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http://www.lexpress.fr/ Propos recueillis par Clément Daniez, publié le 30/10/2016 à 14:46 , mis à jour à 23:03
L'opération militaire française en République centrafricaine prend officiellement fin. Si le pays est militairement stabilisé, la réconciliation se fait attendre. Interview du chercheur Roland Marchal.
Déclenchée en décembre 2013 pour éviter des massacres, alors que l'Etat centrafricain s'était effondré, l'opération Sangaris s'achève avec ce mois d'octobre. Quelque 350 militaires français vont cependant rester en Centrafrique, dont une centaine au sein de la force de l'ONU, la Minusca. Roland Marchal, spécialiste des conflits africains au Centre d'études et de recherche internationale de Sciences Po, fait le point sur la situation sur place.
Quel bilan tirez-vous de l'opération Sangaris?
Roland Marchal: L'intervention de Sangaris à partir de décembre 2013, puis celle de la Misca de l'Union africaine et celle de la Minusca [de l'ONU], ont permis d'éviter des affrontements plus importants. De ce point de vue-là, c'est un grand succès et c'est ce que va dire le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Mais si des moyens militaires importants ont été alloués, aucune analyse politique digne de ce nom n'a été faite. Les nouvelles élites dirigeantes centrafricaines n'impulsent pas de réformes et se contentent de la stabilisation de la situation militaire.
Les Centrafricains ont élu un nouveau président l'hiver dernier, Faustin-Archange Touadéra. Qu'a-t-il réalisé depuis?
Il y a une stabilisation précaire en province, plus réelle à Bangui, grâce au paiement des salaires de la fonction publique. C'est le seul instrument disponible pour réinjecter de l'argent dans le circuit économique et permettre aux gens de survivre au-delà de l'aide humanitaire. L'ambiguïté, à l'heure actuelle, c'est qu'une partie des élites politiques, bien représentée dans l'entourage du président, pense qu'on a retrouvé la situation de 2011, après l'élection de François Bozizé. On considérait alors que la seule grande tâche était le "DDR" [désarmement, démobilisation et réintégration], qui consiste à payer les combattants pour les désarmer et en finir avec ces rébellions.
Sauf que les groupes armés ne sont que la partie émergée de l'iceberg. La Centrafrique a connu une crise existentielle, pas une crise seulement liée aux mauvais comportements des combattants. Toute perspective de réconciliation a été gelée au profit de la mise en place d'un gouvernement qui n'a pas de contrôle sur tout le territoire. Cela a figé les différents camps sur des bases plus dures. On est dans une situation de partition potentielle.
De quoi la Centrafrique aurait-elle besoin pour connaître un avenir plus serein?
Les élites politiques et administratives ne peuvent continuer à vivre sur le dos de la population. Les mouvements Seleka ou anti-Balaka sont issus des marges sociales, qui font usage de la violence pour dire que l'Etat ne peut plus fonctionner comme le prédateur qu'il est depuis 50 ans. Il faut mettre fin à la redoutable impunité concernant les crimes économiques. Que les fonctionnaires et les hommes politiques qui ont détourné des sommes significatives soient arrêtés. L'armée et la gendarmerie n'ont jamais fonctionné correctement, plus occupées à racketter la population qu'à appliquer les lois. Pour changer ça il faut du temps, de la formation et des moyens financiers.
Les élites doivent aussi s'ouvrir aux populations des provinces pour une répartition du gâteau moins inégalitaire qu'à l'heure actuelle. Il faut s'intéresser aux pauvres et pas simplement veiller à ce que la présidence de transition puisse avoir sa bouteille de champagne tous les soirs. Le gouvernement pense que les décisions prises à Bangui, dans les cabinets, vont être appliquées partout. Il se trompe. Parce qu'il y a les mouvements armés et parce que les populations locales ont appris à exprimer attentes et revendications. Il faut une réforme de la gouvernance, dont tout le monde parle, mais que personne ne veut mettre en oeuvre.
Il y a de quoi être assez pessimiste. Sangaris était la 7e intervention française depuis l'indépendance en 1960. A vous entendre, la 8e parait inévitable...
On pouvait essayer d'agir de façon originale, en ne faisant pas des élections la priorité absolue, en soulignant l'importance des réconciliations au niveau local. Une reconstruction dynamique n'a pas toujours besoin d'appareil d'Etat central. Le risque, c'est que, comme auparavant, la Minusca soit chassée à coups de pierres et que, dans 5 ou 6 ans, une nouvelle intervention française soit indispensable pour sauver la Centrafrique d'elle-même, alors qu'elle paye aussi les choix internationaux.
Fin de l'intervention française en Centrafrique sur un bilan mitigé
http://geopolis.francetvinfo.fr/ Par Jacques Deveaux@GeopolisFTV | Publié le 30/10/2016 à 08H05
La bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Voilà comment on peut tirer le bilan de l’intervention de l’armée française en Centrafrique. L’opération Sangaris s’achève officiellement à la fin du mois d'octobre. Trois années de présence qui ont certes évité un bain de sang, mais sont loin d’avoir ramené le calme dans le pays.
«La force Sangaris a réussi à ramener le calme et à empêcher l’inacceptable.» Jean-Yves le Drian, le ministre français de la Défense, faisait ainsi, le 12 juillet 2016, le bilan de l’opération militaire française en République centrafricaine en 2013.
Il est vrai qu' à cette époque, le pays en pleine guerre civile s’enfonçait dans la chaos. La situation dans la ville de Bossangoa était à ce titre exemplaire. Chaque communauté, chrétiens d’un côté musulmans de l’autre, campait dans son coin. Les chrétiens dans l'église et les musulmans dans l'école de Bossangoa. Chaque camp se méfiant de l’autre et s’attendant au pire.
On ne possède pas un bilan humain des affrontements qui se sont déroulés au cours de l’année 2013, puis en début d’année 2014. Plusieurs centaines de morts au moins (Slate parle de 3062 morts) et des milliers de déplacés fuyant le danger en s’enfonçant dans la forêt. Il est clair que l’intervention de l’armée française a freiné les exactions, sans pour autant les empêcher totalement.
Au plus fort de la crise, la France a envoyé 2000 hommes en République centrafricaine. Elle a perdu trois soldats lors d’affrontements avec des bandes armées. Progressivement, Paris a passé le flambeau à une force internationale, la Minusca, forte de 12.000 Casques bleus.
Un bilan très contrasté
La France se félicite de la réduction du nombre de déplacés constaté par le HCR. Il n'y a quasiment plus de déplacés à Bangui, contre 100.000 au plus fort de la crise. Mais à chaque regain de tension, comme lors des coups de chaud en octobre 2015 puis en début d’été 2016, la population s’enfuit dans la forêt.
Le 12 octobre 2016, l’attaque d’un camp d’évacués situé à Kaga Bandoro, au centre du pays, a fait 30 morts et 40 blessés. Une attaque qui aurait été perpétrée par d’anciens membres de la Séléka.
les 27 et 28 octobre, des violences dans la ville de Bambari (250 km au nord-est de Bangui) ont fait au moins 25 morts dont six gendarmes.
Aussi, la confiance n’est pas totalement revenue parmi la population, en particulier dans les zones rurales, où l’élevage est sous la coupe des anti-balaka, devenus maîtres du pays. Certains rebelles musulmans de l’ex-Séléka sont toujours dispersés dans le pays, jouant les coupeurs de route.
Politiquement, la République de Centrafrique s’est choisi un président en la personne de Faustin Archange Touadéra. Dans la foulée, se sont tenues des élections législatives.L’administration centrafricaine est aujourd’hui redéployée dans la majorité du pays. «L’ensemble du corps préfectoral est à poste, les structures judiciaires ont été remises en état et les écoles rouvertes dans l’ensemble des grandes villes et des bourgades», se félicite le ministère français de la Défense.
Environ 350 militaires français, équipés de drones d'observation, resteront présents en RCA, dont une centaine au sein de la force de l'ONU.
Il reste désormais à rétablir la concorde…
Sangaris s'en va, retour des bandes armées
http://www.tdg.ch/
Le ministre français des Affaires étrangères est attendu en Centrafrique pour acter la fin de l'opération Sangaris .
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est attendu dimanche soir à Bangui pour acter la fin de l'opération Sangaris qui aura mis fin aux tueries de masse en Centrafrique, sans parvenir à neutraliser les bandes armées qui terrorisent la population.
Si Paris se veut rassurant - «la France ne laisse pas tomber la Centrafrique», a insisté le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault - et met en avant la présence de plus de 10'000 Casques bleus de la Minusca, nombre de Centrafricains ne cachent pas leur inquiétude au sujet du départ des soldats français, arrivés dans l'urgence en décembre 2013.
«Les groupes armés sont en train de prendre leurs marques. Et je crains qu'ils ne lancent une offensive générale une fois les Français partis», dit à l'AFP en demandant l'anonymat - «car le sujet est très sensible» - un responsable politique centrafricain de premier plan, ajoutant: «les groupes armés redoutent la force française, mais pas la force onusienne».
La peur au ventre
Ces dernières semaines, les Centrafricains voient en effet - la peur au ventre - ces bandes reprendre leurs exactions à grande échelle à l'intérieur du pays. Selon la Minusca, elles ont fait au moins plusieurs dizaines de morts et contraint des villageois à se cacher dans la brousse.
Jeudi et vendredi, au moins 25 personnes, dont six gendarmes, ont été tuées lors d'affrontements à Bambari (centre) et ses environs, selon la Minusca.
Ces groupes sont essentiellement issus de factions parfois rivales de l'ex-rébellion Séléka à dominante musulmane, chassée du pouvoir après l'intervention française, de miliciens anti-balaka, se revendiquant chrétiens, mais aussi de groupes d'«auto-défense» d'éleveurs nomades peuls, de bandes spécialisées dans le racket routier et d'éléments «incontrôlés».
Chaos de la guerre civile
La Centrafrique peine à se relever du chaos de la guerre civile provoquée en 2013 par le renversement de l'ex-président François Bozizé par des rebelles séléka qui avait entraîné une contre-offensive des milices anti-balaka.
Malgré ce cocktail sécuritaire explosif, la France, ancienne puissance coloniale restée omniprésente depuis l'indépendance, considère que la mission de Sangaris est achevée. «Nous fermons une opération parce que cette opération a été un succès», a assuré le 19 octobre devant l'Assemblée nationale à Paris Jean-Yves Le Drian.
«Nous avons évité des massacres de masse (...) permis un processus de réconciliation intercommunautaire, la reconstitution de l'Etat centrafricain, une élection présidentielle, des élections législatives», a-t-il énuméré. «Nous avons aussi permis la mise en oeuvre d'un outil de formation de la nouvelle armée centrafricaine (EUTM RCA) et le déploiement de la mission des Nations unies», a-t-il poursuivi. «Même si la stabilité n'est pas totalement revenue, il importe maintenant que (...) le relais soit pris et par les forces centrafricaines et par la mission des Nations unies».
350 militaires français resteront présents
Selon Paris, environ 350 militaires français, équipés de drones d'observation, resteront présents, dont une centaine au sein de la force de l'ONU.
Si Sangaris - dont l'action a été ternie par des accusations de violences sexuelles qui mettent en cause également la Minusca - a effectivement mis fin à la terreur des bandes armées, les Centrafricains attendaient de la France qu'elle les débarrassent de ces «combattants» qui les martyrisent depuis des années dans l'impunité la plus totale.
«Je trouve que cela a un goût d'inachevé et risque bien de replonger le pays dans une situation beaucoup plus dramatique», déclare ainsi à l'AFP, Edgar Ngbaba, enseignant, interrogé sur la fin de Sangaris, qui a compté 2000 hommes au plus fort de la crise et quelques centaines ces derniers mois.
Inquiétude
«Moi, je ne crois pas du tout à ce départ», dit Marie Ndoïnam, commerçante. «Je me demande si ces gens ne sont pas déjà en train de tirer profit du départ des Français, en prenant position ça et là. Et que font les autorités?».
Le gouvernement centrafricain ne dispose pas de forces de sécurité capables de tenir tête aux groupes armés et doit s'en remettre à la Minusca.
L'inquiétude des Banguissois est nourrie par les nouvelles parvenant de l'intérieur du pays. Selon des sources centrafricaines jointes par l'AFP, plusieurs centaines d'ex-séléka lourdement armés et issus de factions rivales se sont regroupés récemment à Batangafo (350 km au nord de Bangui).
(Créé: 30.10.2016, 04h42)