http://aa.com.tr/ 09.12.2015
Un régime mixte, des principes inaliénables et des droits égaux pour les citoyens, qui devront résister à l'épreuve de la pratique.
Si le régime centrafricain prévu par la Constitution faisant l'objet, dimanche prochain, d'une consultation référendaire, consacre un "bon" système, avec des pouvoirs publics équilibrés, il attendra toutefois confirmation à l'épreuve de la pratique, s'accordent des juristes contactés par Anadolu.
Le texte proposé insiste généralement sur les droits égaux de tous les citoyens "sans aucune discrimination sur une base religieuse ou éthnique".
Sur l'organisation des pouvoirs publics, ce projet consacre un régime politique dit "mixte". Certaines caractéristiques sont celles du régime présidentiel; ainsi le Président de la République est le "chef de l'Exécutif" (Art.21). Il est élu par le peuple (Art.24). Il choisit et révoque les membres du Gouvernement, notamment le Premier ministre (Art.22).
En outre, le chef de l’État dispose de pouvoirs importants, à l'instar du droit de dissolution (Art.34) garantissant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Ce régime mixte emprunte aussi, dans le cas de cette nouvelle constitution, des éléments au régime parlementaire, avec un chef du Gouvernement distinct du chef de l’État (Art.21) Sa responsabilité peut être mise en cause " à la suite d’une motion de censure adoptée à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale. (Art.41)
Les grands traits de ce projet ne sont pas sans rappeler la Constitution de la Ve République française. Le même type de régime mixte et bicéphale y est consacré. Il s'agit, en outre, dans les deux cas, d'un système bicaméral, les deux chambres, dans le cas français comme centrafricain, portant les mêmes appellations: Assemblée nationale et Sénat.
Des passages entiers se retrouvent tels quels. Il en va, à titre d'exemple, de l'article 69 de ce projet qui dispose que "l’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et aux membres du Parlement", que lon' retrouve, à un mot près, dans l'Article 19 de la Constitution de la Vème République.
Cette parenté va même au-delà des grandes lignes pour épouser, par moments, les contours des technicités. Il en va ainsi d'une "Commission Mixte Paritaire (CMP). Cette instance chargée de concilier les points de vue des deux chambres parlementaires au sujet d'un texte de loi se retrouve dans le projet de loi centrafricain, avec la même appellation que chez le parent français.
"Ce n'est pas forcément une mauvaise chose", commente, dans une déclaration à Anadolu, Filip Reyntjens, Professeur de Droit constitutionnel à l'Université d'Anvers en Belgique.
"Le régime mixte français a d'ailleurs été adapté dans plusieurs pays d'Afrique, il n'est pas mauvais à partir du moment où les grands équilibres s'y retrouvent" poursuit cet expert belge, qui a participé dans les années 70, à l'élaboration de la Constitution rwandaise.
"Techniquement parlant, c'est une bonne Constitution", résume pour sa part Arona Ndiaye, enseignant de Droit public à l'Université de Dakar. "L'agencement prévu permet a priori un fonctionnement fluide des institutions, les instruments prévus permettent d'éviter aussi bien les situations de blocage que l'instabilité gouvernementale. Des techniques de parlementarisme rationalisé prémunissent ensuite contre la superpuissance du Parlement."
Plus directement, la Constitution centrafricaine de 2004 pourrait revendiquer la paternité de ce projet.
A ce titre, le Secrétaire Général du parti de l'ancien Président centrafricain François Bozizé dénonçait, récemment dans une conférence de presse, le fait que ce qui est présenté comme une nouvelle Constitution "n’est que le copier-coller de celle de 2004", disait Bertin Bea.
Au-delà de la question institutionnelle (à l'exception notable du Sénat) et de l'organisation des pouvoirs publics, ressemblantes dans les deux textes que séparent une décennie et trois guerres civiles, un certain nombre de principes inaliénables y sont réitérés.
Il s'agit particulièrement de la forme républicaine et laïque de l’Etat, du nombre et la durée des mandats présidentiels, des conditions d’éligibilité, des incompatibilités aux fonctions de Président de la République, des droits fondamentaux du citoyen.
Ces principes sont "expressément exclus de la révision" dispose l'article 123 de ce projet. La même interdiction pesait, une dizaine d'années plus tôt, sur les mêmes dispositions, énoncées au mot près dans l'ancien article 108.
Ce qui amène à dire Filip Reyntjens que "le problème des Constitutions en Afrique n'a jamais été au niveau des textes, mais plutôt au niveau de leur application".
"Acheter les voix, bourrer les urnes, baillonner l'opposition, la liste est longue des pratiques qui vident de leur sens toute la bonne volonté qui peut être mise dans les textes", poursuit le Constitutionnaliste belge.
Le mot de "la paix sociale" fait toutefois son entrée dans le nouveau texte, à l'heure où le pays s'empêtre dans les méandres de la Guerre civile, aux dimensions interconfessionnelles, qui a provoqué plusieurs centaines de milliers de victimes, entre morts, déplacés et exilés.
L'article énumère ainsi, "les principes de la République", et y range le concept de paix sociale, à côté de la séparation de l’Etat et de la religion, l’unité nationale, la justice sociale, le développement social et économique, la solidarité nationale, etc.
S'inspirant sans doute, du contexte sécuritaire et politique que traverse le pays depuis plusieurs mois, d'autres idées se retrouvent renforcés dans ce projet. Il s'agit notamment dans une série de droits humains, énoncée dès les premiers articles de cette future constitution.
L'allusion aux "coup d'Etat" se retrouve dans deux occurrences dans ce texte (contre une seule dans la Constitution de 2004), rappelant peut-être que la crise puise ses sources dans le coup d'Etat de Michel Djotodia, en mars 2013, contre François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir à travers un coup d'Etat.
Le principe d'"indivisibilité" du territoire nationale est également bien mis en exergue, à l'heure où la faction la plus dure de la Séléka, le Front Populaire Pour la Renaissance de Centrafrique (FPRC), retranché à Kaga Bandoro (Nord), où son chef, Noureddine Adam, s’oppose à la tenue de toutes les élections référendaires, présidentielle et législatives dans les zones sous son contrôle.