du pouvoir et la bonne gouvernance ». Réélu, Faustin Archange Touadéra doit maintenant démontrer que sa victoire est liée à son action, en poursuivant, malgré les nouveaux obstacles, une démarche entreprise il y a cinq ans, et qui avait porté quelques fruits.
Rétablissement de la paix
Lorsqu'il accède à la présidence pour la première fois en 2016, à l'issue d'un scrutin où il n'était pourtant pas le favori, la République centrafricaine n'est plus que l'ombre d'elle-même. Trois ans auparavant, une coalition de groupes politico-militaires, la Seleka (« Alliance » en Sango) a pris le pouvoir à Bangui. Le retour à l'ordre constitutionnel et l'élection de 2016 ont néanmoins permis d'entrevoir une sortie du tunnel.
Mais en 2016, les groupes armés contrôlent encore la majorité du pays, et l'économie est exsangue. Sans réelles motivations idéologiques, ces groupes s'affrontent et s'allient au gré des circonstances, avec un modèle économique basé sur la prédation des ressources. Malgré l'appui des 12 000 hommes de la Mission des Nations unies (Minusca), l'insécurité est totale dans l'arrière-pays. La recherche d'un processus de paix avec les groupes armés est alors l'une des premières priorités du président. Négocié et signé à Khartoum (Soudan), avec l'appui de la Russie, un accord est ratifié à Bangui le 6 février 2019, avec 14 groupes armés, marquant le retour à une relative stabilité dans le pays pendant près de deux ans. Même si au final, cet accord ne sera pas respecté par tous les groupes, qui continueront à commettre des exactions sur le terrain.
Renforcement de l'État
Parallèlement, l'administration Touadéra poursuit également avec ses partenaires un vaste programme de formation des FACA, mettant progressivement en place une garnison dans chaque préfecture - une stratégie chère au président. Une armée plus proche du terrain, qui doit permettre de mieux sécuriser les zones, et de redévelopper l'économie au niveau local. À Bouar, notamment, la deuxième ville du pays, une garnison est déployée, et l'Unité européenne qui aide à la reconstruction des FACA, (EUTM), y développe également un centre de formation.
Quel bilan aujourd’hui ? Peu à peu, donc, les principales villes ont retrouvé des FACA, mais en nombre insuffisant pour faire face aux groupes armés, même si elles ont été appuyées par la Minusca et des Forces de sécurité intérieure (FSI). Ces progrès ont de fait été très fragiles, et de nombreuses villes restent à la merci des groupes armés, qui ont rappelé depuis un mois leur pouvoir de nuisance. Comme l'a souligné ce jeudi 21 janvier Mankeur Ndiaye, le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU en RCA, dans son adresse au Conseil de sécurité, « la République centrafricaine court un grave risque de recul en matière de sécurité et consolidation de la paix, ce qui pourrait saper tout ce que ce Conseil et les partenaires de la République centrafricaine ont contribué à construire ». Il demande une augmentation des effectifs de la Minusca de 3 000 hommes, afin de faire face aux assauts des membres de la CPC.
Particulièrement visés par les attaques de ces derniers jours, figurent les agents de l'État, qui ont fait également leur retour dans l'arrière-pays à travers les préfets et sous-préfets, ainsi qu'avec la présence de fonctionnaires en poste (professeurs, médecins, bien qu'en très faibles effectifs). Un effort financier conséquent a par ailleurs été assuré par la communauté internationale, pour permettre la réhabilitation de bâtiments administratifs, d'écoles, de centres de santé, ou encore pour désenclaver certaines zones. Au niveau économique, les partenaires internationaux et le gouvernement ont adopté un vaste plan national de redressement (RCPCA), destiné à remettre le pays à flot. Et ces dernières années, la croissance a été au rendez-vous, même si elle a été largement dopée par l'aide internationale. Certains des bailleurs les plus importants, comme la Banque mondiale, déplorent cependant le manque de réformes adoptées, susceptibles de rassurer d'éventuels investisseurs.
En matière de justice, également, les audiences criminelles ont redémarré, très suivies par la population, mais la lenteur de la mise en place de la Cour pénale spéciale, un tribunal mixte devant juger les crimes les plus graves commis depuis 2003, laisse un goût amer aux victimes. Ce sentiment d'impunité est encore accru par le fait que les principaux chefs de groupes armés ont été intégrés dans le gouvernement issu de l'accord de paix, alors que leurs organisations ont continué de commettre des exactions sur le terrain, et surtout, n'ont pas ou peu désarmé. En limogeant quatre de ces chefs de guerre lors de son discours du Nouvel an, le 31 décembre 2020, le président Touadéra n'a fait qu'entériner une situation qui ne pouvait plus durer, mais le problème reste entier.
Une diplomatie tous azimuts
En 2016, après l’arrivée au pouvoir de Faustin-Archange Touadéra, la question du réarmement des FACA se heurte à la méfiance de nombreux partenaires internationaux. En effet, des arsenaux entiers sont par le passé tombés entre les mains des rebelles. Mais les forces centrafricaines manquent cruellement d'armes, alors que les groupes armés, eux, se renforcent sans aucun problème, en contournant l'embargo instauré dès 2013 par le Conseil de sécurité.
Le président Touadéra choisit alors la voie des négociations bilatérales, avec de nouveaux partenaires, et particulièrement la Russie, avec laquelle il entame un processus de coopération militaire. Des « instructeurs » privés russes sont envoyés à Bangui dès 2018, officiellement pour apporter un complément de formation aux FACA. Très rapidement, ces instructeurs sont cependant soupçonnés de faire partie de la compagnie Wagner, une société de mercenaires russes opérant déjà en Syrie ou au Soudan. Le flou entretenu par les autorités russes sur le statut de ces forces et sur la nature du matériel envoyé sur le terrain ne sera jamais totalement levé, comme on a pu le voir encore récemment, avec l'imbroglio sur l'envoi, puis le retrait - annoncé - d'hélicoptères et d' « instructeurs » russes appelés en renfort pendant la période électorale.
La France, partenaire traditionnel, mais aussi les États-Unis ou la Grande-Bretagne, se sont fortement inquiétés de l'intrusion de la Russie dans le jeu diplomatique centrafricain. Est-ce pour relever le défi ? Paris a réagi, en augmentant très fortement son aide au développement dans le pays. Mais l'ancienne puissance coloniale a dû faire face à de nombreuses campagnes de presse très virulentes et semble avoir perdu une part de son influence. Sur le plan international, l'activisme diplomatique du président Touadéra a en tout cas partiellement porté ses fruits. A plusieurs reprises, l'embargo sur les armes a été allégé, et des armes ont été livrées aux FACA. Cette semaine, la question de sa levée a de nouveau été posée au Conseil de sécurité, mais le ministère centrafricain des Affaires étrangères s'est heurté aux mêmes réticences.
Comme lors de son arrivée au pouvoir en 2016, le président réélu démarre son nouveau mandat avec une situation de conflit armé complexe, dans un pays où les acteurs diplomatiques et militaires se sont multipliés. Il faudra certainement que le professeur de mathématiques Faustin Archange Touadéra use de toute sa science pour résoudre cette équation à multiples inconnues.
Armes, jeu trouble de groupes miniers... ce que dit le rapport de l'ONU sur la Centrafrique
https://www.rfi.fr/ 22/01/2021 - 23:03
Le panel d’experts des Nations unies chargé de documenter d’éventuelles violations de l’embargo sur les armes en Centrafrique a présenté son rapport annuel intermédiaire à New York jeudi 21 janvier. Il ne sera rendu public qu’à la fin du mois, mais RFI a pu consulter le document, et en dévoile les principales conclusions.
Les investigations contenues dans ce rapport datent pour l’essentiel d’avant l’élection de décembre et la formation de CPC, cette coalition rebelle qui menace aujourd’hui le pouvoir de Bangui. Les experts qualifient tout de même de « central » le rôle joué par l’ex-président François Bozizé – déjà sous sanctions de l’ONU – dans la mise sur pied de cette coalition.
Concernant les livraisons d’armes dans le pays – autorisées à certaines conditions –, les experts rappellent les forces armées centrafricaines à leur obligation d’assurer la protection et la traçabilité de leurs stocks. Ils soulignent en effet que du matériel militaire arrivé en octobre dernier à Bangui en provenance de Russie n’avait pas été enregistré par la Centrafrique au mois de décembre, et disent avoir des preuves que certains de ces équipements se sont retrouvés fin décembre à Boali aux mains de groupes armés membres de la CPC, 3R et anti-balaka précisément. Les experts affirment aussi que « la plupart des notifications » de livraisons d’armes que les États adressent au comité de sanctions sont trop lacunaires, ce qui rend difficile l’application de l’embargo.
Autre fait saillant documenté dans ce rapport, la façon dont l’UPC, l’un des plus puissants groupes armés du pays, tire ses revenus d’un système de taxation sur l’exploitation du business des mines d'or dans la région de Bambari. Les experts accusent ce groupe armé d’avoir en place une véritable « administration parallèle » à celle de l’État centrafricain. Ils décrivent comment des agents sont chargés pour le compte le compte de l'UPC de prélever les taxes minières à la place des autorités, sous peine de représailles parfois, puis d’acheminer les fonds ainsi collectés vers Bokolobo où réside le chef du groupe Ali Darassa.
Complicité
En toile de fonds, les experts dénoncent surtout la complicité dont font preuve, selon eux, plusieurs entreprises d’extraction d’or présentes sur place : les entreprises IMC, l’Industrie minière de Centrafrique à capitaux chinois, et Midas, une entreprise officiellement malgache, « réputée proche de la Russie » selon Africa Intelligence.
PUBLICITCes deux entreprises sont entre autres accusées de payer directement des membres de l’UPC pour assurer la sécurité de leurs sites, et donc de financer le groupe armé en violation flagrante du régime de sanctions des Nations unies. L’an dernier, selon une enquête de RFI, l’entreprise Axmin enregistrée au Canada, avait refusé de poursuivre son exploitation de Ndassima dans ces conditions. Selon l'entreprise, cette exploitation était impossible sans passer d’accord avec des groupes armés.
► A lire aussi : Centrafrique: pour tout l’or de Ndassima
Enfin, le groupe d’experts de l'ONU insiste sur « l’absence » de représentants de l’État dans ces zones d’exploitation de l’or. Un officiel qu’ils ont interrogé raconte même avoir été arrêté et retenu pendant sept heures par l’UPC pour avoir tenté de se rendre sur le site minier de Ndassima 2.
Interrogée par le panel d’experts, Midas a répondu ne pas être informée de la présence de I’UPC dans la zone. L’entreprise a ensuite fourni aux experts une lettre signée du ministère de l’Intérieur adressée à la compagnie, dans laquelle il est écrit que Midas ne travaille pas avec les groupes armés.
IMC n’a pas répondu aux accusations des experts.
Crise sécuritaire en Centrafrique: plus de 60 000 réfugiés ont déjà fui le pays
https://www.rfi.fr/ Avec notre envoyée spéciale à Bangui, Florence Morice
Près de 60 000 Centrafricains se sont réfugiés dans des pays voisins au cours du mois dernier mois, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). La plupart ont fui en RDC, les autres sont répartis entre le Cameroun, le Tchad et à la marge le Congo-Brazzaville. Beaucoup fuient les combats qui opposent la rébellion lancée à la veille du scrutin, aux forces centrafricaines et ses alliés. Certains témoignent aussi d’exactions infligées par la coalition de groupes armés en lutte contre le pouvoir de Bangui.
Certains ont pris la route de l’exil avant même l’élection de décembre, mais c’est mi-janvier que le mouvement de départ vers les pays voisins s’est accéléré suite à la prise de Bangassou par les rebelles et à leur offensive en périphérie de Bangui.
Parmi ces 60 000 réfugiés, certains avaient déjà quitté la Centrafrique lors de la crise de 2013 ou plus récemment et venaient tout juste de rentrer chez eux. « À Bangassou, il y a des gens qui sont retournés de nouveau en RDC, au Cameroun, donc il y a pas mal de rapatriés spontanés, malheureusement, qui ont repris le chemin de l’asile, encore une fois », nous explique Hamdi Bukhari, le représentant du HCR en Centrafrique.
Que fuient-ils ? Le plus souvent, un climat général de violence répond le HCR, mais une partie d’entre eux, ce sont les exactions qu’ils disent avoir subies. « Il y a des gens à qui on a coupé les oreilles, parce qu’ils ont voté, ou leurs doigts, parce que, tout simplement, certains groupes ne voulaient pas que ces réfugiés se présentent au bureau de vote. D’autres personnes ont subi des représailles, parce qu’ils font partie de l’administration locale. Et il y a eu aussi des cas de viols dans un climat d’insécurité, etc. », ajoute Hamdi Bukhari.
Ces réfugiés bénéficient pour le moment de « très peu d’assistance », déplorent des sources humanitaires. Certaines structures d’accueil sont dépassées, et les arrivées continuent. « Il y a des défis logistiques importants », mais « les choses avancent », répond le HCR, qui mène actuellement une campagne d’enregistrement de ces réfugiés.