Les évêques centrafricains s’inquiètent de l’omniprésence des groupes armés
https://www.la-croix.com/ Lucie Sarr, le 07/09/2020 à 12:40
Dimanche 6 septembre, les évêques de la République centrafricaine ont rendu publique une lettre pastorale intitulée « fais sortir mon peuple ». Dans ce texte, ils s’adressent aux acteurs politiques à trois mois des élections présidentielle et législatives et s’inquiètent de l’omniprésence des groupes armés dans le pays.
À la veille des élections couplées (présidentielle et législatives) du 27 décembre 2020, l’épiscopat de la République centrafricaine a interpellé les différents acteurs de la vie politique du pays dans une lettre pastorale publiée dimanche 6 septembre.
Dans ce texte, les évêques font part de leur inquiétude quant à la situation qui prévaut en Centrafrique avec l’omniprésence des groupes armés malgré l’accord de paix de 2019. « Nous constatons avec amertume que 70 % voire 80 % de notre pays est encore occupé par des groupes armés dont certains des plus farouches leaders sont des mercenaires, regrette l’épiscopat centrafricain. Ils sont impliqués dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes environnementaux et des pillages à grande échelle de nos ressources minières. »
La question des groupes armés
Depuis le début de la crise en Centrafrique en 2013, 8 accords ont été signés entre le gouvernement et les groupes armés. Le dernier a été conclu le 6 février 2019. À cette date, le président Touadéra avait signé, avec 14 groupes armés, à Khartoum, au Soudan, un accord de paix dans lequel les parties s’engageaient à renoncer aux recours aux armes pour régler leurs différends. Mais la mise en œuvre de l’accord se heurte à de nombreuses difficultés comme le font remarquer les évêques et pire, selon eux, l’accord de Khartoum profite aux groupes armés. « Les seigneurs de guerre tirent profit de l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine, font-ils remarquer. Ils jouissent en conséquence de tous les privilèges, en particulier la pleine liberté de mouvement et l’impunité malgré la poursuite discontinue des exactions sur le terrain. L’accès aux autorités leur est garanti. Ils se plaisent dans le business de la guerre, érigé en modèle économique du sang humain. Sûrs de la protection de leurs parrains, ils soutiennent, organisent, installent et enracinent partout dans le pays la transhumance armée et tiennent une administration parallèle. »
Qualité des élections
L’épiscopat de Centrafrique se pose, par ailleurs, des questions sur la qualité des élections à venir et sur la fiabilité des résultats qui en découleront. « Que pouvons-nous dire des échéances électorales qui se projettent dans notre pays ? se demande-t-il. Seront-elles des élections crédibles et acceptées ou des élections contestées et suivies de scènes de violences ? Y a-t-il à l’heure actuelle un climat de confiance ou de méfiance ? À quels types d’alliances politiques assistons-nous ? Les candidats aux élections présidentielles et législatives sont-ils prêts à signer et à respecter un code de bonne conduite ? ».
Le 25 juillet, l’ancien président François Bozizé (déchu à la suite de la crise de 2013) a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Tout comme lui, Catherine Samba-Panza, ancienne présidente centrafricaine - qui a dirigé le pays pendant la période de transition, entre janvier 2014 et janvier 2016- a annoncé sa candidature le 28 août. Celles de Michel Djotodia- qui s’est autoproclamé président après la chute de Bozizé- et du président sortant Faustin Touadéra sont également attendues.
Appel à la responsabilité
Pour garantir le libre jeu de la démocratie, la Conférence épiscopale centrafricaine demande aux différents acteurs d’assumer les responsabilités qui leur incombent. Elle invite ainsi le gouvernement à éviter une « ingérence des pouvoirs publics dans le processus électoral ». À l’autorité l’Autorité nationale des élections (ANE), elle rappelle la nécessité de ne pas céder aux pressions mais également de mettre en place un mécanisme de prévention de toute fraude électorale. Les partis politiques quant à eux, sont invités faire leurs certains principes dont les plus importants sont de garantir l’unité nationale, la paix et la sécurité et le respect des droits humains.
Les "seigneurs de guerre" fustigés par les évêques centrafricains
06 septembre 2020 AFP
Les évêques de Centrafrique ont vivement dénoncé la mainmise des groupes armés qui ravagent le pays dans une lettre publiée dimanche, alors qu'approchent les élections prévues en décembre.
La Centrafrique est toujours en proie aux exactions des milices depuis qu'une coalition de groupes armés a renversé le régime du président François Bozizé en 2013.
La signature d'un accord de paix entre le gouvernement et 14 groupes armés en février 2019, n'a pas permis de ramener la sécurité dans une grande partie du territoire.
"Les seigneurs de guerre tirent profit de l'Accord politique pour la paix et la réconciliation en République Centrafricaine", écrivent les auteurs de la lettre.
Ces leaders rebelles "jouissent de tous les privilèges, en particulier la pleine liberté de mouvement et l’impunité malgré la poursuite discontinue des exactions sur le terrain. L'accès aux autorités leur est garanti. Ils se plaisent dans le business de la guerre, érigé en modèle économique du sang humain", fustigent les évêques centrafricains.
Les auteurs critiquent également le gouvernement: l'Etat, selon eux, "n'est plus totalement en mesure de bâtir des politiques publiques profitables à la population".
Toutefois, les évêques évoquent des "signes d'espérance", à quatre mois de la présidentielle : la reconstruction de l'armée nationale, avec le soutien de l'Union européenne et de la Russie, ainsi que le redéploiement de l'autorité de l'Etat dans plusieurs provinces du pays.
Forte présence des groupes armés : Centrafrique, les évêques interpellent les politiciens
https://www.afrik.com/ Par Daouda Ndour 8 septembre 2020
C’est par une correspondance adressée aux hommes politiques que les évêques centrafricains ont fait connaître leur inquiétude par rapport à la présence intempestive des groupes armés, en particulier, à l’approche des élections présidentielles.
« Fais sortir mon peuple », tel est le titre d’une lettre pastorale rendue publique, dimanche 6 septembre 2020, par les évêques de la République centrafricaine. Une correspondance épistolaire à travers laquelle ils s’adressent aux acteurs politiques, à trois mois seulement des élections présidentielles et législatives. Ils s’inquiètent de l’omniprésence des groupes armés dans leur pays.
« Nous constatons, avec amertume, que 70% voire 80% de notre pays est encore occupé par des groupes armés dont certains des plus farouches leaders sont des mercenaires. Ils sont impliqués dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes environnementaux et des pillages à grande échelle de nos ressources minières », peut-on lire dans la correspondance rédigée par l’épiscopat centrafricain.
Des inquiétudes d’autant plus fondées que, depuis 2013, des groupes armés se sont très bien installés en Centrafrique où ils font la loi. L’économie politique du conflit et l’espace d’action largement ouvert expliquent, entre autres, cette prolifération d’armes et de groupes armés en Centrafrique.
Dans un espace politique caractérisé par l’extrême pauvreté et l’inversion du contrat social, le « business conflict model » des groupes armés est très attractif, y compris pour les acteurs politiques de Bangui et des communautés en quête de protection et de moyens de survie. C’est l’une des raisons principales qui font que l’écosystème des groupes armés reste fondamentalement ouvert en Centrafrique.
Centrafrique: des évêques dénoncent la mainmise des groupes armés qui ravagent le pays
https://www.rfi.fr/ 08/09/2020 - 00:09
Dans une lettre publiée, ce dimanche, ils dénoncent les exactions commises par ces factions qui, rappellent-ils, se sont pourtant engagées à renoncer aux armes et à la violence. En effet, 14 groupes armés ont signé un accord de paix avec le gouvernement, il y a 18 mois. Mais sur le terrain, ils contrôlent toujours 80% du territoire.
Ces groupes armés imposent leur loi. Pour nous, cela reste une préoccupation. Est-ce que les élections ne vont pas être monnayées entre les leaders politiques et ces groupes armés?Monseigneur Nestor-Désiré Nongo Aziagbia, évêque de Bossangoa et président de la Conférence épiscopale centrafricaine
Alexandra Brangeon
Dans leur communiqué, les évêques sont sévères : « les seigneurs de guerre se plaisent dans le business de la guerre, érigé en modèle économique du sang humain. » « Ils tirent profit de l’accord politique pour la paix », sans contrepartie décrie Monseigneur Nestor-Désiré Nongo Aziagbia.
Nous les avons interpellés dans notre message à être cohérents avec eux-mêmes. Ils ont signé librement un accord de paix. (…) La réalité est là pour nous dire que cet accord de paix n’a pas été respecté par ces groupes armés.
Monseigneur Nestor-Désiré Nongo Aziagbia, évêque de Bossangoa et président de la Conférence épiscopale centrafricaine
Alexandra Brangeon
Les évêques critiquent également le gouvernement qui, selon eux, n’est plus en mesure de bâtir des politiques publiques profitables à la population.
B) SIGNES D’INQUIETUDES
9. Chers sœurs et frères, sur le plan politique, nous nous interrogeons sur l’efficacité des institutions républicaines dans la reconstruction de notre pays. Nous constatons avec amertume que 70% voire 80% de notre pays est encore occupé par des groupes armés dont certains des plus farouches leaders sont des mercenaires. Ils sont impliqués dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes environnementaux et des pillages à grande échelle de nos ressources minières. Au regard de l’article 5 des dispositions de l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine, les groupes armés se sont engagés à « renoncer au recours aux armes et à la violence pour faire valoir toute forme de revendication », « procéder…à la dissolution intégrale des groupes armés… », « mettre immédiatement fin à toutes formes de recrutement dans les groupes armés y compris d’enfants et d’étrangers ». Mais la situation sur le terrain est loin d’être le cas. Les groupes armés continuent à endeuiller notre pays. Ils ont commis des crimes de sang sur des innocents à Bocaranga, Bohong, Bozoum, Besson, Bouar, Birao, Ndélé, Bria, Lemouna, Koudjili… Ils oppriment les populations par des exactions multiformes. Certains renforcent leur position. Ils recrutent de nouveaux combattants. Ils s’approvisionnent en armements et en munitions. Ils mettent en circulation de nouveaux véhicules flambons neufs. N’auraient-ils pas encore renoncé au projet de partition de notre pays ? Chercheraient-ils à perturber le processus électoral en cours ?
10. Les nouvelles agitations des 3 R et les tentatives de l’UPC de renforcer ses positions à l’est du pays vont à l’encontre de la recherche de la paix. La signature d’une entente entre l’UPC et les 3 R invite à redoubler de vigilance, de réactivité et de fermeté pour éviter toute surprise quant à la partition du pays.
11. Les seigneurs de guerre tirent profit de l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine. Ils jouissent en conséquence de tous les privilèges, en particulier la pleine liberté de mouvement et l’impunité malgré la poursuite discontinue des exactions sur le terrain. L’accès aux autorités leur est garanti. Ils se plaisent dans le business de la guerre, érigé en modèle économique du sang humain. Sûrs de la protection de leurs parrains, ils soutiennent, organisent, installent et enracinent partout dans le pays la transhumance armée et tiennent une administration parallèle. Ils s’opposent à la restauration effective de l’autorité de l’État par les conquêtes de nouvelles 4 localités et les attaques armées contre les institutions de l’État. Cette technique n’est rien d’autre qu’une cynique stratégie de colonisation des terres au détriment des populations évincées de leurs biens et contraintes aux déplacements forcés et dont les droits sont impunément bafoués. Cette stratégie cacherait-elle un plan de purification des autochtones en lieu et place de la transhumance armée ? Comment expliquer la venue massive des éleveurs dans les localités de Bambouti, Obo, Zémio ?
12. La situation sécuritaire globale du pays reste bien préoccupante. Beaucoup d’armes sont en circulation et le processus du DDRR tarde à véritablement prendre son envol. L’impunité accumulée ne présage d’aucune sécurité immédiate pour la population livrée à la merci des crimes humains de tous genres.
13. La démocratie se veut la gestion rigoureuse des libertés individuelles dans la discipline et l’égalité devant la loi. Toutefois, nous regrettons la persistance des actes d’incivisme, de justice populaire à l’égard des personnes accusées de sorcellerie et d’impunité vis-à-vis des grands criminels. Où allons-nous alors ? Quelle société avons-nous choisi pour nos enfants et notre futur ?
14. La fonction de l’Etat ne semble pas encore tenir compte du principe de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Ce principe devrait garantir la pérennité, l’efficacité et le suivi du service administratif. Or, les élections deviennent un prétexte pour remplacer les véritables commis de l’Etat. Les nominations se font par affinité politique au détriment de l’Etat. Et beaucoup de choses se passent comme si l’intérêt individuel de certains privilégiés est plus important que l’intérêt de la nation. Que ferons-nous pour créer les conditions propices à l’établissement d’institutions fortes et à l’émergence des cadres compétents, capables de les porter ?
15. Depuis l’avènement des rebellions armées avec leur panoplie d’innombrables accords politiques, l’Administration est devenue un terrain d’embauche pour des combattants illégaux. L’État, ainsi privé d’une administration de mission au service de l’intérêt général, n’est plus totalement en mesure de bâtir des politiques publiques profitables à la population. Il survit grâce à la solidarité internationale ou à un endettement chronique qui entretient la spirale de la très grande pauvreté.
16. Nous saluons l’appui financier de la Communauté Internationale au budget de fonctionnement de l’Etat. Cependant, aucun pays ne peut vivre à long terme dans cette dynamique de dépendance. Des concessions sont gracieusement offertes à des sociétés étrangères depuis Bangui. Les cahiers de charge ne sont jamais respectés (construction d’infrastructures routières, écoles, centres de santé…) et le pays continue à croupir dans la pauvreté. À qui profitent alors les richesses du pays ?
17. Quelle évaluation pouvons-nous faire du rôle de l’opposition démocratique ? Cette dernière se consacre-t-elle uniquement à combattre le Gouvernement ? L’opposition ne devrait-elle pas aussi faire des propositions 5 constructives pour le relèvement du pays ? A quoi servent réellement les innombrables partis politiques en République Centrafricaine ? La question de la paix et de la sécurité nationale concerne-t-elle seulement le Gouvernement ? Comment collaborer plus efficacement pour des questions d’intérêts communs ?
18. Sur le plan social, le peuple est habité par des attentes déçues. Les mêmes méfaits persistent : ethnicisme, tribalisme, régionalisme, clanisme, corruption, népotisme, clientélisme, détournement, bradage des biens publics ou privés appartenant aux appauvris de la guerre, déplacés, réfugiés, veuves et orphelins… Les victimes désenchantent. Le secteur de l’éducation ne bénéficie pas de tous les appuis nécessaires pour une meilleure préparation de la jeunesse. Avons-nous vraiment le souci de former des cadres compétents, crédibles et dévoués pour l’avenir ? Le pays est-il résolument engagé sur la voie du développement intégral ?
19. Quand on parcourt la République Centrafricaine, il est terrifiant de rencontrer des villages entiers contraints à l’abandon par leurs populations ou incendiés par des criminels impunis. L’état d’insécurité rend des milliers de maisons inhabitables. Des familles préfèrent vivre en exil ou rester sur des sites des déplacés qui sont parfois situés à une centaine de mètres de chez eux. Les victimes attendent désespéramment d’être rétablies dans leurs droits. A quand les réparations maintes fois promises ? Que dire à ces jeunes qui risquent de passer toute leur jeunesse dans des sites de déplacés dans leur propre pays ? A quand la réparation des crimes ? Quels leaders pourront sortir le peuple centrafricain de l’oppression, de la misère, de l’ignorance ?