Premier épisode : La marche impériale
Il a voulu qu’on l’appelle Monsieur le président à vie, Monsieur le Maréchal et Son Altesse Impériale. On lui a rétorqué qu’il était un ogre, un soudard et un bouffon. Voici l’histoire de Jean-Bedel Bokassa, ou l’itinéraire extraordinaire d’un soldat de la Coloniale.
Jean-Bedel Bokassa est un homme qui veut tout et pour qui tout n’est pas encore suffisant.
1939 : engagé volontaire dans l’Armée coloniale à Brazzaville ; 1950 : Adjudant ; 1961 : Capitaine ; 1966 : président de la République Centrafricaine ; 1972 : président à vie ; 1974 : Maréchal ; 1977 : Empereur de Centrafrique. Si Jean-Bedel Bokassa a pu réaliser ses fantasmes mégalomaniaques et vivre sa propre apothéose, c’est qu’il a été soutenu par la France. Du moins aussi longtemps qu’elle a jugé raisonnable de le faire.
La Centrafrique est un ancien territoire de l’Afrique Equatoriale Française. Et à son indépendance, en 1960, pas question pour la France de perdre son influence dans son ancienne colonie. Ce n’est pas tant pour les diamants et l’uranium de son sous-sol que pour sa position de pivot de l’Afrique centrale, là, entre le Tchad, le Soudan et le Zaïre. Alors, quand le fantasque colonel Bokassa prend le pouvoir, la France s'accommode de cet allié africain, qui a le malheur d’être imprévisible, mais l’intérêt d’assurer la stabilité de son pouvoir en éliminant tous ses opposants.
Depuis bientôt douze ans, Bangui est le théâtre d’un spectacle tragi-comique dont, parfois amusés mais le plus souvent inquiets, nous suivons avec attention les péripéties. Le 4 décembre prochain, un nouvel épisode trouvera son dénouement. Rien ne permet d’affirmer que ce sera le dernier. On peut cependant se demander si, déjà, le héros n’a pas poussé trop loin son avantage car le public est las, pour ne pas dire plus, d’un spectacle qui, depuis le Jour de l’An de 1966, est représenté au seul bénéfice - ou presque - du premier rôle.
Note de l’Ambassadeur Robert Picquet à Guy de Guiringaud, Ministre des Affaires Étrangères, 28 octobre 1977.
Le personnage lui-même (Jean-Bedel Bokassa) c’est un personnage de roman en quelque sorte. Quelqu’un qui a cru à l’axiome que tout soldat avait dans sa giberne un bâton de maréchal et il a fait même plus puisqu’il est devenu empereur par sa simple volonté. Alors évidemment la presse et les circonstances de l’époque en ont fait un clown, ce qu’il n’était pas. C’était un homme intelligent mais enfin typique de cette époque si vous voulez, c’est-à-dire c’était la fin de l’époque coloniale. Patrick Rougelet
Mais c’est étrange, Jean-Bedel Bokassa se conçoit plus comme le meilleur représentant de la France en Centrafrique que comme le chef d’un Etat indépendant. Il appelle Charles de Gaulle “Papa” - qui lui rend mal en l’appelant le “soudard” - puis Valéry Giscard d’Estaing “mon cher parent” ou “mon cousin”. Il admire, il adore la France. Il la fantasme, au point de se couronner lui-même, le 4 décembre 1977, Empereur de Centrafrique, en reproduisant une pâle et ubuesque copie du sacre de Napoléon, une farce financée par la France. Jean-Bedel Bokassa, l’ancien engagé de la Coloniale, est maintenant l’un des trois derniers Empereurs au monde, avec l’Empereur du Japon et le Shah d’Iran. Et d’une certaine manière, c’est un Empereur français.
Jean-Bedel Bokassa ça a été l’un des pires dirigeants centrafricains pour moi. Donc Jean-Bedel Bokassa… Je sais pas, ça ne me donne pas de bon souvenir… J’ai jamais aimé prononcer ce nom. Yvonne Mété-Nguemeu
Intervenants
- Marie-France Bokassa, fille de Jean-Bedel Bokassa, auteur de Au château de l’Ogre, Flammarion, 2019
- Yvonne Mété-Nguemeu, franco-centrafricaine et ancienne leader des manifestations étudiantes contre le régime de Jean-Bedel Bokassa en 1979
- Jean-Pierre Bat, archiviste-paléographe, chercheur affilié au CNRS, anciennement chargé d’études et responsables du fonds Foccart aux Archives Nationales et auteur de Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à nos jours (2012, Gallimard).
- Patrick Rougelet, ancien commissaire principal des renseignements généraux et chargé de la surveillance de Jean-Bedel Bokassa à Hardricourt de 1983 à 1985 et auteur deRG, la machine à scandale (1997, Albin Michel).
Remerciements à
Anne Cros, à Saber Jendoubi, à Colette Guyomard et à Guy Mongo.
Un documentaire de Romain Weber réalisé par Yvon Croizier. Archives INA, Anne Delaveau. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France et Quentin Vaganay.
Écouter
Écouter Le 04 janvier 1977 : Journal d'information de France Inter sur la cérémonie du couronnement de Bokassa 1er.
1 MIN
Le 04 janvier 1977 : Journal d'information de France Inter sur la cérémonie du couronnement de Bokassa 1er.
Bibliographie
- Au Château de l’Ogre (2019, Flammarion) de Marie-France Bokassa, fille de Jean-Bebel Bokassa
- Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à nos jours(2012, Gallimard) de Jean-Pierre Bat, chercheur associé au CNRS, anciennement chargé d’études et responsables du fonds Foccart aux Archives Nationales
- RG, la machine à scandale (1997, Albin Michel) de Patrick Rougelet, un ancien commissaire principal des Renseignements Généraux
- Bokassa 1er (1977, Alain Moreau éditions) de Pierre Péan, journaliste
- Bokassa 1er, un Empereur français (2000, Calmann-Lévy) de Géraldine Faes et Stephen Smith, respectivement grand reporter et professeur des universités
Second épisode : la vie de château
Dans la petite commune d’Hardricourt, dans les Yvelines, se trouve un château. Là, entre 1983 et 1986 a vécu un ex-empereur avec 15 de ses 54 enfants.
La France soutient Jean-Bedel Bokassa jusqu’à ce que ses excès pèsent plus lourd que l'intérêt de le maintenir à son poste. Alors, en septembre 1979, après que des soulèvement d’écoliers et d’étudiants sont réprimés dans le sang et que Bokassa 1er s’est rapproché de la Libye de Kadhafi, la France le renverse. Voilà Jean-Bedel Bokassa trahi par son “parent” Giscard d’Estaing - à qui il reproche, en plus de l’avoir évincé, de lui avoir piqué sa femme l’Impératrice Catherine - voilà le cruel autocrate contraint de partir en exil.
Et, paradoxalement, après un épisode dans la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, cet exil le conduit dans les Yvelines. Il argue de sa nationalité française, lui qui a passé 23 années dans l’armée française. La France, elle, lui dénie. Mais il est chez lui au château d’Hardricourt, même s’il est sous surveillance des renseignements généraux. Pendant 3 ans, il règne sur ses enfants comme il le faisait sur la Centrafrique : en tyran. Et, dans ce qui est maintenant la France de Mitterrand, qui lui rend bien de s’être vengé de Valéry Giscard d’Estaing en dévoilant l’affaire des diamants, Jean-Bedel Bokassa se démène pour rentrer en Centrafrique et pour faire taire ces fausses rumeurs de cannibalisme qui ne le quittent pas. Car à la table de l’Empereur, dit-on, on sert de la chair humaine…
Je ne suis pas ex-Empereur. Je suis l’Empereur de Centrafrique. J’avais 17 épouses. Ben oui… Et grâce aux 17 épouses, j’ai eu 54 enfants. Mais ne dites pas “Bokassa a tué quelqu’un”, “Bokassa a mangé quelqu’un”, “Bokassa a fait ceci, Bokassa…”, non ! C’est de la haute jalousie. Au lieu de me créer une honte comme ça a été fait par la presse française, je préfère à ce moment que l’on tue Bokassa carrément et puis c’est fini ! Je demande au gouvernement français de m’autoriser de rentrer chez moi.
Conférence de presse de Jean-Bedel Bokassa au Château d’Hardricourt, septembre 1984
Octobre 1986 : Jean-Bedel Bokassa parvient à rentrer en Centrafrique. Pour se faire juger par son peuple, dit-il, à moins que ce ne soit pour tenter de récupérer le pouvoir. Il est placé en prison, puis amnistié par le président Kolingba en 1993. Il meurt en 1996, à 75 ans, après être passé par une crise mystique. Il ne signe plus “Son Altesse Impériale”, mais “L”Apôtre’, le 6ème du Christ, pour être plus précis. C’était bien le dernier titre que l’étonnant et le cruel Jean-Bedel Bokassa n’avait pas.
Bokassa va précisément apprendre qu’il est renversé sans une goutte de sang alors qu’il n’est pas sur le territoire national. Le réflexe assez rapide de Bokassa c’est de chercher un pays refuge et le paradoxe ou l’ironie de l’histoire c’est qu’en tant qu’ancien soldat français il considère que son refuge, c’est son domicile personnel dans sa vraie patrie d’adoption, à Hardricourt en France. Jean-Pierre Bat Bokassa va précisément apprendre qu’il est renversé sans une goutte de sang alors qu’il n’est pas sur le territoire national. Le réflexe assez rapide de Bokassa c’est de chercher un pays refuge et le paradoxe ou l’ironie de l’histoire c’est qu’en tant qu’ancien soldat français il considère que son refuge, c’est son domicile personnel dans sa vraie patrie d’adoption, à Hardricourt en France. Jean-Pierre Bat
Le 12 janvier 2011 : La réaction de Georges Bokassa (fils de Jean-Bedel Bokassa) sur la vente aux enchères du château d'Hadricourt sur France Inter.
Alors pourquoi Mitterrand accepte son retour (le retour de Bokassa en France en 1983) ? D’abord parce que, il faut bien l’admettre, l’Affaire des diamants a largement servi sinon la politique du moins la stratégie électorale de Mitterrand en 1981. Deuxièmement, c’est un fait oublié, parce que Mitterrand est assez respectueux, en tant qu’ancien ministre des colonies, des vétérans des guerres coloniales. Jean-Pierre Bat
Intervenants
- Marie-France Bokassa, fille de Jean-Bedel Bokassa, auteur de Au Château de l’Ogre, Flammarion, 2019
- Yvonne Mété-Nguemeu, franco-centrafricaine et ancienne leader des manifestations étudiantes contre le régime de Jean-Bedel Bokassa en 1979
- Jean-Pierre Bat, archiviste-paléographe, chercheur affilié au CNRS, anciennement chargé d’études et responsables du fonds Foccart aux Archives Nationales et auteur de Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à nos jours (2012, Gallimard)
- Patrick Rougelet, ancien commissaire principal des renseignements généraux et chargé de la surveillance de Jean-Bedel Bokassa à Hardricourt de 1983 à 1985 et auteur de RG, la machine à scandale (1997, Albin Michel)
Remerciements à
Anne Cros, à Saber Jendoubi, à Colette Guyomard et à Guy Mongo.
Un documentaire de Romain Weber réalisé par Yvon Croizier. Archives INA, Anne Delaveau. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France et Quentin Vaganay.
Bibliographie
- Au Château de l’Ogre (2019, Flammarion) de Marie-France Bokassa, fille de Jean-Bebel Bokassa
- Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique de 1959 à nos jours (2012, Gallimard) de Jean-Pierre Bat, chercheur associé au CNRS et anciennement chargé d’études et responsables du fonds Foccart aux Archives Nationales
- RG, la machine à scandale (1997, Albin Michel) de Patrick Rougelet, un ancien commissaire principal des Renseignements Généraux
- Bokassa 1er (1977, Alain Moreau éditions) de Pierre Péan, journaliste
- Bokassa 1er, un Empereur français (2000, Calmann-Lévy) de Géraldine Faes et Stephen Smith, respectivement grand reporter et professeur des universités