VISITE GUIDÉE
Gambie : les fantômes du palais de Jammeh
Par Claire Bargelès, Libération Correspondance à Banjul — 21 mai 2018 à 19:26
En exil depuis janvier 2017, l’autocrate Yahya Jammeh a régné vingt-deux ans sur ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. «Libération» a visité le vaste complexe présidentiel installé dans son village natal de Kanilai.
Derrière une grande arche beige, un lion en pierre accueille les visiteurs avec l’inscription «force et courage». Tous les bâtiments sont verts, couleur militaire du parti de Yahya Jammeh, qui s’accorde avec les vieux tanks gisant sur le bas-côté. Nous sommes à Kanilai, un village de l’ethnie jola, à une centaine de kilomètres de Banjul, la capitale. C’est ici que l’ancien président - battu lors du scrutin de décembre 2016 et exilé depuis fin janvier 2017 après vingt-deux ans de règne - venait renouer avec ses racines.
Natif du village, Tumani en témoigne : «A l’époque, on courrait l’accueillir, du rond-point là-bas jusqu’au palais. Des fois, il venait nous voir chaque semaine. Et il organisait des festivals, il invitait d’autres pays, un mois entier, juste pour que tout le monde se divertisse.» Désormais, le calme règne et les habitants vivent dans la nostalgie de l’ancien régime. Le palais a été placé sous le contrôle de l’armée, mais le lieu a beaucoup à raconter sur l’ancien leader et ses pratiques. Le complexe comprend quatre villas, un centre de conférences, des hectares de terres agricoles. Et, cachée par de grands portails, la résidence personnelle de Yahya Jammeh. On est pourtant loin de l’opulence des palaces d’or et de marbre à la Mobutu ou Ben Ali. «C’est vrai que lorsqu’on dit qu’on va voir la résidence de l’ancien président, on pense découvrir un immense manoir», commente le capitaine Ousman Bojang, qui supervise notre visite.
«Bazar»
A l’intérieur, des cartons éventrés jonchent les couloirs. S’en échappent des chaînes hi-fi, des restes d’un appareil de musculation, des babouches, une carte de fête des pères. «Ça, ça doit être des cadeaux qu’il a reçus», glisse le militaire en désignant des portraits de l’autocrate. Il reste très peu d’objets de luxe, un peu d’ivoire seulement. Mais plusieurs biens, dont des colliers de pierres précieuses et des pistolets plaqués or, ont été retrouvés dans des voitures abandonnées à l’aéroport. «On va bientôt faire un inventaire de tous les objets. Avec ce bazar, difficile de savoir exactement ce qu’il y a…» précise Alieu Jallow, qui est chargé de la centaine de propriétés foncières de l’autocrate, gelées sur décision de justice. Jammeh est soupçonné d’avoir siphonné les caisses de l’Etat, alors que près de la moitié des 2 millions de Gambiens vivent sous le seuil de pauvreté. Selon le ministère de la Justice, le dictateur déchu aurait détourné près de 42 millions d’euros.
Le 10 mai, la commission d’enquête qui décortiquait ses comptes et étudiait ses différentes entreprises depuis août 2017 a terminé ses auditions. Ce sera ensuite au nouveau président, Adama Barrow, de décider comment disposer de ces biens, «en suivant ou non les recommandations inscrites dans le rapport final», explique Alieu Jallow. «Il pourra s’agir d’une vente, d’une reconversion des bâtiments. Le but, c’est bien de récupérer un patrimoine volé.» Une mesure symbolique pour un pays plombé par une dette publique de 130 % du PIB en 2017, selon le FMI, qui vient d’y conduire une mission. Trois avions et plusieurs voitures de luxe achetés par Jammeh ont déjà été mis en vente, a indiqué le ministre des Finances.
Paons
Dans la cour résonnent les cris de perroquets et de paons abandonnés. En face se dresse une imposante demeure inachevée, qui correspond davantage aux goûts de luxe de Jammeh. Plus loin, au fond d’un labyrinthe de végétation, une terrasse est encore jonchée d’écorces, de feuilles, de racines… «C’est ici qu’il fabriquait ses remèdes pour les patients», déclare le major Wassa Camara, chef du bataillon de Kanilai. Celui qui s’était autoproclamé guérisseur traditionnel «disait pouvoir guérir avec les plantes les gens atteints du sida, les problèmes d’infertilité, les cas de tuberculose». Plusieurs de ses patients en sont morts.
Aujourd’hui, son domaine de Kanilai se dégrade peu à peu. A l’image du zoo, ou de ce qu’il en reste : une dizaine de hyènes efflanquées et les imposants crocodiles présidentiels. La rumeur veut que, s’ils sont si gros, c’est parce qu’on leur faisait dévorer les corps d’opposants. La police a mené des fouilles au sein du complexe, à la recherche de traces d’exactions. Son porte-parole, David Kujabi, explique : «Avec les informations que l’on a pour l’instant, nous n’avons rien trouvé. Mais cela ne veut pas dire que nous en avons fini avec tout ça.»