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19 mai 2020 2 19 /05 /mai /2020 23:13
RCA : LA LEGALITE CONSTITUTIONNELLE DU POUVOIR CONSTITUANT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE suite et fin

 

LA LEGALITE CONSTITUTIONNELLE DU POUVOIR CONSTITUANT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE CENTRAFRICAINE

 

par Me SANDO Wang You

 

  1. Incompétence juridictionnelle de la Cour constitutionnelle en matière de révision de la loi constitutionnelle.

(Articles 95 et 105 de la constitution centrafricaine du 30 mars 2016)

La mission confiée par le peuple centrafricain à la Cour constitutionnelle est de deux ordres : une mission juridictionnelle et une mission consultative.

  1. La mission juridictionnelle de la Cour constitutionnelle.

Cette mission consiste à juger, c’est-à-dire à rendre des décisions qui s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles de l’Etat ; elle est définie à l’article 95 de la constitution et s’étend du contrôle de constitutionalité des lois au contentieux électoral.

Nous nous limiterons, pour le besoin de notre analyse, au contrôle de constitutionalité des lois prévu à l’alinéa 1er de l’article susvisé qui dispose que « La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est chargée de : juger de la constitutionnalité des lois organiques et ordinaires déjà promulguées ou simplement votées… ».

Il ressort clairement de ce texte que le pouvoir juridictionnel de la Cour Constitutionnelle concerne les lois organiques et les lois ordinaires.

Il est important de remarquer que le constituant a tenu à préciser qu’il est question des lois ordinaires et organiques déjà promulguées ou simplement votées, de telle sorte que le contrôle de la Cour constitutionnelle s’effectue a posteriori.

Il est donc évident que la Cour constitutionnelle est Juge des lois votées par l’Assemblée Nationale dans l’exercice de son pouvoir législatif ; ce qui n’est pas le cas pour les lois votées par l’Assemblée Nationale dans l’exercice de son pouvoir constituant.

La précision de ce texte lui donne une clarté qui permet à la cour constitutionnelle de ne pas se méprendre sur sa compétence, afin d’éviter un glissement hasardeux susceptible de fragiliser sa crédibilité qui est nécessaire pour favoriser un jeu politique apaisé entre la majorité et l’opposition.

  1. Sur la mission consultative de la Cour constitutionnelle.

Aux termes de l’article 105 de la constitution, « Les projets ou propositions de loi constitutionnelle sont déférés à la Cour constitutionnelle pour avis par le Président de la République, Le Président de l’Assemblée Nationale ou le Président du Sénat avant d’être soumis au vote du Parlement ou au référendum »

Il en résulte que la mission consultative de la constitution consiste seulement à donner des simples avis.

Il convient de remarquer d’une part, que ce texte vise simplement des projets ou des propositions de loi constitutionnelle, et d’autre part, que ces documents sont soumis à la Cour constitutionnelle pour avis, ce qui lui ôte toute compétence décisionnelle en la matière.

En tout état de cause, il n’existe aucune disposition de la constitution selon laquelle la Cour constitutionnelle serait chargée de juger les lois constitutionnelles.

La mission consultative de la Cour constitutionnelle lui confère un rôle de conseiller technique pour la mise en forme du texte de loi constitutionnelle à adopter. On peut toutefois observer que l’avis prévu par le texte susvisé n’est accompagné d’aucune sanction, de sorte qu’il s’agit d’un simple avis consultatif qui ne lie pas le constituant ni son délégataire ; c’est ce qui est confirmé par l’article 13 alinéa de la Loi organique de la Cour constitutionnelle qui dispose que « Les avis de la Cour constitutionnelle ont valeur consultative. »

En définitive, il n’y a aucune confusion, dans la constitution centrafricaine, entre mission juridictionnelle de la Cour constitutionnelle et sa mission consultative.

Tout recours d’inconstitutionnalité contre les lois portant révision des dispositions constitutionnelles que l’Assemblée Nationale centrafricaine sera amenée à adopter se heurtera incontestablement à l’incompétence de la Cour constitutionnelle.

En effet, la compétence du juge constitutionnel est une compétence matérielle d’attribution, et cette compétence ne se trouve nulle part ailleurs que dans la constitution. C’est pourquoi le juge constitutionnel doit, lorsqu’il est saisi d’une requête, s’assurer que la constitution lui a expressément donné la compétence de se prononcer sur la question qui lui est soumise, sous peine de violer lui-même la constitution.

C’est ainsi que le Conseil constitutionnel français, lorsqu’il a été saisi d’une requête tendant à apprécier la conformité de la loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct adoptée par référendum du 28 octobre 1962 à la Constitution, s’était déclaré incompétent au motif qu’aucune disposition de la constitution ne lui a attribué une telle compétence. (CC, 6 nov. 1962, n° 62-20 DC)

Et il a réitéré cette jurisprudence dans sa décision du 26 mars 2003 dont il convient de rappeler le considérant principal:« Considérant que l'article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d'apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et, lorsqu'elles lui sont déférées dans les conditions fixées par cet article, des lois ordinaires ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » (CC. 26 mars 2003 - Décision N° 2003-469)

Le Conseil constitutionnel sénégalais et la Cour constitutionnelle de l’Union des Comores se sont prononcés dans le même sens.

Dans sa décision du 18 janvier 2006, le Conseil constitutionnel sénégalais s’est prononcé dans les termes suivants:  « Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la Constitution et la loi organique sur le Conseil constitutionnel ; que le Conseil ne saurait être appelé à se prononcer dans d’autres cas que ceux limitativement prévus par ces textes ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni des articles 74 et 103 de la Constitution ni d’aucune disposition de la loi organique le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » (CC. 18 janv. 2006, n° 3/C/2005)

Cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil constitutionnel sénégalais dans sa décision du 18 juin 2009 (CC. 18 juin 2009, n° 2/C/2009)

 

C’est également en ce sens que la Cour constitutionnelle de l’Union des Comores a établi sa jurisprudence. Ainsi, dans son arrêt du 6 mai 2009, la Haute Cour comorienne a considéré que « la Cour Constitutionnelle n’est pas compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi référendaire portant révision de certaines dispositions de la Constitution de 1'Union des Comores du 23 décembre 2001. » (CC. 6 mai 2009, n° 09-009). Elle a réitéré cette jurisprudence dans sa décision du 19 mai 2009 concernant la loi référendaire portant révision de certaines dispositions de la constitution. (CC. 19 mai 2009, n° 09-012)

En refusant d’exercer un contrôle de constitutionalité sur des lois de révision constitutionnelle sans y être autorisé, le juge constitutionnel rappelle que le pouvoir constituant est, et demeure, souverain.

Il serait inconstitutionnel qu’une juridiction constitutionnelle qui est chargée de garantir le respect de la constitution s’attribue une compétence que la constitution ne lui a pas donnée.

C’est pourquoi la question de compétence est une question d’ordre publique que le juge constitutionnel doit soulever d’office avant tout débat au fond; c’est à ce prix que le juge constitutionnel peut gagner en crédibilité et contribuer efficacement au maintien de la paix sociale.

Le survol de la jurisprudence constitutionnelle des Etats africains sur le contrôle de constitutionnalité de révision constitutionnelle révèle un nombre très limité des contentieux en la matière. Les juridictions constitutionnelles africaines qui ont eu à exercer des contrôles de constitutionalité sur les lois portant révision de la constitution, l’ont fait soit en violation de la constitution comme c’est le cas du Bénin, soit par manque de clarté dans la constitution sur la définition de leur pouvoir, et c’est le cas du Niger et du Burkina-Faso.

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel du Bénin révèle que cette juridiction s’est attribuée, de façon toute à fait inconstitutionnelle, la compétence d’exercer un contrôle de constitutionnalité sur les lois de révision constitutionnelle ; et l’on peut remarquer avec étonnement dans les arrêts de ce Conseil constitutionnel relatifs à la révision constitutionnelle, qu’ils ne comportent aucun exposé du fondement de sa compétence. Il s’en déduit que le Conseil constitutionnel béninois n’est pas honnête avec lui-même lorsqu’il exerce un contrôle de constitutionalité sur la révision constitutionnelle ; c’est pourquoi il élude d’examiner dans ses arrêts, la question de sa compétence afin de pouvoir se permettre d’exercer une compétence qu’il n’a pas. (CC. 30 sept. 2011, n° 11-065 ; CC. 19 août 2014,  n° 14-156). C’est donc à juste titre que la crédibilité et la légitimité du Conseil constitutionnel béninois sont souvent entachées.

 

Ainsi, le Professeur Dario DEGBOE écrit : « Depuis le début des années 2000, la contestation de la légitimité de la cour entraîne sa fragilisation. Certaines décisions « marquées par le goût de la prise de risque et des sensations fortes » ne témoignent pas d’une maîtrise de la modération.

 

À la différence de certains textes constitutionnels, l’acte du 11 décembre 1990, comme celui du 4 octobre 1958, ne prévoit pas explicitement le contrôle de conformité des lois constitutionnelles. Pour autant, la cour béninoise s’estime compétente pour contrôler les actes de révision de la Constitution » (Dario DEGBOE, « Les vicissitudes de la protection des droits et libertés par la Cour constitutionnelle du Bénin » ; Les annales de droit, octobre 2016)

 

En ce qui concerne le Niger, la Cour constitutionnelle du Niger a saisi l’opportunité d’un contentieux électoral pour glisser sur la problématique du contrôle de constitutionalité de révision constitutionnelle. (CC. 12 juin 2009, n° 04/CC/ME)

 

En effet, la Cour constitutionnelle avait été saisie, dans le cadre d’un contentieux électoral, d’une requête en annulation d’un décret présidentiel ayant convoqué le corps électoral à un référendum portant sur la révision intégrale de la constitution nigérienne du 9 août 1999.

Par arrêt susvisé, la Cour constitutionnelle a fait droit à cette requête, et elle a motivé sa décision de la façon suivante : « Considérant qu’en l’état actuel des dispositions constitutionnelles, l’opération projetée par le décret attaqué s’analyse en une révision intégrale de la Constitution en vigueur ; Considérant que toute révision de la Constitution doit obéir aux dispositions du titre XII de la Constitution, notamment celles des articles 135 et 136… »

 

Il en résulte que la Cour constitutionnelle a pris une position ferme sur la révision constitutionnelle, alors même qu’elle a fondé sa compétence sur l’article 104 du Code électoral qui dispose que « le recours pour excès de pouvoir en matière électorale est porté devant la Cour constitutionnelle sans recours administratif préalable ».

 

Cette décision de la Cour constitutionnelle nigérienne appelle cependant deux observations :

 

En premier lieu, le décret présidentiel qui lui a été déféré n’est pas une loi votée par le parlement dans le cadre de l’exercice du pouvoir constituant du peuple nigérien ; ce qui n’a pas permis à la Cour constitutionnelle de devoir se prononcer clairement sur le fondement de sa compétence à exercer le contrôle de constitutionalité sur une loi portant révision de la constitution au sens de l’article 174 alinéa 2 qui dispose que « Si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquième des membres de l'Assemblée nationale, la révision est acquise. »

 

En second lieu, le manque de précision et de clarté dans la définition du pouvoir de la Cour constitutionnelle dans la constitution est de nature à justifier l’exercice d’un tel contrôle.

 

En effet, aux termes de l’article 120 de la constitution nigérienne applicable, « La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. Elle est chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux à la Constitution… » .

 

L’article 126 alinéa 2 du même texte dispose que « La Cour constitutionnelle se prononce par arrêt sur la constitutionnalité des lois ; »

 

Il se trouve que la nature des lois sur lesquelles le pouvoir de contrôle de constitutionalité est attribué à la Cour constitutionnelle n’est pas déterminée, de telle sorte que ces lois peuvent parfaitement comprendre non seulement les lois organiques et ordinaires mais également les lois constitutionnelles. Ce qui peut permettre de considérer que la constitution a attribué à la Cour constitutionnelle la compétence d’exercer un contrôle de constitutionalité sur les constitutionnelles.

C’est également le cas du Conseil constitutionnel du Burkina-Faso qui a évité d’examiner la question de sa compétence afin de se permettre d’exercer un contrôle de constitutionalité sur la loi portant révision de la constitution adoptée par l’Assemblée Nationale le 18 mai 2012. (CC. 21 mai 2012, n° 2012-009/CC)

Cependant, le problème de la compétence du Conseil constitutionnel du Burkina-Faso se pose dans les mêmes termes que celui de la Cour constitutionnelle du Niger.

 

En effet, l’article 152 de la constitution burkinabé du 11 juin 1991 dispose que « Le Conseil constitutionnel est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale. Il est chargé de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que la conformité des traités et accords internationaux avec la Constitution…»

 

Etant que le Conseil constitutionnel peut statuer la constitutionalité des lois sans distinction, alors que les lois comprennent les lois constitutionnelles, les lois organiques les lois ordinaires, on peut considérer que la constitution a attribué au Conseil constitutionnel la compétence d’exercer un contrôle de constitutionalité sur les constitutionnelles.

 

En conséquence, en exerçant un contrôle de constitutionalité sur des lois de révision constitutionnelle avec l’autorisation de la constitution, la Cour constitutionnelle du Niger et le  Conseil constitutionnel du Burkina-Faso rappellent, comme le Conseil constitutionnel français et le Conseil constitutionnel sénégalais, que le pouvoir constituant est, et demeure, souverain.

 

En effet, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Niger et celle du Conseil constitutionnel du Burkina-Faso confirment que l’exercice du pouvoir de contrôler la constitutionalité des lois portant révision de la constitution n’est possible que si ce pouvoir est accordé au juge constitutionnel par la constitution ; et cela va dans le même sens que la jurisprudence constitutionnelle française et sénégalaise selon lesquelles le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour exercer un contrôle de constitutionalité sur une loi portant révision de la constitution si la constitution ne lui a pas attribué une telle compétence.

 

Tel est le cas de la Cour constitutionnelle centrafricaine à laquelle la constitution n’a pas attribué la compétence d’exercer un contrôle de constitutionalité sur une loi portant révision de la constitution.

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel béninois reste marginalisée et doit susciter une méfiance en raison de l’arbitraire qu’entretient cet organe.

 

Nous sommes d’avis avec le Professeur Dario DEGBOE que « La propension du juge constitutionnel à l’élargissement de ses compétences donne l’impression d’un pouvoir sans limite …. Puisque la modification du texte constitutionnel ne peut être empêchée ad vitam aeternam, elle risque de se produire « en dehors des formes et par d’autres organes que ceux auxquels est confié le pouvoir de révision, par la force ». (Les vicissitudes de la protection des droits et libertés par la Cour constitutionnelle du Bénin » ; Les annales de droit, octobre 2016)

 

La justice constitutionnelle est la clef de voûte d’un Etat de droit lorsqu’elle gagne en crédibilité et en légitimité. C’est pourquoi elle doit respecter elle-même la constitution afin d’être apte à pouvoir empêcher la majorité présidentielle de franchir les limites tracées par la constitution. A cet effet, la constitution doit être rédigée de façon claire et précise et éviter de contenir, pour des raisons conjoncturelles, des dispositions créant de situations bloquées ; étant rappelé que toute situation évolue.

Si le report des élections prévues le 27 décembre 2020 est nécessaire, il est cependant tributaire de l’évolution de la pandémie de Coronavirus, de sorte qu’il peut se révéler prématuré si d’une part, cette pandémie est éradiquée d’ici la fin du mois d’octobre, et d’autre part, s’il est avéré, comme l’a déclaré le porte parole de l’Autorité Nationale des Elections le 14 avril 2020, que les opérations d’organisation de ces élections seront accomplies dans les délais prévus. Cela n’empêche pas pour autant la nécessité de la révision des dispositions constitutionnelles en cause dont cette pandémie a permis de constater les lacunes. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » nous dit un proverbe latin qui signifie que l’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique.

Toute règle est révisable, or la constitution est une règle, donc elle est révisable ; pourvu que cette révision se fasse dans les règles de l’art.

  Wang -You SANDO

  Docteur en Droit

  Avocat à la Cour d'Appel de Paris.

  Avocat inscrit à la Cour pénale internationale

 

 

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Published by Centrafrique-Presse.com