Homélie du 6e dimanche de Pâques par Dieudonné Card. Nzapalainga, Archevêque Métropolitain de Bangui
« GARDE TON AMOUR A CEUX QUI T’ONT CONNU » (PS 35, 11)
Chers frères et sœurs, Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! En ce 6e dimanche de Pâques, le Seigneur dont on pressent la prochaine absence physique, nous recommande vivement de garder ses commandements et ainsi, de lui manifester notre indéfectible amour. De ces attitudes cruciales dépendent la garantie de l’amour du Père et du Fils et le don de l’Esprit : « je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité ». Je propose que nous apprenions à connaître, afin de l’aimer, le Défenseur dont la descente sur nous est imminente, que nous méditions sur cette importante invitation à garder les commandements du Seigneur et enfin, que nous intégrions dans nos habitudes chrétiennes l’appel à rendre raison de notre espérance que nous adresse Saint Pierre dans la deuxième lecture de la messe de ce jour. Frères et sœurs, La foi en l’Esprit Saint, comme nous le confessons dans le credo, est intimement liée à l’amour dont nous aimons le Père et le Fils ; et cette foi est éminemment existentielle.
Cela signifie d’abord que croire en l’Esprit Saint n’est pas un acte passif, une résolution purement intellectuelle. Au contraire, cela découle d’une vie réellement vécue : l’amour du Père et du Fils manifesté, incarné en la pratique des commandements qu’ils nous ont prodigués. Cela signifie ensuite que l’Esprit Saint agit dans nos vies : c’est le ferment de la vie chrétienne, la force de propulsion, le gouvernail, le facteur de la fécondité. C’est Dieu nous aimant, nous accompagnant sur tous les chemins de la vie, nous suscitant, nous consolant, nous parlant hier, aujourd’hui et toujours. Parmi les dons précieux que l’Esprit Saint accorde aux enfants de Dieu figure la connaissance. C’est un don fondamental sachant que la décision d’obéir aux appels de Dieu dépend initialement de la connaissance de son nom et de ses œuvres. L’expérience de nos vies ordinaires nous montre qu’il n’est pas évident d’accepter de se laisser conduire par un inconnu. Avant tout, il importe de savoir qui il est et ce qu’il a véritablement réalisé.
La révélation de son nom fut le premier gage que Dieu lui-même, par le truchement de Moïse, offrit à son peuple alors en Egypte afin de le convaincre de se laisser conduire au désert (cf. Ex 3, 13-14). La connaissance de Dieu que nous sommes appelés à acquérir transcende la simple possession de données, de connaissances sur lui. Il s’agit d’entrer en relation, de vivre une relation intime, une relation d’amour, laquelle octroie le salut. C’est ce que nous fait savoir Jésus lorsqu’il dit dans sa grande prière sacerdotale : « Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17, 3). Ce n’est qu’en vivant sous la mouvance du Saint Esprit que nous pouvons reconnaître Dieu comme Père (cf. Ga 4, 6) et Jésus comme son Fils1 . « Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. » (1 Co 2, 10) Et il n’y a que lui pour nous enseigner la vérité et nous faire souvenir de tout ce que le Seigneur a dit et fait (cf. Jn 14, 26). L’apôtre Paul nous confie que c’est par l’Esprit que nous pouvons tout examiner, nous qui avons la pensée du Christ (cf. 1 Co 2, 14-16).
Le saint Curé d’Ars ajoute que l’Esprit est ce guide « qui nous fait distinguer le vrai du faux et le bien du mal2 ». Avec ferveur, demandons au Père et au Fils de hâter la venue sur nous de l’Esprit Saint. Qu’il guide nos décisions et nos choix dans nos moments de trouble, qu’il nous défende contre l’Ennemi qui veut notre perte et contre l’affadissement de notre foi, qu’il nous inspire d’aimer nos frères et nos sœurs en toute vérité, d’aimer et de garder les commandements du Seigneur. Frères et sœurs, 1 Cf. Veni creator. 2 J. Frossard, Pensées choisies du Saint curé d’Ars, Paris, Editions Téqui, 1999, p. 67. 2 Dès leur surgissement dans la vie, Dieu recommande à l’homme et à la femme de « garder » la création (cf. Gn 2, 15), de « garder » le frère : Caïn et Abel (cf. Gn 4, 9). Aussi, la naissance dans la vie nouvelle, celle qu’inaugure Jésus et que réalise son Esprit, est marquée par la mission de « garder » allumée la lampe et de conserver la saveur du sel que le baptisé est appelé à être. Qui plus est, dans la nouvelle alliance, Dieu souhaite ne plus graver ses commandements sur des blocs de pierre mais dans nos cœurs (cf. Jr 31, 33). Le cœur symbolisant la vie, la vitalité et l’amour, que Dieu veuille que nous en fassions le siège de ses commandements signifie qu’il nous appelle à aimer ces derniers et à les vivre authentiquement.
D’ordinaire, le mot « commandement » inspire la peur parce qu’on y perçoit de pesantes obligations qui non seulement nous sont imposées et qui peuvent nous attirer le malheur et le châtiment si elles ne sont pas suivies, mais encore parce qu’on les assimile à des attitudes humainement difficiles à réaliser voire contraires à nos ambitions, à notre épanouissement. Mais on ne peut penser de la sorte que lorsqu’on est guidé par la chair et qu’on ne pas peut pas reconnaître Dieu comme notre Père. Car, « Quel Père parmi vous quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? » (Lc 11, 11) Dieu ne peut pas nous donner ce qui défavoriserait notre bonheur. Au contraire, nous révèle le Fils, il donne l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent (cf. Lc 11, 13). Qui plus est, notre liberté lui étant si chère, il ne peut pas se conduire vis-à-vis de nous tel un dictateur, un oppresseur. Je peux alors conclure une première fois que les commandements de Dieu sont précieux pour la vie de l’humanité qu’il a créée. Ils sont le reflet de son être le plus profond. Comme le décrit Saint Jean dans sa première lettre, « Dieu est amour » (1 Jn ). Voilà pourquoi Jésus résume les tables de la loi en un double commandement : l’amour de Dieu et l’amour du prochain (cf. Mt 22, 34-40). Si, en dépit de ce premier aveu, nous persistons à voir dans le côté exigeant des appels que le Seigneur nous adresse des obstacles à notre bonheur, alors je nous exhorte à nous fier aux paroles de Jésus, lui qui nous assure que son joug est doux et son fardeau léger (cf. Mt 11, 30).
Je peux alors conclure une deuxième fois, que les commandements du Seigneur ne sont rien d’autre que des signes de la surabondance de sa bonté et de son désir de nous voir vivre la vraie vie. Garder les commandements de Dieu ne signifie pas adopter une attitude passive, improductive. Souvenons-nous de la parabole des talents (cf. Mt 25, 14-30). Celui qui en a reçu un seul et qui est allé le cacher pour le restituer tel quel n’a pas été honoré par le maître. Au contraire, les deux autres qui ont fait fructifier les leurs sont entrés dans la joie du Seigneur. Dieu attend de nous que nous soyons dynamiques, féconds sur le plan spirituel. « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau », dit le Seigneur. (Mt 5, 15).
En ces temps de restrictions dues à la pandémie du coronavirus, parce que la situation perdure et que les activités spirituelles et cultuelles ne se déroulent pas comme d’habitude, une tentation peut être de s’installer, voire de se complaire dans l’inactivité. L’Esprit du Seigneur qui ne cesse de souffler et d’insuffler la nouveauté nous appelle à être témoins du Ressuscité en tous temps, na gbe ti ngu, na gbe ti la3 . Ainsi, aujourd’hui et plus que jamais, il nous appelle à persévérer et à accomplir « autrement » nos devoirs chrétiens et surtout, il nous inspire de rendre raison de notre espérance. Frères et sœurs, Dans la deuxième lecture de la messe de ce jour en effet, l’apôtre Pierre nous invite à rendre raison de notre espérance, et il ajoute qu’il faut le faire : « avec douceur et respect ». (cf. 1 P 3, 15-18). L’auteur du livre des proverbes affirme qu’« une réponse douce calme la fureur » (Pv 15, 1) et qu’ « une langue douce peut briser des os » (Pv 25, 15).
Mais voyons pourquoi cette précision de saint Pierre est importante et rejoint le thème de la connaissance de Dieu dont je parlais il y a quelques instants. La douceur est une figure parmi les voies d’accès à la béatitude : « Heureux les doux car ils recevront la terre en héritage » (Mt 5, 5.) Cela signifie qu’on peut la compter au nombre des attitudes les plus importantes qui font accéder au Royaume de Dieu. La douceur est aussi fortement recommandée pour la 3 Qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil. 3 réalisation de la mission : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. » (Mt 10, 16) Jean Baptiste révèle Jésus comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).
Nous pouvons en déduire qu’être doux équivaut à être comme Jésus, « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), et comme Dieu lui-même. Au mont Horeb, il dévoile son être profond dans le « murmure d’une brise légère » (1 R 19, 12) et Isaïe annonce qu’il fait paître ses brebis en les prenant dans ses bras, en les portant dans son sein (cf. Is 40, 11). L’Esprit du Père et du Fils lorsqu’il descend sur nous, en plus de l’amour, de la joie, de la paix, de la patience, de la bonté, de la bienveillance, de la fidélité et de la maîtrise de soi, nous communique la douceur (cf. Ga 5, 22). Dieu, nous communiquant toujours ce qu’il est pour notre salut, nous pouvons conclure que son Esprit qui descend sur nous est doux. Oui frères et sœurs, Par la douceur, nous participons à l’être de Dieu. Alors que le monde en fait l’apanage des faibles et enseigne que seuls les forts règnent et commandent en maîtres, la Parole de Dieu nous apprend que ce n’est qu’en étant doux et humbles que nous pouvons régner avec Jésus.
C’est en étant ainsi que nous pouvons accéder à la connaissance qui sauve. En effet, ce ne sont pas aux sages et aux savants que Dieu a choisi de se révéler mais à ce qu’il y a de faible dans le monde (cf. 1 Co 1, 27). Ce ne sont pas les docteurs de la loi les plus brillants que le Seigneur s’est associés comme proches collaborateurs, mais des pécheurs, des collecteurs d’impôts, des hommes et des femmes pauvres de cœur : ceux-là étaient disposés à se laisser conduire par l’Esprit Saint, ceux-là ont accepté de se laisser bouleverser, transformer. Ceux-là pouvaient s’émerveiller devant la beauté et la grandeur des œuvres de Dieu. Frères et sœurs, Celui qui vit selon l’Esprit de Dieu est marqué par la douceur pour vaincre et assumer la dureté, l’agressivité, la violence et la domination. Notre monde a besoin d’hommes et de femmes guidés par cette vertu pour que nous soient réellement manifestées la justice et la paix de Dieu.
La vie de ceux-là exhale l’odeur de Dieu ; en d’autres termes, le témoignage de leur vie, les œuvres qu’ils accomplissent font connaître le Dieu de Jésus-Christ. Notre humanité a besoin de connaître et de croire en Dieu de Jésus Christ. Ainsi les hommes et les femmes pourront être guidés par la vraie lumière, celle qui révèle comment aimer son prochain, comment agir selon la justice, le pardon et la réconciliation. Il faut connaître et aimer le Dieu de Jésus-Christ pour pouvoir aimer son prochain et toute la création à juste titre. Les docteurs de la loi, les scribes et les pharisiens qui ont condamné Jésus le firent entre autres parce qu’ils lui reprochaient de blasphémer. Mais en réalité, il leur a manqué de reconnaître en lui le Fils de ce Dieu en qui ils mettaient leur foi. Saul aimait passionnément Dieu au point de persécuter les chrétiens. Mais ébloui par Jésus ressuscité il a pu accéder à la vraie connaissance et se convertir (cf. Ac 9, 1-30). L’expérience de Saul devenu Paul nous montre que seule la rencontre avec Jésus, le chemin, la vérité et la vie (cf. Jn 14, 6) dans l’Esprit Saint permet la connaissance véritable de Dieu. Et surtout, l’illumination sur le chemin de Damas montre que c’est Dieu qui se donne à connaître aux cœurs disposés à l’accueillir, les cœurs doux et humbles. Saint Paul fut celui qui mettait son orgueil dans ses faiblesses (cf. 2 Co 12, 5.9). Nous avons tous besoin de nous convertir dans le sens de la connaissance de Dieu car bien des fois, nous posons des actes qui ne sont pas dignes des frères et des sœurs de Jésus ; bien des fois nous épousons la logique du monde, contraire à l’esprit de l’évangile.
Oui, bien des fois nous croyons agir au nom de Dieu mais lorsque ce n’est pas le Dieu d’amour que nous a révélé Jésus-Christ, nous courons le risque d’agir faussement. La juste praxis est celle que l’Esprit de Jésus inspire et dont l’Eglise garantit la juste interprétation. Demandons à la Vierge Marie, Notre Dame de l’Oubangui, qui a su « garder dans son cœur » les évènements de la vie de son Fils (cf. Lc 2, 19), elle que l’Esprit Saint a prise sous son ombre (cf. Lc 1, 35), de nous obtenir de sa puissante intercession le don de l’Esprit de connaissance, de douceur et de vérité. Que la contemplation de son cœur immaculé nous aide à devenir des foyers ardents de prière et d’attention à la voix de l’Esprit maintenant et pour les siècles des siècles, amen !
Dieudonné Card. Nzapalainga, Archevêque Métropolitain de Bangui